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Adieu à "La librairie francophone"
- Par Liliane Schraûwen
- Le 14/05/2024
- Commentaires (253)
- Dans Ecrire
Je fais partie des quelque 560 auteurs et autres « membres de la chaîne du livre » signataires de la pétition adressée à France Inter pour protester contre la suppression de l’émission « La librairie francophone ». Comme sans doute les 559 autres signataires, j’ai donc reçu un aimable mail émanant de « mediatrice@radiofrance.com » dont voici le contenu :
Une manière élégante de nous dire… que nous n’avons rien à dire, que c’est comme ça, voilà tout, que la décision de supprimer La librairie francophone est irréversible et qu’Emmanuel Khérad a été (mais n’est plus) « un excellent ambassadeur » qu’il convient de remercier, dans tous les sens du mot.
Aucune explication, bien entendu, aucune justification. Aucune réponse anticipée à la question que, forcément, l’on se pose : si, comme l’écrit madame médiatrice sans doute inspirée par monsieur Chat GPT, « une nouvelle émission sur la littérature francophone sera à l’antenne dès la rentrée », alors même que celle que l’on enterre aujourd’hui était « de qualité »… comme toutes celles qu’Emmanuel Khérad « a proposées aux éditeurs durant toutes ces années », pourquoi donc la supprimer ?
Voulez-vous que je vous dise ? Ceci démontre que France Inter et, dans la foulée, que toutes les instances auprès desquelles on pétitionne à tour de bras, n’en ont rien à cirer, rien à foutre, rien à br***. À l’ère des réseaux prétendument sociaux sur lesquels chacun peut dire et écrire n’importe quoi, vitupérer sur tout et sur rien, répandre menaces, fake news et propagande en tout genre, à l’ère où X, Instagram, Tik Tok et le vétuste Facebook des vieux internautes ont remplacé livres et journaux, en ces temps où CULTURE ne rime plus avec écriture ou littérature mais plutôt avec déconfiture, enflure, caricature ou injure quand ce n’est pas avec CENSURE ou DICTATURE, à l’heure des émeutes ici ou là, des occupations d’universités, des manifestations pour toutes sortes de causes parfois discutables…, en ces temps où influenceurs et influenceuses dirigent les goûts et les passions de nos ados…, qui s’intéresserait, je vous le demande, aux « pétitions » de plumitifs tout juste bons à produire des livres que personne ne lit ?
Et, globalement, en quoi une pétition qui ne serait ni accompagnée de jets de pierres ou de cocktails molotov, ni soutenues par des troupeaux d’émeutiers en colère, aurait-elle la moindre chance d’être entendue ?
« Sic tansit gloria muni », ou à tout le moins : « sic transit gloria francophoniae librariae »…
Au revoir monsieur Kherad. Ce fut un plaisir de vous entendre, un plaisir riche de souvenirs, et ce fut un honneur de vous rencontrer et d’échanger quelques mots avec vous à la récente foire du livre de Bruxelles.
Les surprises de la Foire du Livre
- Par Liliane Schraûwen
- Le 19/04/2024
- Commentaires (328)
- Dans De la littérature
(Texte publié dans les « nouvelles du jour » de la revue Marginales en collaboration avec Le Soir)
En notre joli et tout petit royaume vit un écrivain de sexe féminin — c'est-à-dire une écrivaine, si l’on accepte de se fondre dans l’air du temps, de se couler dans le wokisme, le féminisme exacerbé et le prétendu « éveil » contemporains. Elle ne se nomme pas Amélie mais Hélène, Hélène Untel pour être précis, et sa notoriété est restreinte. Elle a pourtant publié une vingtaine d'œuvres, tous genres confondus. Pour un éditeur français, elle avait également accouché d’un gros ouvrage de commande consacré aux affaires criminelles qui, depuis le moyen-âge, ont dans nos provinces défrayé la chronique.
Du coup, comme on dit aujourd’hui, la directrice de collection d’une maison d’édition belge l’a un jour contactée.
Hélène connaissait cet éditeur, relativement récent et spécialisé dans les livres « grand public » : mémoires de ministres, de présentateurs de journaux télévisés et autres personnalités médiatiques, histoires de flics ou de légistes, enquêtes, souvenirs de coureurs cyclistes, portraits de couples royaux, biographies de stars du foot…
— J’ai une proposition à te faire, lui dit l’éditrice. Tu connais sans doute « L’Instant T », l’émission quotidienne qui passe sur les antennes de notre radio nationale ?
— En effet. Il m’arrive de l’entendre lorsque je suis au volant.
— Tu sais donc que c’est le fameux Ludovicus-Johannes Lebuisson qui en fait la notoriété.
— Bien sûr, répondit Hélène. Difficile de ne pas le connaître ! Cela fait plus de vingt ans qu’on ne peut guère échapper à son visage, à sa voix et à son phrasé grandiloquent.
L’autre lui expliqua que la prod (entendez : la société de production responsable de la diffusion des innombrables « Instants T » et de tout ce qui les accompagne) envisageait une série de ces Instants centrée sur les meurtres et autres abominations spécifiques à notre sympathique pays.
— Il nous en faudrait une dizaine, qui donneraient lieu à un livre dont monsieur Lebuisson assurera la promotion avant de lire les textes sur antenne. Pourrais-tu être « la plume » de ce projet ? Nous savons que tes « Grandes affaires criminelles de Belgique » publiées naguère en France ont bien marché…
— Je vais y réfléchir…
— Bien sûr, tu auras un contrat en bonne et due forme, tu percevras des droits d’auteur. Et dans la mesure où il s’agit d’une commande, tu toucheras une avance importante à la remise du manuscrit.
— Je te donnerai ma réponse d’ici quelques jours.
Pour la forme, Hélène fit mine d’hésiter. Mais elle savait déjà qu’elle accepterait la proposition, pour bien des raisons, la première étant qu’un joli chèque serait le bienvenu. « Pour une fois que la littérature nourrit son homme — ou sa femme ! » se dit-elle. Et puis, elle éprouvait un certain plaisir à effectuer des recherches dans les bibliothèques, à consulter de vieilles archives, à dépouiller la presse du temps jadis. Nostalgie sans doute de ses années universitaires… En outre, plusieurs sujets qu’elle avait envisagé de traiter dans ses fameuses « Grandes affaires criminelles de Belgique » dormaient dans le ventre de son ordinateur, certains à l’état d’ébauche, d’autres à demi rédigés.
Elle se mit donc au travail. Un travail qui, cela n’étonnera personne, fut long, exigeant, parfois ardu. Enfin, le livre fut édité sous une couverture tape-à-l’œil comme il sied à ce genre de publication. Le titre jaune vif occupait le tiers de l’espace, surmontant l’image d’un poignard sanglant. Sur le troisième tiers, on pouvait admirer une photo de l’illustre Ludovicus-Johannes Lebuisson, accompagnée d’une épaisse accroche jaune flashy : « Histoires vraies racontées par LUDOVICUS-JOHANNES LEBUISSON ». Le nom d’Hélène était mentionné, lui aussi, en caractères beaucoup plus discrets : « Textes de Hélène Untel ».
Il y eut des articles dans la presse, des interviews du « conteur qui captive tous les après-midis les auditeurs de l’émission L’Instant T… », sans que le nom de l’auteur des textes fût cité. Hélène râla un peu, mais elle se dit que bon, c’est ainsi que cela se passe, et de toute façon, si cet ouvrage alimentaire était bien ficelé et assez réussi, ce n’était cependant pas « de la grande littérature »…
Quelque temps plus tard, elle apprit incidemment que « la prod » avait décidé de ne pas diffuser ses créations sur antenne. Sans doute son style n’était-il pas assez oratoire, à moins qu’il fût trop littéraire. Tant pis pour le faux comte russe qui avait trucidé une antiquaire, tant pis pour « le beau Gustave », pour l’affaire Caumartin-Sirey et pour quelques autres. Tout cela n’était pas très grave.
— L’incident est clos, se dit-elle. J’ai fait le job, le livre existe, je percevrai les droits annoncés. C’est très bien ainsi.
Quelques mois passèrent, jusqu’à ce jeudi 4 avril 2024, date d’ouverture de la Foire du Livre de Bruxelles. Hélène était attendue chez deux de ses autres éditeurs, où elle devait signer romans et nouvelles. Les amateurs le savent : cette « plus grande librairie du pays » se tient sur le site de Tour et Taxis. Les stands MEO et Quadrature se trouvaient tous les deux dans le hall numéro 2 ; or, avant d’atteindre le 2, il faut très logiquement passer par le 1. L’auteur-point-médian-rice, ainsi que l’indiquait son badge, laissa à sa droite le Salon des Auteurs de la SCAM (sans féminin ni point médian cette fois), et parcourut d’un pas pressé les espaces Actes Sud, l’École des Loisirs, Québec éditions, Racine et quelques autres. À sa gauche, en face du podium de la RTBF et juste avant l’entrée du « shed 2 » (en français dans le texte), il y avait le très vaste emplacement 139-140 qui regroupait plusieurs éditeurs. Derrière une rangée de tables couvertes de piles de bouquins, des chaises attendaient les auteurs de premier rang qui viendraient dédicacer leurs œuvres, et des affichettes annonçaient leur nom et l’heure du rendez-vous.
Hélène s’arrêta net. Sur l’une des tables, c’étaient une centaine d’exemplaires de son sanglant ouvrage de commande qui s’empilaient.
Interloquée, car on ne lui avait pas annoncé cette séance de signature, mais flattée quand même, elle s’approcha… et découvrit le texte de l’affichette de présentation : LUDOVICUS-JOHANNES LEBUISSON dédicacera son livre à 17 h.
La surprise passée, Hélène sentit monter la colère. Non mais… Depuis quand invite-t-on un quidam, même s’il est (relativement) célèbre, à dédicacer un volume dont il n’a pas écrit une ligne et que, à en juger par certains de ses propos en interview, il n’a sans doute pas lu ? Bien sûr, ce sont son nom, son visage et surtout la référence à l’Instant T qui attireront les amateurs… Mais la moindre des choses n’aurait-elle pas été de convier l’auteur, le vrai, à s’asseoir à ses côtés et à co-signer « son livre » ?
Elle était attendue chez MEO à midi. Accueil sympa, comme toujours, retrouvailles et rencontres d’autres auteurs (authentiques, ceux-là), discussions, échanges, découvertes… Elle raconta l’anecdote lebuissonesque à qui voulait l’entendre, et fut à la fois rassurée et réconfortée par les réactions indignées ou incrédules de ses confrères.
— Tu devrais aller lui parler, lui suggéra un ami, lui dire ce que tu penses de tout cela.
— Je t’accompagnerai, lui dit un autre.
— Moi, je filmerai la rencontre, ajouta l’assistante de monsieur MEO.
Hélène Untel se rendit donc, à 17 h précises, à proximité de la table sur laquelle trônaient ses crimes. Pas de Ludovicus-Johannes Lebuisson à l’horizon car, comme chacun sait, le propre des stars est de se faire désirer. Un chaland, planté devant la chaise vide du médiatique monsieur Instant T, patientait.
Hélène s’approcha.
— Bonjour, monsieur. Puis-je vous demander ce que vous attendez ?
L’homme la regarda en lui montrant le livre qu’il serrait sur son cœur.
— J’attends Ludovicus Lebuisson, bien sûr. Je suis un fan, j’ai acheté son livre, et je vais le prier de me le dédicacer.
— Je comprends, fit Hélène. Cet ouvrage, vous savez qui l’a écrit ?
— Évidemment, c’est indiqué sur la couverture : c’est Ludovicus-Johannes Lebuisson.
— Ah bon ? Vous êtes sûr ? rétorqua Hélène en lui montrant sur ladite couverture la très discrète mention de son nom : « Textes de Hélène Untel », avant de lui mettre sous le nez le badge « auteur·rice » accroché à son écharpe, sur lequel figurait – forcément – le même nom.
L’homme la regarda, incrédule.
— C’est vous qui l’avez écrit ?
— Mais oui, vous le voyez bien.
Il réfléchit un instant, hésita, puis :
— Dans ce cas, vous voulez bien me le dédicacer ?
— Avec plaisir, répondit-elle en retenant le rire qu’elle sentait monter.
À Didier, avec l’amitié du véritable auteur de ce livre, inscrivit-elle, cependant que Ludovicus-Johannes Lebuisson arrivait enfin, lançant un regard courroucé à l’inconnue qui se permettait de gribouiller dans SON livre. Le fan s’avança, lui présenta l’ouvrage ouvert à la page déjà annotée par « le véritable auteur » qui s’était éloigné de quelques pas.
Hélène attendit que l’illustre personnage en eût terminé avec les quelques amateurs de dédicaces qui lui tendaient leurs livres. Puis elle passa derrière lui, lui frappa sur l’épaule. Il se retourna, lut son nom sur le badge épinglé à son revers.
— Ah, c’est vous ! dit-il avec son grand sourire télévisuel.
— Oui, c’est moi qui ai écrit ce livre…
Il y eut un moment de silence, puis elle enchaîna, avec toute la politesse et tout le calme dont elle était capable.
— À ce propos, je voudrais vous poser une question. Comment se fait-il que je n’aie pas été invitée à vous tenir compagnie derrière cette table, et à dédicacer avec vous cet ouvrage dont, somme toute, je suis l’auteur ? Ou au moins avertie, tout simplement ?
Il hésita un instant.
— Ce n’est pas moi qui décide. C’est l’éditeur qui a tout organisé, je n’y suis pour rien…
— Je comprends. Mais si j’avais été à votre place, j’aurais quand même suggéré à cet éditeur d’inviter l’auteur à co-signer avec moi… L’avez-vous fait ?
La star s’énerva.
— Mais je vous le répète : je n’y suis pour rien. Moi, je me contente de rendre service à l’éditeur. Je ne toucherai pas un centime pour cela, ni sur les ventes. Vos textes ne seront même pas diffusés sur antenne.
Hélène avala sa salive. Le « même pas » était de trop…
— Écoutez, monsieur Lebuisson, que cet ouvrage soit bon ou mauvais, là n’est pas l’affaire. C’est moi qui l’ai écrit, voilà tout. L’auteur, c’est moi, Hélène Untel. N'avoir pas pris la peine de m'aviser de cette séance de dédicace de MON livre par quelqu'un qui n’en a pas écrit une ligne, c’est un manque de respect, de politesse, de civilité, de…
Un petit attroupement s’était formé. L’illustre Dubuisson éleva la voix.
— Asseyez-vous donc, et signez avec moi, puisque vous y tenez ! Et je vous le répète : c’est à l’éditeur que vous devez vous en prendre, pas à moi.
Hélène haussa le ton, elle aussi.
— Vous n’avez rien compris, monsieur. Je me fiche bien de signer à vos côtés, je ne cherche pas ici une vaine gloriole. Je suis d’ailleurs censée dédicacer ailleurs mon dernier roman et quelques-uns de ceux qui l’ont précédé, en ce moment. Simplement, je suis choquée du surprenant manque de considération dont fait preuve ici l’éditeur… tout comme ceux qui, de toute évidence, n’ont pas pensé à lui rappeler que cette œuvre est le fruit du travail d’un écrivain véritable, d’un auteur qui y a consacré du temps et de l’énergie.
Elle ne put aller plus loin, interpellée – pour ne pas dire agressée – par une dame tirée à quatre épingles à l’allure imposante et au maquillage… très apparent. Son badge indiquait son nom et la fonction : attachée de presse.
— Que se passe-t-il ? Que voulez-vous ?
Hélène respira un grand coup pour se calmer, puis expliqua.
— Je suis venue aujourd’hui pour signer certaines de mes œuvres sur les stands MEO et Quadrature, et j’ai découvert, en passant devant l’espace 139-140, que monsieur Lebuisson allait dédicacer à 17 h cet ouvrage, dont JE suis l’auteur. Je m’étonne donc que…
— Ce n’est pas vrai, rétorqua le désagréable personnage.
— Comment cela, ce n’est pas vrai ?
— Vous n’avez rien découvert. Vous le saviez très bien. D’ailleurs, vous vous êtes déjà plainte.
— Mais… mais… Je n’étais au courant de rien, je ne suis pas venue à la soirée d’inauguration, je suis arrivée tout à l’heure, vers midi, je suis passée devant les tables, j’ai vu mes livres et l’affichette, je…
— De toute façon, c’est ainsi, voilà tout. Et si vous voulez discuter avec un quelconque membre de l’équipe éditoriale, sachez qu’il n’y aura personne, ni aujourd’hui, ni demain… D'ailleurs, c’est monsieur Lebuisson qui assure le succès de ce livre.
Hélène se fâcha pour de bon.
— Je vais vous répéter ce que j’ai dit déjà à votre monsieur Lebuisson. Quel que soit le personnage responsable de ce prétendu « oubli », c’est un manque de la plus élémentaire considération envers le travail et la personne de l’écrivain. J’ai peine à concevoir une telle absence d’éducation, de civilité, de correction, de…
— Eh bien, fit la mégère, installez-vous et dédicacez, puisque c’est cela que vous voulez !!!
Hélène renonça à lui redire ce qu’elle avait déjà tenté d’expliquer à l’illustre Ludovicus-Johannes. Madame l’attachée de presse, d’ailleurs, avait tourné les talons sans plus attendre, avec la grossièreté qui semblait lui être coutumière, et s’en était allée vers d’autres horizons.
Hélène s’éloigna, elle aussi, en se disant que cette histoire aurait du moins l’avantage de lui donner matière à une nouvelle. Le proverbe a raison, songea-t-elle, qui affirme qu’à quelque chose malheur est bon.
Tout n’était donc pas perdu.
Adieu à "La librairie francophone"
- Par Liliane Schraûwen
- Le 14/05/2024
- Commentaires (244)
- Dans De la littérature
Je fais partie quelque 560 auteurs et autres « membres de la chaîne du livre » signataires de la pétition adressée à France Inter pour protester contre la suppression de l’émission « La librairie francophone ». Comme sans doute les 559 autres signataires, j’ai donc reçu un aimable mail émanant de « mediatrice@radiofrance.com » dont voici le contenu :
Une manière élégante de nous dire… que nous n’avons rien à dire, que c’est comme ça, voilà tout, que la décision de supprimer La librairie francophone est irréversible et qu’Emmanuel Khérad a été (mais n’est plus) « un excellent ambassadeur » qu’il convient de remercier, dans tous les sens du mot.
Aucune explication, bien entendu, aucune justification. Aucune réponse anticipée à la question que, forcément, l’on se pose : si, comme l’écrit madame médiatrice sans doute inspirée par monsieur Chat GPT, « une nouvelle émission sur la littérature francophone sera à l’antenne dès la rentrée », alors même que celle que l’on enterre aujourd’hui était « de qualité »… comme toutes celles qu’Emmanuel Khérad « a proposées aux éditeurs durant toutes ces années », pourquoi donc la supprimer ?
Voulez-vous que je vous dise ? Ceci démontre que France Inter et, dans la foulée, que toutes les instances auprès desquelles on pétitionne à tour de bras, n’en ont rien à cirer, rien à foutre, rien à br***. À l’ère des réseaux prétendument sociaux sur lesquels chacun peut dire et écrire n’importe quoi, vitupérer sur tout et sur rien, répandre menaces, fake news et propagande en tout genre, à l’ère où X, Instagram, Tik Tok et le vétuste Facebook des vieux internautes ont remplacé livres et journaux, en ces temps où CULTURE ne rime plus avec écriture ou littérature mais plutôt avec déconfiture, enflure, caricature ou injure quand ce n’est pas avec CENSURE ou DICTATURE, à l’heure des émeutes ici ou là, des occupations d’universités, des manifestations pour toutes sortes de causes parfois discutables…, en ces temps où influenceurs et influenceuses dirigent les goûts et les passions de nos ados…, qui s’intéresserait, je vous le demande, aux « pétitions » de plumitifs tout juste bons à produire des livres que personne ne lit ?
Et, globalement, en quoi une pétition qui ne serait ni accompagnée de jets de pierres ou de cocktails molotov, ni soutenues par des troupeaux d’émeutiers en colère, aurait-elle la moindre chance d’être entendue ?
« Sic tansit gloria muni », ou à tout le moins : « sic transit gloria francophoniae librariae »…
Au revoir monsieur Kherad. Ce fut un plaisir de vous entendre, un plaisir riche de souvenirs, et ce fut un honneur de vous rencontrer et d’échanger quelques mots avec vous à la récente foire du livre de Bruxelles.
Lettre ouverte à madame Bénédicte LINARD
- Par Liliane Schraûwen
- Le 22/11/2023
- Commentaires (605)
- Dans Colère
Madame la Ministre et chère ex-collègue…
Je savais déjà que vous cumuliez une foultitude de casquettes et de très hautes responsabilités aussi multiples que diverses, puisque vous êtes depuis le 17 septembre 2019, si j’en crois l’incontournable Wikipédia et quelques autres sources sans doute plus sérieuses : ministre de la Culture, de l'Enfance, des Droits des femmes, de la Santé et des Médias au sein du gouvernement de la Communauté française.
Bigre ! Tout cela pour une seule personne… Vous voilà donc appelée à gérer des secteurs pour le moins disparates. Car l’on ne peut que s’interroger sur les rapports entre « culture », « enfance », « droits des femmes », « santé » et « médias »… Certes, la culture et les médias ont entre elles quelque lien. Pour le reste, c’est plus nébuleux.
Je découvre également que nous avons toutes deux fait nos candidatures à Saint-Louis puis obtenu notre licence en langues et littérature romanes et notre agrégation à Louvain. Et que nous avons toutes deux enseigné le français, mais à quelque vingt années de distance, au sein du même établissement, c'est-à-dire à l’Institut des Sœurs de Notre-Dame d’Anderlecht… où d’ailleurs vous avez peut-être été mon élève…
Mais ce n’est pas pour évoquer Saint-Louis et son mémorable CAU, Louvain ou l’ISND que je prends aujourd’hui la liberté de m’adresser à vous. D’autant que nos voies ont ensuite divergé. Je ne me suis pas lancée en politique, je n’ai quitté l’enseignement (qui fut pour moi plus qu’une passion) que contrainte et forcée par cette horrible limite « au-delà de laquelle votre ticket n’est plus valable ». J’ajoute que ce métier exigeant et magnifique, je l’ai pratiqué tout en écrivant et publiant une vingtaine de ces « livres » que vous refusez aujourd’hui d’aider à survivre, ainsi que leurs auteurs, éditeurs et autres intervenants.
Ce n’est donc pas à une consœur ex-enseignante que je souhaite m’adresser ici, ni à une possible ancienne élève, mais à l’auguste ministre de la Culture. Celle-là même dont j’apprends avec incrédulité et colère — et le mot est faible — qu’elle se serait « positionnée clairement contre l’absence totale de refinancement du secteur Lettres et Livres, dont le budget ne dépasse pas 4 millions d’euros » (source : Partenariat Interprofessionnel du Livre et de l’Édition numérique), et cela alors que, selon la même source : « les montants alloués aux programmes de lettres et livres ne représentent déjà aujourd’hui que 0,4 % de l’ensemble des budgets culturels alloués. Malgré la forte inflation des années précédentes, le secteur n’a reçu aucune augmentation, pendant que (et même si nous nous en réjouissons pour eux) les Arts de la scène engrangent 35 millions d’euros supplémentaires (ils passent de 110 à 145 millions d’euros) ».
Pourtant, sauf erreur de ma part, il y a 5 mois à peine, l’on pouvait lire sur votre site officiel que : « à l’initiative de la ministre de la Culture Bénédicte Linard, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté ce jeudi un avant-projet de décret visant à mettre en place un cadre légal pour renforcer et pérenniser les subventions existantes dans le secteur des langues, des lettres et du livre en Belgique francophone ». Il était question aussi, dans cet article d’autopromotion, « d’assurer la pérennité des politiques menées dans le secteur des langues, du livre et des lettres, qui ne bénéficiait jusqu’alors d’aucun cadre légal », de « favoriser la professionnalisation et stimuler l’émergence de nouveaux talents ». Je me délecte, poursuivant mon exploration, de lire sous votre plume que « Soutenir le secteur du livre et l’accès à la lecture pour le plus grand nombre est essentiel. (…) Dorénavant, grâce à ce nouveau décret, les procédures de subventionnement dans ce secteur du livre et de la langue française seront objectivées et donc plus transparentes, au bénéfice de tous les acteurs concernés. Nous allons ainsi soutenir les autrices et les auteurs, et permettre à toujours plus de citoyens d’accéder au livre, à la lecture, à la littérature ».
Réjouissant programme, qui étrangement débouche sur l’actuelle mort assistée de ce même secteur du livre, par le biais d’une absence de refinancement et même d’indexation dudit secteur qui, d’ailleurs, était entré en agonie voici belle lurette.
L’on sait que les mots « politique » et « respect des promesses » ou « honnêteté morale » ne font pas nécessairement bon ménage. L’on peut comprendre aussi que, sous vos cinq lourdes casquettes, votre crâne se trouve quelquefois en surchauffe. Mais quand même, madame la ministre-romaniste-transfuge de l’Enseignement… Dois-je vous rappeler ce qu’est un LIVRE, quelles en sont l’importance et la fragilité ? Dois-je évoquer pour vous le temps que demande la rédaction d’un roman, sans même parler d’essais ou d’ouvrages scientifiques ? Me faut-il peindre l’image romantique du pauvre plumitif tremblant de froid dans sa triste chambre de bonne et noyant dans l’absinthe sa misère et sa faim ? Est-il utile de redire à la romaniste que vous fûtes ce que représente de travail, de recherches, d’investissement, de souffrance parfois, la moindre plaquette, le plus minime opuscule ? Dois-je vous rappeler que la mort du livre s’accompagne souvent d’une mort de la démocratie et de la liberté, en vous renvoyant à vos cours d’histoire et aux autodafés qui, toujours et partout, ont été les signes avant-coureurs de la dictature et de la tyrannie ?
Oui, je sais : nos charmants bambins aujourd’hui ne lisent plus guère, ou alors (dans le meilleur des cas) des mangas et surtout, sans réserve, des post Tiktok ou Insta, des « réels », des « visuels », sans texte, sans autres idées que celles d’une propagande religieuse, politique ou conspirationniste, selon les cas.
Pour le reste… Nous sommes entrés dans l’ère de l’autoédition. De nos jours, « un simple clic » suffit à publier — au sens étymologique du terme — tout et n’importe quoi. Mais le VRAI livre, choisi, accepté, relu, défendu, par un VRAI éditeur, il reste irremplaçable s’il faut bien constater qu’il se meurt lentement. Mais, je vous le demande, ne serait-il pas opportun de l’assister de l’une ou l’autre perfusion bienvenue, de pratiquer sur lui un énergique massage cardiaque, de lui greffer quelque organe tout neuf afin, peut-être, d’en prolonger l’existence ou même, on peut toujours rêver, de lui rendre jeunesse, force et santé ? Alors, peut-être, il quittera sa couche, se lèvera à nouveau, combattra ayatollahs et faux prophètes, et les gamins pourront fantasmer sur autre chose que les exploits sportifs de leurs idoles, et les jeunes filles s’intéresseront à autre chose qu’aux influenceuses tiktokeuses qui depuis Dubaï ou ailleurs leur expliquent comment ressembler à une poupée gonflable à l’abyssale crétinerie, siliconée et hyaluronisée.
Mais tout cela sans doute n’est guère porteur, ni dans l’air du temps. Et l’on sait qu’en politique, il convient de plaire au plus grand nombre. L’on sait encore que les gens incapables de lire sont aussi incapables de réfléchir, et constituent un vivier d’électeurs manipulables à merci…
J’en suis certaine, telle n’est pas la cause de votre surprenant retournement de veste. Sans avoir la prétention d’avoir pu vous convaincre de quoi que ce soit, j’ose néanmoins espérer, Madame la Ministre et chère ex-collègue, vous avoir offert dans ces quelques lignes certains éléments de réflexion…
AUTEURE, AUTRICE OU AUTEURICE ?
- Par Liliane Schraûwen
- Le 11/12/2022
- Commentaires (3438)
- Dans Société
J’ai découvert, au hasard d’une émission littéraire, l’existence d’une maison d’édition que je ne connaissais pas. J’ai eu la curiosité de me renseigner, et j’ai donc consulté le site de ladite maison.
Cela m’a permis de visionner la liste-trombinoscope des AUTEURICES (sic) qu’elle publie. Si si, je vous assure, vous avez bien lu. Ce qui ne l’empêche pas de se présenter, sur le même site, comme une maison « qui publie chaque année des romans, novellas et recueils de nouvelles D’AUTEURS FRANÇAIS ET ÉTRANGERS ». Cherchez l’erreur…
Même dans le monde de la science-fiction, qui constitue le genre-phare de cette maison, ce mot est un non-sens (et une monstruosité). J’ai souvent rencontré des AUTEURES et des AUTRICES (deux catégories auxquelles je me refuse d’appartenir, bien décidée à demeurer à jamais UN AUTEUR, même si en l’occurrence cet auteur est sans conteste une femme, de même que je suis un PROFESSEUR et même un ÉCRIVAIN, tous de sexe féminin, et — tant qu’à faire — UN être humain.
Mais du moins les néologismes d’AUTEURE et d’AUTRICE s’inscrivent-ils dans une certaine logique linguistique, tout comme les mots INSPECTRICE, ACTRICE, CONDUCTRICE, MINEURE, PRIEURE ou SUPÉRIEURE, depuis longtemps entrés dans l’usage et les dictionnaires.
Car, rappelons-le, c’est l’usage qui fait évoluer une langue (et ce n’est pas le bon monsieur Grevisse qui m’aurait contredite), et non les ukases à connotation “politiquement correcte” ou “dans l’air du temps” de démagogues de tout poil ou de militantes féministes. Bien sûr, si ces féminisations et autres inclusivités avaient le moindre impact sur le nombre de “violences faites aux femmes”, sur le mépris dont trop souvent elles restent l’objet, si ces fadaises linguistiques permettaient de diminuer le nombre de meurtres, de viols, de mutilations, d’agressions, de “coups et blessures” dont elles sont victimes, eh bien, mon Dieu, peut-être me convertirais-je à cette religion nouvelle et j’inclusiverais à tout va, moi aussi. Mais de toute évidence, il n’existe aucun rapport entre ces tristes réalités et la prétendue bonne conscience syntaxique qui se répand aujourd’hui. Au contraire, suis-je tentée de dire.
Quoi qu’il en soit, constater qu’un éditeur, un vrai, qui ne semble pas pratiquer le compte d’auteur revendiqué ou déguisé, utilise ce néologisme aussi ridicule que barbare, cela a de quoi faire frémir…
Quant à moi, je ne risque pas, en tout cas, de lui proposer l’un ou l’autre manuscrit. Et je reviens à mon mantra préféré : “la connerie humaine est sans limites”…
ET TANT QU’À FAIRE... VICTOR HUGO EN INCLUSIF, C’EST INTÉRESSANT (LES CHÂTIMENTS)
Celles et ceux qui vivent, ce sont celles et ceux qui luttent ; ce sont
Celles et ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front,
Celles et ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime,
Celles et ceux qui marchent pensif.ve.s, épris.e.e d’un but sublime,
(...) C’est le-la prophète.sse saint.e prosterné.e devant l’arche,
C’est le-la travailleur.euse, pâtre.sse, ouvrier.ère, patriarche ;
(...) Inutiles, épars.e.s, iels traînent ici-bas
(...) Iels sont les passant.e.s froid.e.s, sans but, sans nœud, sans âge ;
(...) Oh non, je ne suis point de celles et ceux-là ! grand.e.s, prospères,
Fier.ère.s, puissant.e.s, ou caché.e.s dans d’immondes repaires,
ET SI ON RÉÉCRIVAIT LES PENSÉES DE PASCAL ?
« L’homme-la femme n’est qu’un.e roseau.elle, le.la plus faible de la nature; mais c’est un.e roseau.elle pensant.e. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le.la tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme-la femme serait encore plus noble que ce qui le.la tue, parce qu’iel sait qu’iel meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui.elle, l’univers n’en sait rien. »
...ET DE LETTRES VOUS N'AVEZ QUE LES TROIS QUI FORMENT LE MOT "SOT"
- Par Liliane Schraûwen
- Le 27/11/2022
- Commentaires (272)
- Dans De la littérature
Un facebookien amateur de (belles) lettres publia récemment dans ses « impressions de lectures » quelques lignes relativement sympathiques sur mon dernier recueil de poèmes, ce dont je le remercie (« Traces perdues », éd. Bleu d’encre).
Un cuistre distingué, aussitôt, répondit à sa chronique par quelques lignes venimeuses dont je vous livre ici le contenu.
« On attend d'un poème qu'il fasse preuve de nouveauté, d'images jamais lues, de thèmes riches et féconds, d'émotion. (…)
Quelle déception quand, au fil des pages, se lèvent tant de clichés, de banalités, de stéréotypes, de poncifs, comme si l'auteur, reliant des thèmes intéressants (l'enfance, le temps qui ronge, les voyages), les banalisait, les reniait à force d'images convenues, mille fois lues. (…) Dommage. L'auteur eût pu resserrer son propos (146 pages) et condenser son écriture. Dommage pour l'excellent éditeur. Signé : Ph. Lx »
Lorsqu’on sait que le pseudonommé (si je puis me permettre ce néologisme) Ph. Lx est lui-même poète, auteur d’un nombre étonnant de textes édités (114 si j’en crois Wikipédia, excusez du peu), et est en outre l’un des administrateurs de l’AEB (Association des écrivains belges de langue française) dont est membre la pauvre petite plumitive que je suis, la chose ne manque pas de sel.
Je lui ai donc adressé une réponse quelque peu ironique, mais moins insultante (ou méprisante, c’est selon) que l’était son texte :
« Réponse au commentaire féroce de Philippe Leuckx à la critique que Denis Billamboz a publiée de mon dernier recueil de poésie, « traces perdues » (éd. bleu d’encre)
Chacun, monsieur le censeur, est évidemment libre d’apprécier ou non, d’admirer ou de détester toute forme de création artistique (littéraire, picturale, musicale ou autre).
Il me semble néanmoins que descendre en flèche un ouvrage (je n’ose pas écrire : « l'œuvre d’un autre poète ») ainsi que vous le faites ici, cela relève à la fois de la méchanceté gratuite, d’une certaine outrecuidance, d’une supposée supériorité et de prétendues compétences qui restent très discutables. Quant à moi, plus modeste sans doute que vous, ou moins perfide et teigneuse, lorsque je n’aime pas tel ou tel ouvrage, je le confie — peut-être — verbalement à certains de mes proches, je m’exprime dans un cercle restreint. Je ne déverse pas mon fiel sur FB, je n'émets pas de jugements à l’emporte-pièce, je ne m’attache pas à nuire urbi et orbi sur les réseaux sociaux (ou en cette occurrence asociaux), à tel ou tel de mes confrères que j’estimerais — à tort ou à raison — moins digne que moi de porter le nom de « poète »…
Il est vrai que sans doute je n’aurais aucun droit à agir de la sorte, moi qui n’ai pas comme vous à mon actif plusieurs centaines (!!!) de textes, courts ou moins courts, poétiques ou critiques. Bref, je ne suis pas quant à moi « un Grrrrand Poète » autoproclamé, je ne suis pas non plus administratrice de l’AEB ni d’aucune autre association culturelle. Et je me permettrai d’ajouter que je ne suis pas, comme certains, en quête permanente d’honneurs ou de reconnaissance (surtout s’il s’agit de la reconnaissance de cuistres malfaisants), quitte, pour cela, à pontifier gravement sur les « clichés, banalités, stéréotypes et autres poncifs » d’une autre plumitive, sans même parler de votre sympathique appréciation « d'images convenues, mille fois lues ». Venant de vous, la charge est étonnante autant que fielleuse.
Non seulement votre propos dégoulinant de venin risque d’ôter à tout lecteur potentiel le désir de découvrir mon recueil, mais il va jusqu’à se permettre de porter un jugement sur l’éditeur qui, en cette occurrence, a eu le grand tort de me publier (alors que peut-être il aurait refusé l’un ou l’autre de vos chefs-d’œuvre ???). Un tel commentaire, lui, risquerait de me nuire non pas auprès d’éventuels et rares amateurs de poésie, mais auprès de cet éditeur ou de ses confrères. Bleu d’encre, grâce au ciel, est dirigé de main de maître par un autre « professeur » et écrivain qui se fie à son propre jugement, et non aux ukases venimeux de certain gendelettre prolifique autant que désobligeant ou agressif.
Par ailleurs et même si cela n’a pas vraiment de lien avec le sujet qui m’occupe ici, je vais me permettre, cher collègue, de vous révéler que je suis tout comme vous, si je m’en réfère à votre page Wikipédia, « professeur de français, d’histoire de l’art, de philosophie » et de quelques autres disciplines, comme le latin et l’histoire. Mais tout ceci ne constitue évidemment ni un titre de gloire, ni une preuve de talent : j’en suis d’accord, monsieur le censeur-professeur-critique et surtout monsieur-le-poète rempli d’autant de vanité que de maîtrise revendiquée, voire de génie supposé…
Je conclurai cette réaction en ajoutant que je ne puis m’empêcher de songer que, peut-être, votre hargne et votre mépris à l’égard de mon recueil ont d’autres sources que ma prétendue et triste incompétence littéraire (surtout lorsqu’on la compare à l’incommensurable génie du prolifique et autoproclamé maître en la matière, l’inénarrable Philippe Leuckx). Je me souviens en effet de l’incident qui, in illo tempore, m’avait amenée à quitter l’AEB, et des textes (déjà) aussi féroces que violents et remplis de mépris que ce sympathique censeur avait diffusé tous azimuts en cette occasion. Auriez-vous donc la rancune tenace, en plus de prendre plaisir à humilier vos confrères ? “
J’ai su, par ailleurs, que des « amis » connus et inconnus avaient réagi à son post assassin avec moins de nuances que je l’avais fait moi-même (ce qui m’a réconfortée, je le confesse). Courageusement, ce noble et prolifique scribouillard a aussitôt supprimé son message et, dans la foulée, toutes les réactions qu’il avait suscitées, parmi lesquelles mon propre texte. Pour plus de sécurité, il semble bien m’avoir « bloquée » et donc empêchée de savourer les jérémiades fielleuses et narcissiques qu’il dispense généreusement sur sa page FB.
Malheureusement pour lui, les réseaux prétendus sociaux ont ceci de positif qu’ils permettent de « partager » tous azimuts textes et images, ce dont je ne me suis pas privée…
Et, malgré mes incommensurables faiblesses en matière de poésie, du moins si j’en crois l’illustre Ph. Lx, je me suis amusée à relater cette ridicule affaire en quelques alexandrins pastichant l’illustre Edmond Rostand, vers de mirliton peut-être, et riches sans doute de « clichés » et autres « images convenues », mais qui m’ont divertie, et divertiront de même, je l’espère, mes (rares) lecteurs.
Quand un cuistre pédant se prend pour un expert © Liliane Schraûwen 2022
Il y a par chez nous en terre de Belgique
Comme partout ailleurs des crétins maléfiques
Tristes ayatollahs proférant des sentences
Décidant à tout va ce qu’il faut que l’on pense
Ce qu’il faut qu’on écrive et comment on le dise
Justifiant leurs propos par leur grande maîtrise
Sachant mieux que personne à quoi la poésie
Se doit de ressembler afin de faire envie
Il en est un certain qui meilleur que ses pairs
Vous regarde de haut en prenant de grands airs
Il éructe sans honte et juge vos « poncifs »
En des mots méprisants tristement corrosifs
Avec autant d’aplomb que de forfanterie
S’appuyant pour cela sur son propre génie
Attesté par le nombre de ses publications
Qui dépassent de loin d’Amélie Nothomb
La somme impressionnante des titres produits
En trente ans d’écriture de moult manuscrits
Il vous juge en expert mentionne vos « clichés »
Évoquant ce qu’il nomme vos « banalités »
Car « quelle déception » pour ce triste pédant
Pour ce cuistre sinistre et toujours malveillant
De lire « au fil des pages » les « stéréotypes »
D’une pauvre consœur qu’il aurait prise en grippe
Et qui, la malheureuse, ne peut que « renier »
Ce qui fait semble-t-il du grand art la beauté
« Images convenues »
Et « mille fois relues »
Autant de compliments venant d’un connaisseur
Vaniteux suffisant qui se croit supérieur
Et pour qui je voudrais parodier Cyrano :
« Mais d'esprit, ô le plus lamentable des êtres,
Vous n'en eûtes jamais un atome, et de lettres
Vous n'avez que les trois qui forment le mot : sot ! »
(Edmond ROSTAND, Cyrano de Bergerac, acte 1, scène 4)
LA RAISON DU PLUS FORT ou LA FONTAINE EN UKRAINE
- Par Liliane Schraûwen
- Le 08/11/2022
- Commentaires (241)
- Dans Actualité
Quand l’agneau des plaines ukrainiennes se trouve confronté au féroce loup des steppes de Sibérie
La raison du plus fort est toujours la meilleure. Chacun sait cela depuis… depuis… depuis… Depuis longtemps. Depuis toujours.
Ce n’est pas le loup du bon monsieur de La Fontaine qui me démentira, et moins encore l’agneau qui fit les frais de sa démonstration. Ce ne seront pas non plus monsieur Poutine aujourd’hui, pas plus que le sympathique et dodu dirigeant de Corée du Nord, ni aucun des tyrans, dictateurs, despotes et autres autocrates passés, présents ou à venir qui contrediront cette évidence.
Cela a toujours été ainsi. Les gros poissons mangent les petits, les lions dévorent les gazelles, les aigles font un sort aux renards qui mangent les écureuils amateurs de glands et de châtaignes… Et tout au bout de ce qu’on nomme la chaîne alimentaire, les hommes omnivores se nourrissent de tout le reste.
Quoi de plus normal ? C’est ce que l’on appelle la loi de la nature. Dieu lui-même l’a voulu ainsi, à ce qu’il paraît. « Faisons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre » dit-il (Genèse 1, 2
6). Après quoi « il créa l’homme et la femme et leur dit : Soyez féconds, multipliez, remplissez la terre, et l'assujettissez ; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.… ».
L’on connaît par ailleurs la fameuse théorie du « mâle alpha » née de l’analyse du comportement des loups. Chez ces animaux comme chez bien d’autres, la meute, ou le groupe, sont dirigés par un individu plus puissant que ses congénères, qui a démontré sa supériorité au terme d’un long processus de compétition. C’est lui qui choisit les lieux de chasse, qui s’accouple avec les femelles élues, qui impose à tous sa loi. C’est aussi lui qui protège les plus faibles, femelles gravides, jeunes fragiles ou blessés. C’est lui, enfin, qui a droit de vie et de mort sur ses compagnons, avant qu’un autre plus jeune, plus fort, plus vigoureux ou plus beau arrive à prendre sa place pour devenir vizir à la place du vizir.
Et c’est ainsi que Cro-Magnon remplaça Néanderthal, qu’Attila le Hun domina les Ostrogoths et quelques autres pour régner sur un empire devenu légendaire, qu’Alexandre devint Grand, que Gengis Khan, que Tamerlan…
La raison du plus fort est toujours la meilleure pensa Vladimir en son cœur, tandis que Zelensky rêvait d’une société future sans agression ni invasion ni forfaiture. Mais un voisin en ces lieux arrivait, séduit par la beauté de ce ciel sans nuages et la fraîcheur de ses herbages. Tu seras châtié de ta témérité, cria Volodymir le courageux fieffé devant les peuples en colère. Il faudrait que tu considères que je vais convoquer l’OTAN toujours présent lorsque ses vieux amis l’appellent et que par conséquent, en aucune façon, tu ne peux mener ton action. Je le ferai, reprit cette bête cruelle, et je vaincrai les Ukrainiens ces enragés sans me soucier du droit ni de la liberté. Alors partout se répandit la guerre le sang et la haine entre frères. Mais Chez Poutine s’agitèrent les chiens qui ne voulaient plus la guerre dont ils espéraient la fin. Il est temps qu’à ce jour enfin les choses changent disaient certains en grand secret afin que de lui l’on se venge sans autre forme de procès… (versification et rimes d’origine) |
CRITIQUE OU RECENSEUR ?
- Par Liliane Schraûwen
- Le 14/05/2022
- Commentaires (3530)
- Dans Ecrire
Je l'avoue sans honte, j'ai été étonnée (et un peu attristée, sinon déçue) que mon dernier opus, L'ALPHABET DU DESTIN (éditions Quadrature, décembre 2021) ait été LE PREMIER (et donc le seul à ce jour) des quelque 21 ouvrages de mon cru à n'avoir fait l'objet d'aucun commentaire dans l'un de nos journaux nationaux, fût-ce d'une seule ligne annonçant sa sortie. D'autant que, j'ose le rappeler sans modestie, il m'est naguère arrivé maintes fois d'avoir droit à une pleine page (dans La Dernière Heure), à une double page (dans Paris-Match, mais il est vrai que c'était pour un roman publié à Paris…), à un article de plusieurs colonnes (La Libre). Notamment… Celui-ci pourtant n'est pas plus mauvais (ou moins bon) que les deux dizaines qui l'ont précédé. Il n'a pas été publié à compte d'auteur ni via l'un de ces sites qui, d'un simple clic…, mais chez un véritable éditeur, et non des moindres. Bizarre, pas vrai ?
J'ai donc pris le risque d'interroger par message interposé l'un de nos critiques attitrés. Avait-il bien reçu l'ouvrage ? Si tel n'était pas le cas, je pouvais le lui faire envoyer illico. Le souhaitait-il ? J'ai joint à cette proposition un texte de quelques lignes présentant ledit recueil de nouvelles, histoire de l'allécher… peut-être.
Fallacieuse illusion. Fiasco complet. Gifle virtuelle qui est bien le reflet du mépris dans lequel on tient, dans notre beau pays (et ailleurs, sans doute) les tristes plumitifs qui passent des mois, des années parfois, à peaufiner un roman ou un recueil, et cela même s'ils ont été déjà encensés par la critique, primés par le Parlement de la Communauté française et même finalistes au Prix Rossel.
Réponse — qui bien sûr m'a atterrée — et que je ne résiste pas au plaisir de vous citer ici : « C'est malheureusement trop ancien pour se glisser encore dans une actualité qui déborde de partout », réponse précédée d'une sibylline et incompréhensible explication selon laquelle « les recensions, qu'elles soient de moi ou d'autres, s'attachent rarement à une œuvre complète, au fur et à mesure des parutions. » Sans doute suis-je stupide ou frappée d'Alzheimer, mais je dois reconnaître que je n'ai pas bien saisi le sens de ce propos. Signifie-t-il que les critiques ne « recensent » que des ébauches, des extraits, des synopsis peut-être ? Qu'une œuvre complète n'a aucune chance de se voir « recensée » ? Que le mot « critique » a changé de sens pour prendre celui de « recenseur » ?
Oui, je sais, je ne m'appelle ni Amélie, ni Guillaume (Musso), ni Marc (Lévy), et moins encore Jean Teulé (ouf, ça c'est plutôt une bonne nouvelle). Je ne suis pas non plus « un espoir de la littérature », vu mon âge apparemment trop canonique pour intéresser les « recenseurs » qui oublient d'être des critiques, et vu aussi le nombre d'ouvrages portant déjà ma signature. Quelques-uns de mes éditeurs « historiques », des Éperonniers à Luce Wilquin en passant par Régine Deforges, ont fermé boutique et mis la clef sous le paillasson, et les survivants sans doute n'ont pas la notoriété ou l'aura nécessaires pour mériter la moindre « recension » d'un opus paru au mauvais moment, ou dans un contexte difficile, ou dont le titre n'est pas suffisamment accrocheur, ou…
Ou bien ce silence est dû au fait que, je le sais pour l'avoir entendu de mes (très) propres oreilles de la bouche d'un autre « éminent » recenseur, nos pages culturelles belges se doivent de parler d'abord et surtout de ce qui se publie ailleurs. En France pour commencer, tant il est vrai qu'il « n'est bon bec que de Paris » comme l'écrivait déjà Villon avant de se faire assassiner par Jean Teulé, puis aux States, au Japon, en Grande-Bretagne… Bref, n'importe où sauf chez nous. Le même grand manitou de pages prétendument culturelles ajoutait sans vergogne que, d'ailleurs, il fallait impérativement que nos critiques commentent prioritairement les œuvres déjà évoquées en France.
Pour le cas où vous n'auriez pas tout compris, je résume. Pour être critique (pardon « recenseur ») dans un journal belge, il n'est pas utile d'ouvrir les ouvrages à évaluer ou citer. Vous pouvez les revendre au Pêle-mêle ou chez Évasions, ce qui permettra à l'auteur de les y retrouver, agrémentés de la dédicace personnalisée, le lendemain de l'envoi. Je sais de quoi je parle, croyez-moi, pour l'avoir vécu.
Contentez-vous de vous abonner au Figaro (littéraire) au Monde (des livres), à Lire et à quelques autres quotidiens ou hebdomadaires culturels bien français, parcourez leurs colonnes, calculez le nombre global de lignes consacrées à tel ou tel roman, essai, recueil, et lancez-vous à l'assaut du livre le mieux pourvu, de préférence en répétant sous une nouvelle forme les propos de vos confères hexagonaux.
Ainsi les locomotives prétendument littéraires continueront-elles de foncer à travers plaines et vallons de notre plat pays sans jamais rencontrer aucun obstacle ni aucune concurrence, y répandant leur fumée souvent nauséabonde, avec de longs sifflements trouant la nuit paisible des cités endormies, cependant que les bons et moins bons auteurs de chez nous, les grands et les tout petits, les vieux croutons et les débutants, les invisibles, les tâcherons, les naïfs, les rêveurs, les découragés, continueront de se noyer dans l'anonymat sans que personne, jamais, ne songe à les lire et moins encore à acheter leurs œuvres. Car comment et pourquoi, je vous le demande, l'amateur de livres ouvrirait-il un roman dont personne n'a parlé, publié par un auteur qui ne passe ni chez Ruquier ni chez Anouna, qui n'a même pas (surtout pas) été « recensé » par nos journaux nationaux et, par conséquent, que personne ne connaît… Tant il est vrai que c'est en s'appuyant sur la critique que le lecteur potentiel se forge une première opinion, qu'il ressent — ou non — l'envie de découvrir le livre, le film, le spectacle dont il a appris l'existence et peut-être l'intérêt dans les pages de son journal favori.
Vous voulez être lus, amis écrivains (et je ne parle pas ici de votre éventuel talent) ? La recette est simple : faites en sorte que NOS critiques-recenseurs et aussi, et surtout, ceux de Paris, parlent de vous. Comment ? En tentant de vous faire éditer, justement, à Paris, ce à quoi vous arriverez sans doute si vous évoquez dans votre œuvre les violences que vous avez subies de la part de Johny Depp, de votre grand-père ou de votre curé, ou si vous étalez vos expériences et vos goûts sexuels hors normes, ou encore si vous avez connu personnellement quelque tueur en série monstrueux, quelque vedette déchue et de préférence morte et enterrée et donc incapable de rectifier vos élucubrations, quelque politicien plus ou moins illustre, quelque people faisant régulièrement la une de Voici. Vous pouvez aussi fréquenter de très près PPDA, Dominique Strauss Kahn ou ceux qui aujourd'hui les ont remplacés sur les marches glissantes et souvent nauséabondes des escaliers tortueux qui mènent au pouvoir médiatique. Il vous est loisible également de relater en détail vos traumatismes, surtout s'ils sont liés à l'un ou l'autre attentat barbare, aux violences conjugales ou aux viols que vous avez subis, voire aux meurtres que vous-même avez commis.
Il est possible aussi, bien sûr, que vous comptiez sur votre seul talent pour séduire Gallimard ou Grasset, mais je ne vous le cache pas : ce sera plus difficile. Pour rappel, comme le savent mes anciens étudiants en sociologie de la littérature, sur 6.000 à 7.000 textes reçus annuellement, Gallimard en publie 6 ou 7, ce qui représente un pourcentage de un pour mille. Cela laisse peu de chances au petit auteur belge qui n'entre dans aucune des catégories évoquées plus haut.
Bref, débrouillez-vous pour être publié dans l'Hexagone (ou au Japon, aux States, en Papouasie, sur la planète Mars, mais surtout pas en Belgique), puis faites la cour aux animateurs de télé, aux rédac-chefs des quotidiens, aux grands noms de la critique (toujours hexagonale). Graissez quelques pattes si nécessaire, faites jouer vos relations, brûlez des cierges à saint Rita, patronne des causes désespérées, rendez-vous en pèlerinage à Lourdes ou à la Mecque, et attendez en croisant les doigts.
Si vous décrochez ce que chez nous, en Belgique donc, on appelle « la floche », vous aurez peut-être la chance que le Monde ou Le Figaro parlent de votre œuvre. Aussitôt, inévitablement, nos journaux belgo-belges s'apercevront de votre existence et penseront à vous « recenser ». De coup, vous aurez, peut-être, un tout petit peu de visibilité et — on peut toujours rêver — un relatif succès.
Quoi qu'il en soit, ne vous fatiguez pas à peaufiner votre style ou à tenter d'améliorer votre éventuel talent. Car le talent, ici, n'a rien à voir.
DANS LE SILENCE, LE DÉDAIN, L'OUBLI… : L'ÉCRIVAIN QUI N'EXISTE PAS
- Par Liliane Schraûwen
- Le 20/02/2022
- Commentaires (777)
- Dans Ecrire
Amère, moi ? Allons, quelle idée !
Mais quand même…
Une vingtaine d'ouvrages publiés, dont l'un fut en son temps finaliste au Rossel et un autre couronné du Prix de la Communauté française de Belgique. Des mois sinon des années à écrire et peaufiner un roman ou un recueil de nouvelles, puis la recherche (et parfois le mépris) des éditeurs (surtout du côté français). Sans même parler de l'un d'entre eux, un "de là-bas" qui, estimant sans doute que l'honneur d'être éditée en France doit suffire à mon bonheur, "oublie" de me communiquer le décompte des ventes et, dans la foulée, de me payer les droits d'auteur selon le contrat établi, avant de se fâcher de mon insistance par courriels… peu amènes. Et quand d'autres encore arrêtent leurs activités ou disparaissent, avec pour conséquence que les ouvrages publiés chez eux n'existent plus, sinon à quelques exemplaires sauvés du pilon, chez l'auteur lui-même. Sauvés du pilon car rachetés par le pauvre auteur, en petit nombre hélas, car l'épithète "pauvre" est à prendre en cette occurrence au sens propre.
Continuer, malgré tout. Être fière et heureuse du petit dernier qui, ma foi, n'est pas trop mal (en toute subjectivité). Les retours de lecteurs et parfois de confrères sont d'ailleurs positifs, et font chaud au cœur en ces temps de froidure. Mais pas un mot dans les pages d'aucun média. Et j'ai une pensée compatissante pour mon éditeur qui s'obstine à diffuser des services de presse dont certains, quelquefois, finissent chez les bouquinistes de la rue du Midi ou au Pêle-Mêle. Et je sais de quoi je parle : il m'est arrivé de racheter là, 3 jours après sa sortie, l'un ou l'autre de mes livres dûment dédicacé à un plumitif que, par charité, je ne nommerai pas ici. Un livre publié en son temps chez Luce Wilquin, qui demandait à ses auteurs de signer leurs services de presse.
Et le temps passe, et la presse dite culturelle de notre sympathique pays fait la part belle aux auteurs qui figurent aussi et d'abord dans les pages du Monde des livres et autres Figaro Littéraire : Mathias Malzieu ou Foenkinos aujourd'hui et, quelquefois, la Belge Amélie Nothomb parce qu'on ne peut pas y échapper. Bref : des écrivains français (ce qui n'enlève rien à leur talent…), américains, japonais parfois, africains… et belges, de temps à autre, pourvu qu'ils soient publiés à Paris et "notoires". Parce que, comme me l'a un jour dit l'un de ces critiques, "il faut parler de ce dont parlent les médias français" (sic). Sans compter les recensement et commentaires des rééditions de grands disparus tels Buzzati ou Primo Lévi, ou d'ouvrages parlant du cancer, du viol, de la pédophilie, de l'inceste, du cannibalisme, de l'internement, du suicide et semblables réjouissances.
Et moi, le "petit" auteur pourtant quelquefois honoré de prix et d'une relative reconnaissance, avec d'autres compagnons de route sinon de misère, je me morfonds dans l'espoir toujours déçu de lire dans les journaux de chez nous ne fût-ce que quelques lignes ou quelques mots consacrés à ce petit dernier, cet Alphabet du Destin (éditions Quadrature) vieux de deux mois déjà qui, selon toute apparence, n'intéresse aucun de ceux qui font la pluie et le beau temps dans notre landerneau culturel. Il fut un temps, pourtant, où La Libre, Le soir, La DH et même Paris Match me consacraient de pleines pages ou à tout le moins des articles aussi flatteurs que (relativement) longs, illustrés même de photos… Mais c'était au temps où Paris m'avait fait l'insigne honneur de m'éditer (merci encore à feu Régine Deforges qui avait aimé et choisi La mer éclatée), un temps où je me trouvais parmi les finalistes du Rossel, où j'obtenais le Prix de la Communauté française de Belgique pour La Fenêtre (aujourd'hui réédité chez MEO éditions). C'était au temps où Jacques De Decker m'avait contactée et encouragée, lorsque Le Soir avait publié dans ses colonnes un texte qu'il avait aimé. Il s'agissait de la nouvelle "La maison d'en face", reprise plus tard dans le recueil Instants de femmes (éditions Luce Wilquin). Un recueil qui n'existe plus, pas plus que les trois autres ouvrages de mon cru publiés chez cette éditrice qui a cessé ses activités sans céder son fonds à un éventuel repreneur, condamnant ainsi à une mort certaine tous les livres qu'elle avait aidé à naître. C'était au temps où sans doute j'étais "un auteur prometteur" et non "un auteur vieillissant". Je ne serai ni prix Nobel (évidemment), ni prix Goncourt, ni même prix Rossel ou prix des scribouillards de mon quartier. Trop tard, sans doute.
C'était au temps aussi où j'étais jeune. Je ne le suis plus, et un jour viendra où, tout simplement, je ne serai plus ni jeune ni vieille. Je ne serai plus, voilà tout… Et je précise au passage qu'une éventuelle reconnaissance posthume n'a pas grand intérêt à mes yeux.
Que l'on me comprenne bien. Je ne recherche ni la gloire ni le Jackpot. L'on n'est pas obligé non plus d'aimer ce que j'écris. Je ne suis qu'un parmi des centaines d'auteurs de chez nous, un parmi des centaines qui, presque tous, attendent en vain le tout petit entrefilet qui, peut-être, attirera l'œil d'un lecteur potentiel. Oui, je sais, nos éventuels droits d'auteur sont bien loin de ceux d'Amélie, de Marc (Lévy), de Guillaume (Musso) et consorts. Mais se rappeler que Baudelaire et Verlaine, pour ne citer que ces deux-là, sont morts dans la misère, cela ne nous console guère. Cela ne consolera pas non plus les éditeurs (belges…) qui ont cru en nous, et investi sur nos créations, sans grand espoir de retour financier.
Des mois sinon des années à écrire et peaufiner un roman ou un recueil de nouvelles. Et le silence — pour ne pas dire "le dédain" — des médias. Rien. Pas une ligne, pas un mot. Vous me direz que l'on n'écrit pas pour faire la une des quotidiens, ni pour être encensé ou seulement mentionné par la critique. Certes. Mais on écrit pour être lu. Et qui, dites-moi, aurait l'idée de lire et donc d'acheter, voire de commander, un livre dont il ignore l'existence ? Car nos amis critiques sont aussi des agents de publicité, qu'ils le veuillent ou non. Ou plutôt de contre-publicité quand leur silence tenace et méprisant voue nos œuvres à l'agonie lente et, disons-le, parfois désespérée.
Alors amère, moi ? Finalement, oui. Et dégoûtée. Révoltée. Choquée. Affligée.
Mais voilà que me vient une idée… À l'instar du personnage de ma nouvelle "La critique est aisée, et l'art est difficile" (dans le recueil À deux pas de chez vous, éditions Zellige : un autre ouvrage mort et enterré, parce que son éditeur…), je pourrais assassiner l'un de ces critiques qui, avec Villon, professent qu'il n'est bon bec que de Paris. Ainsi serait-il silencieux à jamais, pour de bonnes raisons cette fois.
26 JANVIER 2022, PRESQUE EN DIRECT… ou QUAND LES LINGUISTES S'EMMÊLENT LES PINCEAUX
- Par Liliane Schraûwen
- Le 27/01/2022
- Commentaires (2439)
- Dans Société
Consternant. Sidérant. Affligeant. Navrant. Terrifiant. Désespérant. Atterrant.
Les mots me manquent. Pourtant, c'est mon métier de les utiliser, après les avoir très longtemps enseignés avec passion. Je crois les maîtriser, j'aime en jouer, les marier, les polir et les ciseler, les apparier, les faire sonner en improbables anagrammes et autres ambigrammes. Ils sont le moteur de mon double métier d'enseignante et d'écrivain…
Je me suis installée ce soir sur mon divan devant la (généralement) excellente "Grande Librairie" de Busnel, sur France 5, bien décidée à passer une bonne soirée, littéraire et culturelle. J'avais lu qu'Erik Orsena figurait parmi les invités, ainsi que l'auteur Tonino Benacquista, que j'aime beaucoup. Je vais me régaler, ai-je pensé.
En effet, étaient invités : l'académicien Erik ORSENNA et le linguiste Bernard CERQUIGLINI, pour leur livre "Les Mots immigrés", en compagnie d'une certaine Aurore VINCENTI, auteur (autrice à en croire ses illustres compagnons de plateau et a fortiori elle-même) de deux ouvrages intitulés "Les mots du bitume" et "Comme on dit chez nous". Le premier reprend, si je m'en réfère à la présentation de l'émission, "les meilleures chroniques d'Aurore Vincenti diffusées dans l'émission QU'EST-CE QUE TU M'JACTES ? sur France Inter".
À l'écoute des incroyables âneries qu'elle proférait avec une belle autorité, j'ai eu la curiosité de vérifier les compétences de cette chroniqueuse devenue "écrivaine", histoire de savoir à qui j'avais affaire. J'ai donc découvert, sur Linkedin notamment, qu'elle se présente comme "spécialiste en LINGUISTIQUE, THÉRAPIE CORPORELLE, SEXOLOGIE". Tout cela à la fois… Excusez du peu.
Un vrai Pic de la Mirandole en jupons. Je précise "en jupons", car le dénommé Pic de la Mirandole, Jean de son prénom, était de sexe masculin : nul n'est parfait. Et, pour mon plus grand malheur, mon clavier d'ordinateur n'offre pas la possibilité du point médian inclusif que la dame revendique avec énergie…
Tout cela ne m'a pas empêchée de pousser plus loin mes indiscrètes investigations. Ceux qui pratiquent Linkedin le savent : cette plateforme offre à ses abonnés la possibilité de se présenter, dans l'optique d'attirer l'attention de potentiels employeurs. Voici donc le copié-collé de ce qu'écrit la dame à son propre sujet :
"Corps, danses, langues, imaginaires, sensibilités, genres et sexualités : voilà un aperçu de l'étendue de ce qui me traverse, m'émeut et me questionne.
Si vous aviez accès à mes mains, vous verriez qu’elles sont traversées par une multitude de lignes profondes et entrelacées comme autant de chemins que j’ai choisi de parcourir pour apprendre et me former.
J'ai dessiné une ligne de linguiste, initiée sur les bancs de l’École normale supérieure jusqu’à passer et obtenir une agrégation d’anglais.
Une seconde ligne, « d’éducatrice somatique » en Body-Mind Centering®, locution abstruse qui renvoie à des approches de conscience corporelle par le mouvement, la danse et le toucher.
Une troisième, en sexologie, à l’issue d’une formation à l'Université de Genève.
Mon amour des langues m’a engagée à développer un travail de vulgarisation linguistique dans les médias. Mon dada : tout ce qui est recalé aux portes du dictionnaire et tout ce qui tord le cou à la grammaire : les argots, les jargons, les parlers populaires et même les bruits qu’on fait avec la bouche.
En parallèle, j'accompagne des personnes seules ou en groupe dans des recherches sur la langue, le travail de la voix et du corps et la sexualité et si je suis amenée à tout faire en même temps, c’est là que je suis le plus heureuse !
À cela, j'ajouterais que je chante et danse depuis que je suis en âge de me rouler par terre !"
Oui, je sais : le style est… ce qu'il est. Mais lisons plus loin : la même source nous apprend, que ce génie (ou : cette génie ?) a fréquenté :
- L'université de Genève, de 2019 à 2022, où elle a obtenu (toujours à l'en croire), un certificat en sexologie clinique.
- The School for Body-Mind Centering® de 2015 à 2017, où elle a suivi une formation en "Somatic Movement Educator, Thérapies corporelles somatiques".
- L'École normale supérieure, de 2009 à 2013, où elle a obtenu une agrégation externe d'anglais, diplôme ENS, langue anglaise et littérature.
- L'Institut de Gasquet en 2019, où elle a suivi une "formation massage bébé, lien mère-enfant, Thérapie/thérapeute physique".
- L'Université Paris-Sorbonne : obtention d'un Master 2 (M2), Langue anglaise et littérature/lettres (dates non précisées).
Époustouflée et un peu perturbée par tant de talents prodigieusement divers, j'ai eu la curiosité d'aller voir, dans la foulée, sa page FB. Cela m'a permis de découvrir avec émerveillement la prose de cette "linguiste" prétendument bardée de diplômes, qui écrit des phrases aussi lourdes qu'incorrectes. Un exemple ? Dans un post, elle évoque "un de mes professeurs érudit de droit constitutionnel" (érudit de droit constitutionnel ???) qui, selon elle, professait que "ceux qui sont là pour sauver la veuve et l'orphelin, vous vous êtes trompés de voie, la loi est faite par ceux qui ont le pouvoir, la classe dominante, et ils veillent à préserver leur privilège…". J'ose espérer, quant à moi, que cet "érudit de droit constitutionnel" (sic) s'exprimait mieux et, surtout, plus clairement. J'ai aussi découvert à la lecture de ses messages qu'elle préconise l'union "pour que les lois liberticides ne deviennent pas la normalité", nous enjoignant de "faire appel à notre humanisme, notre solidarité, notre fraternité, que personne, aucun pouvoir ne puisse démanteler cette force de notre société". Ne me demandez pas de quelle "force de notre société" il s'agit, car j'avoue humblement que je ne l'ai pas compris — sans doute parce que je n'ai pas, quant à moi, suivi 5 formations (pseudo) universitaires. Quant aux lois liberticides, j'imagine que ce sont celles qui imposent le passe sanitaire, les mesures de confinement et autres faits de tyrannie dont le seul but est de protéger la société dans son entier en évitant autant que faire se peut la propagation d'un virus qui tue — le vilain — sans distinction, avec une nette préférence pour ceux qui refusent lesdites lois et le vaccin, tels feu les frères Bogdanoff.
Poursuivant mon enquête, j'ai parcouru les quelques pages de ses "Mots du bitume" proposées, en avant-goût, sur google books. Cela m'a permis de constater que l'on peut être linguiste, publier aux éditions Le Robert, sans pour autant respecter les règles des traits d'union, de la ponctuation, des accords au pluriel ou de l'imparfait du subjonctif, ce que m'ont notamment démontré les "bouc-émissaires" (sic) qu'elle mentionne et le jeu de mots selon lequel "il s'en fallut de peu que le boloss fut [sic] un beau gosse". Mais nobody's perfect, et ces petites erreurs n'empêchent personne de youtuber à tout va (car elle trouve encore le temps de se livrer à cette intéressante activité) ou de discuter le bout de gras chez Busnel avec un académicien de 74 printemps goncourisé qui, pour la circonstance, m'a paru étrangement… heu… comment dire… étrangement et tristement wokiste, pour employer un terme (trop) à la mode, ou "à côté de ses pompes" pour parler "bitume". En tout cas, très en dessous de ce qu'on pouvait espérer de l'auteur de quelque 46 ouvrages (ce qui le place bien au-dessus de notre Amélie nationale), parmi lesquels les fameux "La grammaire est une chanson douce" et "Les chevaliers du subjonctif".
Les ravages de l'âge peut-être, que Racine appelait plus joliment "des ans l'irréparable outrage", à moins que ce fût (à l'imparfait du subjonctif et avec l'accent circonflexe, forcément) le désir de jouer à faire semblant d'être dans le vent, ou plus simplement le plaisir de ce brin de provocation qui l'a toujours caractérisé… Et vas-y que je féminise à tous crins, que je parle de "celles et ceux" et des "Françaises et Français", que je réfléchisse gravement sur le point médian et autres inclusivités aussi invraisemblables qu'incompréhensibles.
La LINGUISTE-SEXOLOGUE-DANSEUSE-CHANTEUSE-THÉRAPEUTE CORPORELLE ET SOMATIQUE-YOUTUBEUSE-MASSEUSE-AGRÉGÉE en rajoutait avec délice, sans paraître s'apercevoir que ses deux éminents confrères s'égaraient dans les définitions et étymologies qu'eux-mêmes cependant avaient renseignées dans leur ouvrage, au point que Busnel s'est permis de leur demander si ce livre, c'est bien eux qui l'ont écrit. Elle aussi, d'ailleurs, se perdait dans les questions générées par son propre bouquin. Bref : une catastrophe, dont je ne savais si je devais rire ou pleurer. Jusqu'au moment où cette "enseignante" (car oui, elle a aussi enseigné à ce qu'elle raconte dans moult interviews) a expliqué sans rire que les jeunes, ces pauvres gamin-e-s que les profs et l'élite méprisent paraît-il, ont en fait une très grande richesse linguistique et sont parfaitement bilingues. En effet, non seulement ils maîtrisent ce langage "du bitume" que nous, les vieux cons qui n'avons pas écouté du rap pendant 5 ans comme elle se vante de l'avoir fait, ne comprenons pas, mais en outre ils maîtrisent tout aussi bien notre langue à nous, les "vieux", les "profs", les "élites". Là, j'ai fait un triple saut périlleux et j'ai frôlé la crise cardiaque. Car, de toute évidence, elle n'a jamais mis un pied dans une classe d'ados. Moi qui continue d'enseigner en cours particuliers malgré mon âge canonique, après une longue carrière de prof de français dans le secondaire et le supérieur, moi qui continue d'aider toutes sortes d'élèves, de tous les niveaux, je suis chaque jour confrontée à des gamins (pardon : des gamin-e-s) qui ne comprennent pas le sens de textes pourtant simples, qui me demandent très sérieusement pourquoi les auteurs emploient des mots compliqués comme "joli", "charmant", "gracieux", mignon", séduisant", "plaisant", "délicieux", etc. alors qu'ils auraient pu se contenter d'écrire "beau", ce qui est quand même plus simple… Et croyez-moi, des enseignants bien plus jeunes que moi (ou moins vieux, c'est selon), sont tout aussi sidérés par l'actuelle méconnaissance par leurs élèves, tous niveaux sociaux confondus, du vocabulaire le plus élémentaire. Il va sans dire que, lorsque quand j'écris ici le mot "enseignants", je vous laisse ajouter mentalement l'inévitable point médian, car il y a aussi des femmes dans cette merveilleuse profession.
Il ne s'agit pas, comme elle l'a proclamé, de prendre prétexte de l'existence d'enfants dyslexiques pour refuser le point médian et autres fariboles inclusives. Mais dites-moi, comment apprendre à lire, et à écrire, à des petits bouts de 6 ou 7 ans qui n'ont rien de dyslexique, sur base de textes truffés de "enfant-e-s petit-e-s" qui, "tout-e-s ont des professeur-e-s sévères et exigeant-e-s" ??? Et comment lire tout haut une phrase de ce genre ? Comment utiliser et accorder l'abominable IEL dont Orsenna et madame Vincenti vantaient les mérites ? Et lorsque quelques rares bambin-e-s auront malgré tout réussi à atteindre le collège, comment leur expliquer que si "tout homme est mortel" selon les philosophes, cela n'implique pas que les femmes, elles, soient peut-être dispensées de ce destin funeste ? Comment, en biologie, parler de "la girafe" en expliquant que pourtant cette race, comme celle des humains-e-s, comporte des mâles, tout comme celle des panthères ou des tortues, alors que de son côté l'espèce des lézards ne manque pas de femelles, pas plus que celles des oiseaux ou des poissons, parmi lesquels d'ailleurs certains ont un genre féminin pour un sexe quelquefois masculin, comme la truite, la raie, l'anguille ??? Et comment nommer l'escargot qui change de sexe en prenant de l'âge ?
Bref : on connaît le mantra que je répète volontiers : "la connerie humaine est sans limites"… et ce n'est pas près de s'arranger, semble-t-il.
Il me reste à espérer avec madame Vincenti "que les lois liberticides ne deviennent pas la normalité", et que par conséquent, personne n'obligera jamais les gens — et surtout ne m'obligera jamais, moi — à écrire, penser ou enseigner dans le droit fil de ce sinistre et imbécile wokisme qui n'est qu'une fausse bien-pensance inepte et abêtissante.
TOUT LE MONDE S’EN FOUT
- Par Liliane Schraûwen
- Le 28/05/2021
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Il fut un temps où le Congo était le plus beau pays du monde. Il fut un temps où c’était mon pays. Celui de mes parents, de mes grands-parents. J’y ai vécu les plus belles années de ma vie, celles de l’enfance, de l’insouciance, des découvertes. J’y ai tout appris. La nature terrible et belle, le soleil, les averses torrentielles de la saison des pluies. Le grand lac vaste comme une mer, si beau sous le soleil, si terrible parfois avec ses tempêtes. Les animaux tendres et dangereux, singes, lionceaux, chacal familier, poules et pigeons, chiens et chats, serpents, crocodiles, insectes étranges…
Après… Il s’est passé ce qui s’est passé. Ce n’est pas ici le lieu d’en discuter, et ce n’est pas mon propos. Pourtant, je pourrais parler de la misère galopante, des dictatures successives, des massacres et des guerres internes. « Les Belges nous ont abandonnés » me disent et m’écrivent de lointains amis qui, de toute évidence, ignorent leur propre histoire. Je pourrais parler de la faillite du système médical, du retour des épidémies jadis éradiquées, des famines, de la corruption, des exactions, et des moyens de transport, et des infrastructures et de tant d’autres choses… Des mines plus ou moins clandestines (et chinoises) d’or et de coltan. Des multinationales qui détruisent l’environnement, saccagent les forêts, dressent les hommes les uns contre les autres. Je pourrais… je pourrais…
Mais aujourd’hui, c’est autre chose qui me donne envie de hurler, de crier, de pleurer. C’est ce constat — qui n’a rien de nouveau, hélas — que ce qui se passe là-bas, tout le monde s’en fout, littéralement. Car c’est loin, le Congo. Pensez donc : plus de 11 000 km entre Bruxelles et Lubumbashi, 10 000 km entre Bruxelles et Goma. Cinq fois plus qu’entre Bruxelles et Moscou. Deux fois plus qu’entre Bruxelles et New York. Autant vous dire que, franchement, nous n’avons aucune raison de nous préoccuper de ce qui se passe là-bas. D’ailleurs, les gens n’y sont pas comme nous. Ils portent des noms étranges et improbables, tout comme leurs fleuves, leurs montagnes, leurs volcans. Ils s’expriment en des langues inconnues. Pourquoi diable devrions-nous nous en soucier, je vous le demande ?
Il y a eu les guerres du Kivu et d’ailleurs, le pillage des matières premières, les massacres et les viols de femmes et de tout petits enfants. Denis Mukwege a été nobélisé. Fort bien. Cela a-t-il changé quelque chose, dites-moi ? Il continue de réparer les femmes, selon l’expression de Thierry Michel, les femmes que d’autres continuent de détruire, sans fin, sans que rien ne change. Et tout le monde s’en fout, ici, en Europe, en Amérique et ailleurs. Comme tout le monde se fout aussi des milliers de migrants qui viennent se noyer aux portes de l’Europe. Mais ceci est une autre histoire.
Aujourd’hui, dans ce pays lointain qui fut le mien, un volcan se réveille. Des milliers de gens s’en vont sur les routes, à pied, sans savoir vers où. L’exode… Nous avons connu cela aussi, chez nous, il y a longtemps. Nous avons oublié.
La ville de Goma (qui compte près de 700 000 habitants) se vide. Les autorités (joli terme qui ne signifie pas grand-chose) ordonnent d’évacuer la ville, et des hordes de miséreux s’enfuient, avec tous leurs biens serrés dans un baluchon qu’ils portent sur la tête, comme on fait là-bas. Des femmes, des enfants, par milliers, par dizaines de milliers, sur les routes de latérite, sur des pistes de brousse. On parle du danger des gaz toxiques qui risquent de détruire toute vie autour du lac Kivu, on parle des coulées de lave qui, déjà, ont fait des morts. Comme si tout cela ne suffisait pas, les séismes se succèdent. Des communiqués nous apprennent que « À en croire les experts de l’Observatoire volcanologique de Goma, les gaz provenant du volcan Nyiragongo, dissous dans les eaux profondes du lac, surtout le CO2, pourraient asphyxier toutes les espèces vivant autour du lac Kivu du côté congolais et rwandais, et cela peut causer des milliers de morts dans les deux pays. ». « Toutes les espèces », c’est ce qui est écrit, parmi lesquelles l’espèce humaine.
« Partir loin d’ici, sans savoir où aller, à pied, sans aucun sou, avec le bébé, c’est vraiment compliqué. D’ailleurs, on nous signale qu’on commence déjà à enregistrer les cas de choléra à Sake (à l’Ouest de Goma) où se réfugient des milliers des gens.. » m’écrit un « frère humain ». Un autre, plus laconique, m’annonce que « Nous avons perdu tout ».
Mais ici, chez nous, tout le monde s’en fout. Nous avons d’autres sujets de préoccupation, tellement plus intéressants, tellement plus importants. Vitaux : le confinement « liberticide » que quelques imbéciles malfaisants n’hésitent pas à comparer aux mesures nazies à l’égard des juifs, l’infinie souffrance de ne pouvoir se saouler la gueule dans les bars, les propos imbéciles et vulgaires de quelques connards patentés comme Jean-Marie Bigard, les futures élections françaises, la gifle donnée par une épouse d’ambassadeur à une vendeuse coréenne, les états d’âme du prince Harry, la disparition du dénommé Jürgen Conings, le temps de merde de ce printemps pourri, l’Eurovision de la chanson, les magouilles dans le monde du sport, la féminisation du lexique… Soyons sérieux, que diable ! Il y a des priorités, non ? Il faut savoir hiérarchiser les choses. MOI D’ABORD, LES AUTRES APRÈS. Ou, mieux : moi d’abord, les autres peuvent crever.
Nos matchs de foot, les « boums » débiles du bois de la Cambre, la Gay Pride… Ça, c’est vraiment important, essentiel même. Ça, c’est de l’info.
Alors que l’éruption d’un volcan au nom imprononçable, franchement… Et tous ces morts potentiels et réels, et ces gens qui ont tout perdu et errent sur les routes, dans la poussière, sans but, sans espoir… Aucun intérêt, vraiment. C’est loin, c’est ailleurs, cela concerne des gens qui ne nous ressemblent pas, des étranges étrangers. Rien à cirer, rien à branler, on s’en tape, qu’ils se débrouillent, qu’ils crèvent, ce n’est pas notre problème. Nous, ici, nous ne risquons rien, grâce au ciel. C’est l’essentiel. Pas de volcan dans notre joli royaume. Tout va donc bien, très bien. Et vogue la galère…
LA JOURNÉE DE LA FEMME… À LA SAUCE DE CHEZ NOUS
- Par Liliane Schraûwen
- Le 08/03/2021
- Commentaires (250)
Nous sommes le 8 mars. C’est donc "la Journée internationale des femmes, également appelée journée internationale des droits des femmes dans certains pays comme la France" selon Wikipédia qui sait tout. Nous vivons par conséquent une journée dédiée à la défense des droits des femmes, à l’échelle mondiale. Magnifique, n’est-ce pas ? Ce sont les Nations Unies qui président à la création et à la célébration de journées, de semaines, d’années et de décennies ainsi vouées à des thèmes particuliers. En une seule année, on célèbre plus de 140 "journées internationales", sans même parler des "journées mondiales" car, oui, il en existe aussi. 140, ça fait beaucoup… Trop pour que je cite ici toutes ces pseudo-célébrations, en dépit de l’envie selon l’expression du brave Don Diègue (pour ceux qui ont encore un peu de culture littéraire). Je ne résiste pas, cependant, à la tentation d’en mentionner quelques-unes dont, j’en suis certaine, personne ne connaît l’existence, telles la journée mondiale des légumineuses (10 février), la journée internationale des femmes et des filles de science (11 février), la journée internationale du Novruz (21 mars) — et non, je ne sais pas ce qu’est le Novruz — la journée internationale du vol spatial habité (12 avril), la journée internationale des délégués (délégués à quoi ? délégués de qui ?), la journée des jeunes filles dans le secteur des TIC (21 avril). Il y a aussi la journée de la montagne, celle de l’aviation civile internationale, celle du livre et du droit d’auteur et celle de la propriété intellectuelle (avis aux plagiaires de tout poil), celle des banques, celle des volontaires (?), celles des sols, des oiseaux migrateurs, de la lumière, des abeilles, du thé (et pas du café, triste discrimination), du Vesak (?), de la bicyclette, des envois de fonds familiaux, de la gastronomie durable, de la célébration du solstice, des astéroïdes, du jeu d’échecs, de l’amitié (rien sur l’amour, par contre…), de la charité, de l’air pur pour des ciels bleus (sic), des enseignants, de la statistique, de la philosophie, des toilettes… J’ai même découvert qu’il existe une journée internationale du jazz, et une journée mondiale du thon.
Bizarrement, certaines dates sont plus fastes que d’autres, comme le 21 mars qui, outre le mystérieux Novruz, est dédié aux forêts, à l’élimination de la haine raciale, à la poésie et à la trisomie 21. Tout ça, et dans cet ordre-là.
Mais revenons aux femmes, très présentes dans la liste des causes dignes de se trouver valorisées par la mise en place d’une journée internationale ou mondiale. Car, outre la journée des droits de la femme que nous célébrons aujourd’hui, il existe aussi une journée internationale de la fille (11 octobre), une journée internationale des femmes rurales (15 octobre), une journée internationale des femmes et des filles de science (mais ne me demandez pas ce que peut bien être une "fille de science"), une journée pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes… alors que les hommes, quant à eux, ne sont gratifiés que de la fameuse "journée des droits de l’homme" (10 décembre).
Ce qui m’amène à me poser quelques questions qui, de toute évidence, n’entrent pas dans le droit fil du politiquement correct actuel, en ces temps de revendications diverses, de féminisation à outrance, d’écriture inclusive et autres "celles et ceux" ou "toutes et tous" dont nous abreuvent politiciens et médias.
Car enfin, lorsqu’on dit avec Aristote et Robert Merle que "l’homme est un animal doué de raison", ou avec Bergson que "le rire est le propre de l’homme", cela revient-il à proclamer que la femme, quant à elle, ne possède pas une once de raison ou ne connaît pas le rire ? Allons, un peu de sérieux ! Quand on évoque l’homme, c’est de l’individu (mâle ou femelle) appartenant à l’espèce humaine qu’il est question, et pas uniquement du mâle de cette espèce. De même lorsqu’on parle du lion (masculin) et de la baleine (féminin), du loup (masculin) et de la panthère (féminin), du dauphin (masculin) et de l’hyène ou de la girafe (féminins) : c’est bien à l’espèce que l’on fait référence, et non au sexe. Le mot homme, d’ailleurs, dérive directement du latin HOMO qui désigne bien le représentant de l’espèce humaine, contrairement au mot VIR qui, quant à lui, renvoie à l’homme sexué, au mâle, dont découlent en français les termes VIRIL, VIRILITÉ, etc. Il est clair que lorsqu'on parle d'HOMO SAPIENS ou d'HOMO ERECTUS, c'est bien de la "race" humaine qu'il s'agit, race qui comprend des représentants mâles (VIR) et des représentants femelles (FEMINA).
Mais je m’écarte de mon propos, c’est-à-dire de cette Journée internationale des femmes que nous célébrons aujourd’hui, entre celle du 3 mars (Journée mondiale de la vie sauvage) et celle du 20 mars (Journée internationale du bonheur & Journée de la langue française). Tout un programme : entre la vie sauvage et le bonheur, il y a… la femme.
Si je ne sais pas trop ce que l’on est censé fêter (ou défendre) en ce jour, si je m’attends à de bizarres manifestations et à des revendications plus ou moins virulentes, je ne peux que m’étonner — et le mot est faible — de la façon qu’a choisie l’administration communale de Saint-Gilles pour célébrer la femme. Pour ceux qui ne seraient pas encore au courant, rappelons que, à l’instigation de l’écolo Catherine Morenville, échevine de l’égalité des chances et des droits des femmes, un énorme clitoris se trouve affiché sur la façade de la Maison communale de Saint-Gilles. L’échevine en question justifie ce choix en affirmant que "l’organe féminin du plaisir est devenu un symbole féministe, un symbole d’émancipation éminemment politique". Eh ben… c’est donc cela, madame Morenville, le symbole de "l’égalité des chances et des droits des femmes" que vous êtes censée défendre ? Mais peut-être votre cerveau se niche-t-il en ce lieu plutôt que derrière votre front, ceci expliquant cela.
Hallucinant, non ? Le clitoris serait donc ce qui détermine la femme. Foin de son intelligence, de sa sensibilité, de son éventuel talent dans tel ou tel domaine, de sa culture, son travail, son dévouement, ses succès, ses réalisations, ses qualités, ses combats, ses efforts… Tout cela ne compte guère au regard de son sexe (au sens physique du terme) ou, plus précisément, de l’une des composantes de ce sexe. Pourquoi ne pas avoir, dans la foulée, affiché sur la façade de la Maison communale une paire de seins ou un utérus géant ? Voilà, mesdames, ce que vous êtes, ce qui vous détermine et vous caractérise, ce qui constitue votre essence même : votre clitoris. Les droits des femmes se limiteraient donc au droit au plaisir, si je traduis bien. Au plaisir physique s’entend, et non au plaisir esthétique ou intellectuel. Et tant pis pour celles, trop nombreuses, qui ont été excisées, et dont certaines vivent chez nous). Et tant pis aussi pour celles qui placent leur dignité et leur fierté ailleurs qu’entre leurs fesses.
Il me reste à espérer que, le 10 décembre prochain, une bite géante décorera la même Maison communale à l’occasion de la journée des droits de l’homme…
BLA BLA BLA fACEBOOK
- Par Liliane Schraûwen
- Le 03/02/2021
- Commentaires (239)
- Dans Colère
« Il faut », « Il ne faut pas » « c’est une honte » « les hommes » « les femmes » « l’écriture inclusive » « la ségrégation » « le vaccin » « les politiques » « je vous envoie les bénédictions de Dieu » « les étrangers » « les racistes » « les vrais écrivains » « ceux qui ne le sont pas » « les complots » « moi, je sais mieux que vous, et je vais vous expliquer, vous dire le vrai, vous critiquer, vous insulter à mots feutrés ou en termes grossiers » « je vous poste des photos de mes voisins, que je dénonce pour ceci ou cela » « d’ailleurs Camus, Sartre, Simenon, le pape, la Bible, le Coran le disent » « voici une superbe citation apocryphe de Newton, de Pascal ou de n’importe quelle célébrité, une citation bourrée de fautes d’orthographe, sur fond rouge ou noir ou bleu ou couleur caca d’oie » « polémiquons, polémiquons » « le diable emporte les végans, ou les carnivores » « mais que faites-vous donc pour la planète ? » « les flics, les casseurs, les gilets multicolores » « les mécréants, les naïfs, les crédules, les cathos, les juifs, les intégristes, les jeunes, les vieux, les homos, les intellos, les cons » « la gauche, la droite, les pouvoirs publics et surtout tous ceux qui ne pensent pas comme moi »…
FB est décidément la vitrine d’une connerie humaine qui, jadis, restait plus ou moins discrète, faute de moyens d’expression. Elle restait confinée (c’est le cas de le dire) dans le cercle familial ou au bistrot du coin. Aujourd’hui, elle s’étale, fait des adeptes, se répand comme la peste ou le (la ?) covid, fait et défait les présidents. Les réseaux pseudo sociaux se multiplient, ils se trouvent au centre de la communication politique, des armées de crétins bien-pensants ou, plus souvent mal-pensants, s’y expriment sans vergogne, s’insultent (en général sous couvert d’anonymat), se lancent dans d’interminables polémiques, dans de prétendus débats aussi stériles qu’inutiles, se justifient, s’expliquent, s’agressent, se répondent. On ne lit plus Balzac ni Zola (trop longs, et pleins de mots compliqués), ni Simenon que j’ai vu passer récemment, ni – comble de l’horreur – Musso, Lévy et consorts, ni même Harlequin. On n’a pas le temps, quand il y a ces milliers de messages qui sans trêve et sans jamais s’arrêter défilent sur tous ces écrans sans lesquels on ne peut plus vivre, messages de haine souvent, de bêtise, d’intolérance, de mépris. Une nouvelle forme de harcèlement fleurit, et des adolescents se suicident sans comprendre pourquoi une meute de chiens enragés les a choisis pour cibles.
Oui mais… Que fais-tu, toi, à publier ce texte sur FB si ce type de réseau est si abominable, me demandera-t-on, avec raison. Ceux qui me connaissent ou m’ont connue jadis le savent : j’ai longtemps proclamé que jamais, au grand jamais, je ne naviguerais sur aucun de ces canaux. Mais j’écris des livres (vous savez : ces objets constitués de pages couvertes de mots, sans images, que presque plus personne ne lit), ils sont édités, et j’aimerais qu’ils soient lus. J’aimerais que mon travail, mon éventuel talent si tant est que ce mot puisse être utilisé ici, soient connus à défaut d’être reconnus. Plus prosaïquement, j’aimerais aussi que quelques-uns d’entre eux s’achètent (ou se vendent, selon le point de vue), générant ainsi environ 6 % de ces droits d’auteur que certains éditeurs « oublient » de payer. Vous imaginez cela : 6 % de 20 euros. Faites le compte : 1,2 euro. Pour tout salaire d’un travail qui parfois prend des mois, des années. Même pas de quoi m’acheter des cigarettes, si je fumais.
Alors, une de mes amies, une vraie en chair et en os, atteinte tout comme moi de cet étrange virus qui nous pousse à noircir du papier, à y poser des mots, des rêves, des sentiments, des joies ou des souffrances, à inventer des histoires, bref, un écrivain (non : pas UNE ÉCRIVAINE, n’en déplaise à mes « sœurs » féministes, mais un écrivain qui se trouve être une femme), cette amie donc, m’a expliqué que les réseaux, aujourd’hui, sont incontournables à qui veut faire connaître son nom, les titres de ses livres. Car la presse de chez nous parle davantage de ce qui s'édite à Paris, New York ou Tokyo que de ce qui paraît ici. Qui, d’ailleurs, lit encore les 4 pauvres pages du supplément littéraire de nos journaux ? Alors, oui, je « fais la pute » en publiant de temps à autre des photos des couvertures de mes bouquins, ou des extraits, ou des critiques. Ou en publiant des textes comme celui-ci, sur des sujets divers, en me disant que l’un ou l’autre facebookien capable de lire plus que 3 lignes aura, peut-être, envie ensuite de découvrir l’auteur que je suis, au travers cette fois de ses œuvres littéraires. On peut rêver…
Je le fais avec mauvaise conscience, avec parfois un certain mépris de moi-même. Avec colère, aussi, car écrire sur FB, cela prend un temps que je pourrais – que je devrais – consacrer à d’autres écritures. Même si l’étrange maladie dont je suis atteinte depuis très longtemps fait qu’écrire, en somme, c’est toujours écrire, et j’aime cela.
Où veux-tu en venir, avec tout ce bla-bla, me demandera-t-on encore. C’est vrai, je me suis sans doute un peu égarée. Revenons donc à mon propos initial : j’annonce à tous les donneurs de leçons qui s’obstinent à adresser à la foule de leurs « amis » injures, discours méprisants ou haineux, aprioris, jugements, malédictions et bénédictions divines, que je m’en vais les bannir de mes propres « amis » (qui bien sûr n’en sont pas, pour la bonne et simple raison que je ne les ai jamais rencontrés), les bloquer, les exclure. Qu’ils continuent à éructer sans moi leurs fatras de sentences marquées au coin de l’intolérance et de la bêtise, ou à tout le moins du sentiment de leur supériorité et de leur infinie sagacité. À répandre mensonges, propagande, prosélytisme, fausses vérités et contre-vérités historiques ou scientifiques, condamnations et anathèmes, sur une multitude de sujets dont en général ils ne connaissent… que ce qu’ils ont lu sur FB.
Ils ne me manqueront pas plus que je leur manquerai. Et je ne perdrai pas, en eux, le moindre lecteur potentiel, c’est évident.
DURE, DURE, LA VIE D’ÉCRIVAIN ou À LA POUBELLE, LES LIVRES
- Par Liliane Schraûwen
- Le 17/12/2020
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Je suis avertie par l’un de mes éditeurs (français, en l’occurrence) que sa collaboration avec le diffuseur belge Interforum prend fin, et que je peux donc récupérer, si je le souhaite, les livres qui se trouvent encore en stock chez ce diffuseur, à Louvain-la-Neuve. Je téléphone au diffuseur en question, qui me répond qu’il lui reste 200 exemplaires de cet ouvrage. Bigre ! Vais-je pouvoir embarquer tout cela dans ma (petite) voiture ? Je m’informe de ce qu’il va advenir des bouquins que je ne pourrais emporter. Réponse : « ON LES JETTE ». Vous avez bien lu : ON LES JETTE.
Voilà. Vous mettez des mois et parfois davantage à écrire un roman ou un recueil de nouvelles, avec « vos tripes » selon l’expression de l’une de mes consœurs ; vous le polissez et le repolissez sur les conseils de monsieur Boileau ; un éditeur croit en vous (ou fait semblant ?), quand il n’oublie pas de vous verser vos droits d’auteur ; la presse parfois vous ignore ; vous vous faites traiter de vil « marchand du temple » lorsque vous osez diffuser sur FB une photo de votre pauvre petit livre qui se languit tout seul dans un vaste entrepôt, car 3 ans d’âge, pour un livre, c’est pire que le Covid et le cancer réunis. Puis, un jour, votre éditeur et son diffuseur engagent une procédure de divorce, et l’on vous dit sans rire que les exemplaires qui se trouvent encore en attente d’hypothétiques commandes vont être JETÉS. Au rebut. À la poubelle. Comme un vulgaire préservatif usagé, comme une boîte de conserve vide, comme un vieux mouchoir dégoulinant de morve.
N’en déplaise aux « artistes » du genre bisounours, je publie donc ici une photo du recueil de nouvelles concerné, accompagnée de deux critiques parues dans La Libre et dans Le Soir, histoire de vous mettre l’eau à la bouche. Ne vous précipitez pas chez votre libraire si vous avez l’intention de secourir une pauvre petit plumitive aussi furieuse que désespérée, ou si ce livre vous tente (c’est la période des cadeaux, je crois ?), ou encore si vous voulez lui éviter de finir dans une décharge. Prenez directement contact avec moi : il m’en reste 200 tout beaux tout neufs… Je vous ferai même une réduction sur le prix officiel qui est de 18,50 €.
Et mille excuses aux bisounours et aux donneurs de leçons qui sans doute frémiront d’horreur à la vue de cette tentative de « marketing », en vertu du principe selon lequel le véritable artiste n’a que faire de considérations mercantiles. Je leur répondrai que le véritable artiste a envie de hurler sa colère et son chagrin face à l’incroyable mépris de ceux qui, justement, considèrent ses œuvres comme des objets que l’on jette s’ils ne sont plus « rentables ». Le diffuseur belge ne les diffuse plus, l’éditeur n’a nulle envie d’investir de l’argent dans leur rapatriement vers son nouveau diffuseur, hexagonal cette fois. Tout cela, somme toute, n’est qu’une affaire de sous. Il ne reste donc que la destruction. À la poubelle, les livres. À la décharge, les écrivains.
Monique VERDUSSEN
Haine et vanités assassines (LIRE – La Libre Belgique 8 mai 2017)
Les pourquoi de ces crimes à deux pas de soi. Sous le regard aigu de Liliane Schraûwen.
Ces choses-là se passent toujours près de chez soi. Benoît Poelvoorde en a fait un film en 1992. Liliane Schraûwen, à sa manière percutante, en a écrit une succession de nouvelles qui, toutes, relèvent d’un ait divers dont on a l’impression d’avoir été informé hier ou avant-hier. Sous une tendresse et des rêves trahis par la vie, souffle toujours chez cette romancière au talent incontestable et à l’expérience éprouvée, une violence, une liberté, voire une méchanceté qui laissent peu de place à la fadeur des sentiments. Si elle ne se fait pas de cadeau là où elle met son « je » en scène, elle n’affiche aucune indulgence envers les vanités, les égoïsmes et les tromperies des autres et, plus particulièrement de ceux qui versent dans le crime. Elle tend pourtant à pointer du doigt les manques ou ressentiments qui les ont fait basculer du mauvais côté de la ligne.
Dès le premier texte qui a pour cadre la soirée inaugurale de la Foire du livre de Bruxelles, un romancier aigri de se trouver oublié de ceux qui l’avaient autrefois reconnu, cible avec une rage assassine le critique jugé responsable de son succès brisé. Et de s’en prendre aux « plumitifs plus ou moins connus » bavardant devant le podium, au discours désastreux du Ministre de la Culture, au public préoccupé du vin à venir plus que de livres et, même, au « Monseigneur à l’air profondément ennuyé… prince de sang parmi les quelques exemplaires que compte notre pays ». Un condensé de férocité. Chaque nouvelle est précédée d’un court texte qui semble échappé de la rubrique Faits divers d’un journal et apporte autant de crédit au crime évoqué dans ses motivations et détails imaginés.
Liliane Schraûwen a, voici trois ans, publié « Les grandes Affaires criminelles » où elle remettait en lumière quelques grands crimes du passé. Elle en a gardé – elle avait sans doute déjà – une curiosité questionneuse pour les criminels de tous bords et les passions qui les animent. De l’académicien qui se fait dérober son dernier et unique manuscrit à l’assassinat d’un dentiste, au fonctionnaire qui se délecte de la souffrance du bourreau, au drame de la jalousie, à l’imprudence de rejoindre l’homme rencontré sur le Net ou aux intentions peu amènes du séducteur sexuel, la palette est vaste où elle puise ses croquis. Chacun aura ses coups de cœur, les nôtres allant plus précisément à l’arnaque du voyant sur des êtres mis en confiance et sur la solitude de la mère vieillissante qui avait aimé ses « petits » sans retenue ni calcul de temps et se retrouve dans le vide de sa maison avec, pour perspective, la déchéance et la mort, n’ayant plus de place dans la vie des siens que par convenance. « Je ne suis plus qu’un souvenir encore un peu vivant, un nom, un visage auquel on pense à l’occasion ». Constat terrible et regard aigu sur les inévitables désillusions de l’âge.
Tous ces gens, victimes et bourreaux, ressemblent à s’y méprendre à ceux que l’on croise au quotidien. Pourquoi ceux-là ? Et comment en sont-ils arrivés là ? Il y a comme une stupeur chez Liliane Schraûwen face à la banalité de faits qui ont dérivé vers le pire. Mais c’est sans états d’âme qu’elle souligne les naïvetés, las haines et les perversions qui se croisent sur les pavés de nos rues. S’il n’est pas un livre drôle, « À deux pas de chez vous » porte un regard souvent sarcastique sur des réalités qui ne laissent pas sans réaction.
QUAND FB, NOUVEAU CAFÉ DU COMMERCE, CRITIQUE LES PRATIQUES DES ÉCRIVAINS, ou QUAND UN ÉCRIVAIN FAIT LA MORALE À SES PAIRS
- Par Liliane Schraûwen
- Le 10/12/2020
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L’un de mes confrères en écriture publie sur FB un joli message dans lequel il parle du « sens du commerce » de « certains collègues auteurs » qui — toujours sur FB — écrivent :" Offrez un de mes bouquins pour Noël". Il ajoute que le sens du commerce est, à ses yeux, Le pire de tous les sens pour un artiste, concluant son texte sur une poétique envolée que je reproduis ici : « Offrez autre chose ou n'offrez rien, vous-même, un baiser sans masque, prenez dans vos bras, donnez ce qui ne coûte rien, ou du miel, ou une orange, ou la promesse de retrouvailles, un compliment, un souvenir d'Ostende, la grâce inouïe d'un sourire aimant, ou des mots qui viendront de vous, avec des fautes et des clichés, on s'en fout. Quelque chose de vous. »
Joli, certes. Mais choquant. Voici donc ce que je réponds à ce message.
Bien sûr, un écrivain ne devrait pas avoir à publier sur FB des invitations à acheter ses œuvres. Mais un écrivain écrit pour être lu. Un écrivain doit aussi manger, se chauffer, etc. Or, à moins de s’appeler Marc Lévy, Guillaume Musso, Jean Teulé, Amélie…, la société actuelle est ainsi faite que pour manger, il faut de l’argent ; pour être lu, il faut vendre. Quand la presse et la critique vous ignorent, quand on n’est invité ni chez Ruquier, ni chez Barthès, ni chez Busnel ni même chez le répugnant Hanouna, quand un livre est « mort » après trois mois de présence en librairie (dans le meilleur des cas), quand les libraires renvoient les « retours » pour faire de la place aux nouveautés, mémoires présidentiels, traités de nutrition, romans « feel good », révélations complotistes ou extraterrestres, quand notre éditeur historique, selon l’expression consacrée, cesse ses activités et que par conséquent les ouvrages publiés chez lui — chez elle, en l’occurrence — ont cessé d’exister, quand d’autres éditeurs (et je ne parle pas ici de la Belgique) oublient de payer les droits d’auteur, quand certains confrères vous plagient sans vergogne (et je parle en connaissance de cause), comment ne pas être contraint de « faire la pute » ? Ce qui implique ces « post » que tu critiques, de même que notre présence aux salons et foires du livre (qui sont cette année aux abonnés absents).
Il y a une différence, me semble-t-il, entre « avoir le sens du commerce », et souhaiter jouir d’un minimum de visibilité. D’ailleurs, depuis que l’art existe, les créateurs (peintres, musiciens, écrivains) ont toujours été contraints d’exercer ce fameux sens du commerce, vivant de commandes (tels Vinci ou Michel-Ange), de mécénat, se cherchant de riches protecteurs. Le fait que Picasso, Rubens, Matisse ou Magritte — pour n’en citer que quelques-uns — aient été de grands vendeurs enlève-t-il quelque chose à leurs qualités artistiques ? Mozart ne cherchait-il pas sans cesse commandes et protections ?
Le mythe du poète romantique et poitrinaire écrivant dans une pauvre mansarde à la lueur d’une bougie est bien joli, certes. Mais les artistes, bons ou mauvais, ont d’abord besoin de survivre, et ensuite d’être reconnus à défaut d’être compris. Plus de mécènes aujourd’hui, plus de rois à historiographier, plus de protecteurs riches et influents. C’est dommage sans doute, même si je ne suis pas certaine d’être prête à me plier aux goûts et exigences de quelque commanditaire fortuné. Il reste Facebook, qui du moins ne contraint pas les vilains écrivains, qui tentent d’acquérir par là un certain « sens du commerce », à soumettre leur talent réel ou supposé aux désidératas de l’un ou l’autre ayatollah. Je déplore tout cela, comme toi. Mais je trouve un peu facile, sinon choquant d’ainsi blâmer tes confrères en écriture qui ne font que chercher là une visibilité que souvent on leur refuse ailleurs.
Un autre de ces « amis » FB — qui quelquefois dirait-on deviennent des ennemis — réagit aussitôt :
« Rien n'est plus triste que de voir un ami se faire moucher par le fleuret cinglant d'une pasionaria de la littérature belge. Vu de l'extérieur, je trouve le mot de XXX d'une justesse tout en finesse pour exprimer ce qui doit rester l'âme de l'écrivain. L'écriture.
Loin de moi ces marchands du Temple qui s'alignent en rangs d'oignons dans l'attente de l'improbable lecteur. Journalistes, libraires, bibliothécaires et autres sont là pour se charger, à grands renforts [ndla: la faute d'orthographe d'origine] de tambours et trompettes, de promouvoir les ouvrages des auteurs.
Artiste tu es cher XXX. Laissons le cabot aboyer. Ta plume et tes amis t'attendent. »
Bon. Me voici donc rayée du nombre des « artistes » et reléguée au rang des « cabots » et des pasionarias. Un peu surprise quand même, je me fends d’une réaction, toute littéraire :
« Euh… C’est moi, la pasionaria de la littérature belge ? Et aussi le cabot qui aboie, si je lis bien ? J’aime beaucoup les chiens. Mais je ne suis pas certaine que le substantif « cabot » soit, en l’occurrence, un petit mot affectueux…
Certes, on ne peut que souscrire à l’affirmation selon laquelle « l’écriture doit rester l’âme de l’écrivain ». Mais ledit écrivain souhaite, généralement, être lu. Et donc être acheté (ou vendu) à travers ses œuvres. Malheureusement, si en théorie « Journalistes, libraires, bibliothécaires et autres sont là pour se charger, à grands renforts de tambours et trompettes, de promouvoir les ouvrages des auteurs », la réalité est souvent autre. Pour certains, rares, qui font sérieusement ce boulot (par passion sans doute et non parce que ce serait pour eux un métier, à l’instar de celui des critiques et autres intervieweurs professionnels), combien de ceux-là ignorent les auteurs belgo-belges, pasionarias ou non, au profit des « grands » qui ont l’honneur de se voir publiés dans l’Hexagone, quand ce n’est pas aux USA ou au Japon. Bizarrement, à chaque fois que j’ai publié en France, j’ai eu les honneurs de la radio et même de la télé, de même que lorsque j’ai été primée par la Communauté française de Belgique. Mes dernières productions « littéraires », en dehors des titres consacrés aux Grandes Affaires criminelles de Belgique et autres sujets sanglants de non-fiction, m’ont valu de jolies critiques… mais pas dans les journaux ou médias dits « importants » (à l’exception du Soir, que je remercie au passage de faire correctement son travail).
« Loin de moi ces marchands du Temple qui s'alignent en rangs d'oignons dans l'attente de l'improbable lecteur » écris-tu encore. Ah bon ? Tenter de faire savoir via FB ou autrement que tel ou tel livre existe, publié chez un « vrai » éditeur et non sur je ne sais quelle plateforme d’autoédition, quand les grands médias se taisent, est-ce jouer les marchands du Temple ? Mes lecteurs comme ceux de mes confrères en littérature doivent-ils être considérés comme « improbables » ? Ce que j’écris et publie, à l’instar de ce qu’écrivent et publient nombre d’autres écrivains de chez nous, est-il médiocre au point de ne pas mériter de séduire le lecteur, à l’exception de quelques « improbables » ? Que de mépris dans ces propos !
Publier de temps à autre la photo d’un livre oublié des critiques et absent des étals des librairies pour cause de Covid, de réassort ou d’actualité plus brûlante et plus people, est-ce donc « s'aligner en rangs d'oignons dans l'attente de l'improbable lecteur » ?
Pasionaria ou cabot aboyant à la lune, j’avoue que, moi aussi, je déplore le temps et l’énergie perdus à racoler ainsi (si j’ose dire). Mais je déplore plus encore le silence des espaces infinis du petit monde journalistico-littéraire, et je déplore surtout que certains se permettent de critiquer ou mépriser ouvertement les pseudo-cabots et marchands du Temple, quels que soient par ailleurs leur talent ou leur absence de talent, qui, simplement, tentent d’exister en tant qu’écrivains, faisant partie de ceux pour lesquels « l’écriture doit rester l’âme ». Car qu’est-ce donc qu’un écrivain, sinon quelqu’un qui écrit ? Et pourquoi écrit-il ? Pour être lu. Pour partager un peu de cette « âme » avec « d’improbables lecteurs » qui n’ont aucun moyen de savoir qu’il existe si on ne le voit pas à la télé, si on ne l’entend pas à la radio, si les pages de La Libre, du Monde des Livres ou du Figaro littéraires l’ignorent.
Je ne suis ni Guillaume Musso, ni Marc Lévy, ni dans un autre registre Amélie, ni le merveilleux Le Clézio. Ceux-là, en tout cas, n’ont nul besoin de cabotiner sur FB, et tant mieux pour eux. Quant à moi, si dans un avenir « improbable » j’atteins le dixième de leur notoriété, je m’engage à me retirer aussitôt des réseaux prétendument sociaux, et ce sera autant de temps gagné pour l’écriture et pour mon âme. Mais en attendant cette improbable reconnaissance, je continuerai à poster de temps à autre une photo de l’un de mes livres, ou une critique. Juste pour faire savoir qu’il existe un écrivain qui porte mon nom et qui essaye, tant bien que mal, de (sur) vivre.
Pour conclure, je me permettrai de r rappeler que l’ami XXX dont il est question (ami que j’apprécie sur le plan littéraire mais que je connais peu sur le plan personnel, en dépit d’une expédition commune à Mons où il fut question, pour lui et moi, de jouer aux marchands du Temple), cet ami donc, n’hésite pas à se mettre en scène sur FB, publiant avec un beau narcissisme des extraits de livres en cours d’écriture et des projets qui, par définition, sont inaboutis et ne verront peut-être jamais le jour. N’est-ce pas une autre manière, plus subtile mais très efficace, de jouer au marchand du Temple et de racoler « d’improbables lecteurs » ?
Loin de moi l’idée de critiquer cette pratique ; mais que l’on ne me traite pas de « cabot » ou de « marchand du Temple » quand je fais pareil. Sur ce, je m’en vais retrouver ma plume qui m’attend, et mes mots, qui sont mes amis.
Je vous le donne en mille : l’ami de mon ami qui, je le crains, ne sera plus désormais mon ami, s’est fendu d’une réponse que je ne résiste pas au plaisir de recopier ici :
Bon sang, mais c’est bien sûr ! Il est évident que j’avais bien besoin de ces excellents conseils littéraires, conseils que je vais m’empresser de suivre. C’est promis, m’sieur, j’éviterai à l’avenir les épanchements trop longs « comme souvent » ( !), et m’efforcerai à des argumentations plus concises. Surtout lorsque je m’adresserai à un cerveau « basique » (keksèksa ?).
Heureusement qu’il existe de tels maîtres pour expliquer aux écrivains comment il faut écrire… à défaut d’écrire eux-mêmes.
PAUVRE LITTERATURE BELGE
- Par Liliane Schraûwen
- Le 01/10/2020
- Commentaires (251)
- Dans De la littérature
COUP DE GUEULE : TROP IS TE VEEL COMME ON DIT CHEZ NOUS.
L’émission Monts des Arts (télébruxelles) traite ce jeudi d’une grave question : MUSIQUE : NOS ARTISTES SONT-ILS SUFFISAMMENT DÉFENDUS PAR NOS MÉDIAS RADIOS ?
Bonne question, certes. Mais qui, je ne sais pourquoi, m’a un peu énervée. M’a beaucoup énervée. Et en fait, je sais pourquoi.
Je vous explique.
Il est bon et souhaitable, sans doute, de diffuser sur les ondes belges des artistes belges, musiciens ou chanteurs. Quoi de plus naturel ? Il existe d’ailleurs des quotas, plus généreux en Flandre qu’en Communauté française.
Mais je ne peux m’empêcher de me dire qu’une autre catégorie d’artistes, celle à laquelle j’appartiens, celle des écrivains, aurait bien besoin d’être soutenue, elle aussi, encouragée ou, à tout le moins, reconnue. Or, il est patent que la presse, en général, consacre ses colonnes ou ses ondes radio et télé aux « grands vendeurs », français et rarement belges (suivez mon regard). Il y a pourtant chez nous de nombreux auteurs intéressants, talentueux, originaux, performants, productifs, qui publient chez des éditeurs belges, et auxquels les médias ne s’intéressent que lorsque l’un de leurs livres est primé, « fait le buzz », ou se trouve édité à Paris. Bien sûr, nous ne sommes pas tous des génies, il existe sans doute, ici comme ailleurs, des écrivains médiocres dont il vaut mieux ne rien dire, et les critiques ont parfaitement le droit d’être subjectifs, d’apprécier ou non tel ou tel auteur, de choisir de le défendre, de l’ignorer, voire de le descendre en flammes.
J’aimerais donner un exemple, cependant, si je puis me permettre de citer modestement ma petite personne. J’ai eu les honneurs de la radio et de la télé lorsque j’ai publié aux éditions Régine Deforges aujourd’hui disparues (éditions parisiennes), lorsque j’ai été primée par la Communauté française de Belgique et lorsque j’ai produit de « grandes histoires criminelles » (éditées en France également). Pour le reste… Silence radio (c’est le cas de le dire). Et je connais de très nombreux confrères (et consœurs), dont certains sont excellents, qui rament de la même façon, et qui existent à peine sur le plan médiatique. Par conséquent, le public n’a aucun moyen de découvrir leur production ni, très logiquement, d’avoir la curiosité de les lire. Ces auteurs demeurent donc ignorés pour ne pas dire méprisés, et leurs éditeurs ne vendent guère, ce qui les place dans des situations financières difficiles (ceci est une litote). S’il existe des quotas de diffusion pour les musiques et chansons belges, peut-être faudrait-il penser aussi aux plumitifs qui consacrent plusieurs mois, voire plusieurs années, à concevoir et mettre au jour un roman ou toute autre forme de création littéraire, et dont l’œuvre sombre aussitôt dans le silence et l’indifférence. Si je fumais, même rien qu’un peu, mes droits d’auteur ne suffiraient pas à me payer mes cigarettes.
Les pages « littéraires » des grands journaux belges sont de moins en moins nombreuses, et on y parle davantage de parutions françaises, américaines, chiliennes, vénézuéliennes, britanniques, italiennes, espagnoles… que des nouveautés « de chez nous ». Nul n’est prophète en son pays, ce n’est pas neuf. Mais il serait temps que les choses changent.
Que diable : la littérature belge vivante ne se limite pas à Amélie Nothomb, Adeline Dieudonné, Nadine Monfils ou Jean-Philippe Toussaint… qui publient en France.
Le mythe du poète affamé reclus dans sa mansarde où il aligne les rimes à la lueur d’une bougie est romantique à souhait. Encore faudrait-il que cela reste un mythe. Et que ceux qui écrivent des livres soient – au moins – aussi bien traités que ceux qui chantent, qui composent ou interprètent de la musique.
LARMES BLEUES SUR PAPIER BLANC
- Par Liliane Schraûwen
- Le 07/03/2020
- Commentaires (255)
- Dans Emotion
LARMES BLEUES SUR PAPIER BLANC (Liliane SCHRAÛWEN / Texte publié dans la revue littéraire "Marginales" – été 2000 (« Impressions d’Afrique »).
Un lac, vaste et profond comme la mer. Un grand lac qui respire sous le soleil et l’on entend son souffle jour et nuit, comme celui d’un fauve assoupi. Je le vois de mes fenêtres. D’ailleurs, on le voit de partout, de chacune de ces maisons blanches construites sur les collines. Il remplit mes yeux, mes rêves et mes peurs, il me remplit l’âme. Vaste et profond comme la mer... Non, mieux qu’une mer, plus bleu, plus sauvage parfois, plus lisse par temps de saison sèche, immobile et pur, presque blanc sous le soleil. Peuplé de choses sombres et terribles, crocodiles que l’on voit avancer en bancs, juste quelques lignes grises sur l’eau calme, pas très loin du rivage, qui emportent un enfant quelquefois ou un chien imprudent. Microbes invisibles qui traversent la peau et s’installent au plus chaud du ventre, y creusent d’imperceptibles galeries, et l’enfant devenu homme souvent finit par en mourir, brûlé sans le savoir par ce bonheur animal et fou du soleil, de l’eau et du vent, qui l’a rempli longtemps avant.
Moi, je ne pouvais pas me baigner. Mes parents savaient que c’était dangereux. Ils savaient tout, en ce temps-là. Je ne mourrai pas de la bilharziose. Dommage. De mon enfance lointaine, j’aurais aimé avoir ramené ce germe de mort comme un cadeau précieux, comme un souvenir qui grandit jusqu’à tout dévorer. Mourir de l’Afrique tant aimée comme on meurt d’amour, comme on meurt d’une femme enfuie, d’un enfant perdu. Mourir brûlée au sang, une flèche de soleil fichée en plein cœur, tout enivrée de la vie obscure et mystérieuse de mon lac lumineux. J’aurais aimé cela. Ou bien mourir là-bas, en même temps que l’enfance, d’une morsure de serpent verte et brutale, ou d’un coup de feu, dans un grand éclatement de sang rouge comme la terre. Ou dans l’éclair blanc d’une large lame de fer, foudroyante et définitive.
Le lac… Souvent, l’après-midi, nous y allions vers les 4 heures, quand le plus lourd de la chaleur était passé. Les mamans étalaient des couvertures sur le sable, les enfants jouaient, se poursuivaient en criant, s’éloignaient vers quelque pirogue échouée qui attendait la nuit. La plage brillait, blanche et infinie. Le sable était fin, tellement fin que jamais je n’en ai revu de pareil. Il était tiède sous les pieds nus, il glissait entre les doigts, comme de l’eau, scintillait d’imperceptibles particules de mica, recelait des coquillages tout petits, tourelles dentelées, coquilles de nacre rose, choses infimes qui étincelaient dans le creux de la main, sculptées par l’eau, le vent, la poussière et la chaleur.
Je creusais le sable, construisais des volcans hauts comme des taupinières, avec un tunnel au milieu, et une cheminée. Je ramassais des herbes sèches, les enfouissais dans le ventre de ma montagne, puis j’y mettais le feu. Flammes et fumée s’échappaient par le sommet.
Je marchais le long des vagues, loin, de plus en plus loin, vers le village des pêcheurs que je n’atteindrais jamais, là où les hommes noirs et leurs familles vivaient au bord de l’eau qui les nourrissait. Je courais dans le vent, avec toute la chaleur de l’Afrique qui coulait sur ma peau claire, avec tout le bleu et le blanc du ciel, de l’eau, du sable, qui m’entraient dans l’âme pour toujours.
L’étendue liquide réverbérait la lumière. Il y avait les vagues, puis le sable, puis des herbes sèches, puis des plantes rampantes, sortes de lianes épaisses aux larges feuilles d’un vert jaunâtre roussi par la sécheresse. Sur la plage, de temps à autre, de gros poissons crevés sentaient mauvais et attiraient les mouches, et mon chien y plongeait avec délice sa truffe noire. Des lézards aux reflets métalliques dormaient immobiles au soleil, dorés, bleutés ou vert-émeraude, bijoux vivants aux petits yeux d’or. On rencontrait parfois de gros serpents occupés à digérer quelque crapaud imprudent.
On disait « le lac », sans le nommer. Longtemps, j’ai cru qu’il n’y en avait qu’un sur terre, le mien. Après, à l’école, j’ai vu toutes ces taches bleues sur la mappemonde. J’ai été un peu déçue. Puis j’ai su que mon lac était presque le plus grand du monde. J’ai été remplie de fierté, comme s’il faisait partie de moi, et moi de lui. Fière comme on peut l’être d’un pays, d’une patrie, d’une ville où l’on est né par hasard mais d’où l’on est, de là et de nul autre lieu. J’étais du lac, moi, j’étais d’Afrique.
Il était le centre et l’âme du paysage, il était le paysage même. Il remplissait le silence de son incessante chanson liquide qui jamais ne s’arrête. Le matin, il se teintait de rose tendre et laiteux sur lequel glissaient les traits fins des pirogues qui revenaient de la pêche. Souvent, il paraissait totalement immobile, étale et lisse comme un miroir, et l’on voyait parfois, par temps très clair, la rive d’en face, bleutée, irréelle et ténue tel un mirage fragile posé sur les eaux.
Pendant la saison des pluies, il pouvait se gonfler de tempêtes écumantes et terribles. On l’entendait mugir et hurler sa colère sous la pluie et le vent. Quelquefois une trombe liquide sortait de lui en tournoyant, comme une bête monstrueusement étirée entre ciel et eau, et elle voyageait, vite, toute en courbes élargies et en spirale vivante. Des bateaux disparaissaient, happés par la chose terrible. La pluie tombait, serrée, violente, en larges gouttes tièdes et brutales, elle fouettait les vitres derrière lesquelles je regardais, de tous mes yeux, le prodigieux spectacle.
Laissez-moi vous dire… Là-bas, c’était chez moi. Ma maison, mon pays. Mon foyer perdu. Ma patrie lointaine.
C’était loin, très loin d’ici. Loin dans l’espace et dans le temps, enfoui profond au fond de ma mémoire. Une petite ville blanche sous le soleil, au bord du lac immense.
La terre était rouge, odorante, et profonde la nuit.
Les maisons s’étageaient sur les collines, parmi les fleurs. On entendait le lac, toujours, nuit et jour, qu’il murmure ou qu’il gronde. On entendait le bruit du vent dans les feuillages des eucalyptus, en contrebas, près de la plage. Une forêt d’eucalyptus aux feuilles fines, presque argentées, arrondies comme des cimeterres, que l’on froissait entre les doigts pour le plaisir du parfum pénétrant qui poissait les mains et restait là, entêtant, jusqu’au soir. De grands arbres élancés et bruissants, avec des petits fruits dont les enfants détachaient un morceau jaune et pointu que nous appelions "le petit chapeau", et que nous nous collions sur le bout du nez.
Il y avait d’autres sons encore, les bruits des machines, à l’atelier et sur le port, qui montaient dans l’air chaud de l’après-midi. Les cris des oiseaux et, la nuit, la stridulation de millions d’insectes. Les frémissements mystérieux, sous les feuilles ou dans l’herbe roussie.
Il y avait l’avenue, au pied des collines, bordée de boutiques, avec des palmiers des deux côtés. Il y avait le grand flamboyant noueux entouré de larges pierres passées à la chaux, au milieu de l’avenue. Il y avait la piscine, tout en haut d’une colline, comme une récompense après la dure montée. L’église blanche, sur une autre colline, avec son clocher fin et droit percé de deux rangées de petites fenêtres et surmonté d’un cadran carré, puis d’un bulbe discret sous la croix pure. Il y avait l’école des sœurs, où j’ai appris à lire. L’hôpital avec son vaste jardin au milieu duquel un grand mûrier offrait ses trésors, non loin d’un canon rouillé qui datait d’une guerre lointaine, contre les Allemands disait-on, ou contre les esclavagistes. Autant d’édifices, autant de collines fleuries.
Il y avait la gare de briques rouges, le long du lac, et le port avec les bateaux qui s’en allaient vers Usumbura, vers Kigoma, vers l’inconnu. Il y avait le petit chemin ombragé qui menait à l’une ou l’autre des plages. Il y avait la brousse partout, qui enserrait la ville de ses arbres sonores d’oiseaux, et les serpents souvent entraient dans les maisons, la brousse avec les lions qui parfois attaquaient le bétail, dans les villages, et même les enfants. Alors le chasseur, celui qui avait servi de guide à un roi déchu, s’en allait pour plusieurs jours, avec ses pisteurs, et il abattait le fauve, et les enfants de l’école allaient admirer la dépouille terrible.
Et les fourmis noires ou rouges, en colonnes larges comme des ruisseaux qui serpentaient sur le sol sans dévier d’un centimètre, dévorant tout sur leur passage, plantes ou animaux. Les scolopendres annelées qui avançaient comme en dansant sur leurs milliers de minuscules pattes, et s’enroulaient sur elles-mêmes à la moindre alerte, petits disques brillants, rigides, et les enfants s’amusaient à les taquiner de la pointe d’une brindille, pour le plaisir de les voir ainsi changer de forme, et l’on disait que leur sillage sur la peau nue laissait une longue brûlure.
Il y avait d’autres collines, au loin, latérite rouge et fourrés plus ou moins épais, plus ou moins verts.
Il y avait les feux de brousse qui noircissaient la terre, puis venaient les pluies, et la vie revenait, plus drue, plus forte, plus verte.
Il y avait les femmes noires, leurs enfants attachés dans le dos, qui s’en allaient au marché ou revenaient des champs, droites et royales, avec d’incroyables échafaudages de paquets sur la tête ; et les marchands avec leurs longs paniers de raphia débordants de légumes et de fruits de toutes sortes ; et les gamins qui tentaient de nous vendre de gros citrons grenus cueillis dans notre jardin.
Et puis, il y avait les parfums. Parfums lourds et sucrés des frangipaniers laiteux, des lauriers roses et blancs, des mangues poisseuses. Odeurs du poisson séché, du maïs grillé sous la cendre. Parfum de terre africaine, âcre, pénétrant, sauvage. Et les couleurs… Bouquets formidables des flamboyants toujours rouges, des acacias jaunes, des bougainvilliers orangés ou violets ; arbustes fleuris d’un blanc tendre au cœur veiné d’or et de rouge. Les bosquets d’hibiscus aux larges corolles couleur de sang, et toutes ces touffes bleues, orangées, mauves, blanches, fleurs fragiles ou triomphantes aux noms inconnus. Sur les murs des maisons, les pluies d’or ruisselaient de lumière. Il y avait le vert brillant des larges feuilles de bananiers, celui du feuillage des gros manguiers, émeraude sombre et luisante, celui presque jaune des feuilles larges et découpées des papayers…
Il y avait les saveurs aussi. Saveurs ocre des mangues, des goyaves grumeleuses sous la dent, des papayes ; or juteux des ananas odorants, douce chair étoilée des petites bananes à l’épaisse pelure verte ou d’un brun tirant vers le pourpre.
Il y avait le marché indigène, fruits colorés, poissons de la nuit aux écailles irisées toutes brillantes encore d’eau, petits ndakalas séchés ; et les légumes secs, haricots rouges, brunâtres, blancs. Et les pagnes aux couleurs criardes, les ustensiles de vaisselle, les gros morceaux de savon de Marseille, dans leur emballage bleu et jaune, à même le sol ou sur des pièces de tissu multicolores. Il y avait ces bassins émaillés, blancs ou bleus, que les femmes utilisaient pour un tas d’activités étonnantes, cuisine, portage, lessive, bain des petits. Il y avait les animaux de la brousse que les noirs capturaient pour les vendre, et qui aurait pu résister à la petite mangouste sympathique, à la civette aux allures de chaton, au bébé chacal que l’on élèvera comme un chien et qui retournera à la vie sauvage, peu à peu, jusqu’à ne plus revenir ? Et le singe, et la douce antilope aux yeux de velours, et le perroquet gris qui imitait si bien les cris des enfants, les miaulements du chat, les aboiements du chien, et les voix de mon père, de ma mère…
Bien sûr, j’étais une enfant à la peau claire. Tellement claire, en vérité, que le soleil l’a mouchetée de petites taches qui, avec les années, s’élargissent irrémédiablement. Bien sûr, je ne me posais pas de questions. Quel enfant s’en pose, dites-moi ?
Bien sûr, il y avait l’hôpital des blancs et l’hôpital des noirs – même si c’étaient les mêmes médecins qui officiaient des deux côtés. Il y avait l’école des blancs et celle des noirs, les magasins des blancs et les magasins des noirs, et l’on n’y trouvait pas les mêmes marchandises. Objets importés d’Europe d’un côté, livres, vêtements, produits d’entretien, vivres, et de l’autre pagnes, bicyclettes, ustensiles de cuisine, et toujours ces fameux bassins. Il y avait même l’église des blancs – cependant fréquentées par quelques noirs -, et celle de la mission – cependant fréquentée par quelques blancs. Aucune interdiction dans ces clivages, une coutume plutôt. Les choses étaient ainsi, voilà tout.
Bien sûr, toutes les familles blanches se payaient les services d’un boy qui aidait au ménage et à la cuisine, à la lessive, et qui parfois servait à table.
Inadmissible, me direz-vous, et comme on comprend Lumumba et son discours vindicatif…
Inadmissible, vraiment ? Rappelez-vous, c’était le temps des colonies. L’Inde venait à peine de quitter l’Empire, la quasi-totalité de l’Afrique du Nord était française, le reste était anglais ou portugais. La guerre d’Indochine et la guerre de Corée faisaient la une des journaux, en attendant celles qui ravageraient l’Algérie et le Vietnam.
Souvenez-vous. C’était le temps où, en Europe, la silicose rongeait les poumons de mineurs venus du Sud, et personne ne s’en offusquait. C’était 10 ans, 20 ans à peine après que l’un des peuples les plus civilisés de la terre avait joyeusement immolé 6 millions d’individus sur l’autel de la supériorité aryenne.
Rappelez-vous… On publiait à grands frais des hebdomadaires illustrés qui se définissaient sans vergogne comme "journal mensuel de propagande coloniale". Et qu’on ne vienne pas me parler des mains coupées par les sbires de Léopold II, ni de la "chicotte" qui a tant fait souffrir paraît-il le cher Lumumba. Léopold II, pour moi, n’était qu’un nom dans mon livre d’histoire. Je n’ai jamais vu d’Africain aux mains coupées, je n’ai jamais entendu parler de la chicotte, sinon pour en être menacée si je n’étais pas sage. C’est ainsi qu’on élevait les enfants, en ce temps-là, à la chicotte ou au martinet, selon la latitude.
Le colonialisme est un système économique et politique indéfendable… aujourd’hui. Mais, en ce temps-là, pour ce que j’en sais, personne en Europe ou en Amérique ne le jugeait indéfendable.
Ne me demandez pas de mépriser mon père pour avoir fait confiance à ce qu’imprimaient ces journaux de propagande coloniale, pour avoir rêvé d’une vie d’aventure plus belle que celle qui l’attendait sous le ciel gris de la métropole, ni pour avoir cru ce qu’on lui avait enseigné dans les cours qu’il a dû suivre avant de partir pour la colonie. Ne me demandez pas de renier l’enfant que j’étais, et le bonheur animal et primitif que j’ai connu dans ce pays de soleil et de lumière.
Je me souviens du boy Michel, que j’observais des heures durant des heures pendant qu’il repassait draps et serviettes avec des chuintements de vapeur sous la semelle du fer rempli de charbon. Je me souviens du citron piqué de pili-pili qu’il mangeait avec un plaisir évident. Je me souviens de mes bavardages, des questions que je lui posais, de mon étonnement devant ce qu’il me racontait de sa vie, de sa manière de penser. Je me souviens de son petit garçon, qui s’appelait Michel lui aussi, avec qui je jouais école, et j’étais toujours l’institutrice.
Je me souviens aussi de ce mois d’octobre 1960, quand je me suis trouvée enfermée dans un grand pensionnat de briques, au cœur d’une ville de grisaille et de pluie que je ne connaissais pas, et des propos haineux de mes compagnes : "Les nègres vont tuer tous les blancs, et ce sera bien fait". Les mêmes compagnes qui, deux ans auparavant, lors de l’un des congés qui nous ramenaient en Belgique, me demandaient si les sauvages parmi lesquels je vivais n’étaient pas dangereux, s’ils se promenaient tout nus, s’ils se cachaient dans les arbres comme des singes, s’ils étaient encore cannibales et, surtout, s’ils sentaient mauvais…
L’oreille collée au transistor, sous les couvertures, j’entendais ce qui se passait là-bas, chez moi, où était restée ma famille. Je ne comprenais pas. C’est vrai qu’on tuait des blancs, et aussi des noirs. Des armées étrangères faisaient la guerre. Je pleurais, j’avais peur, je ne voyais pas pourquoi ce serait bien fait, si mes parents mouraient.
Je me souviens de toi, Chantal, du cri qui est sorti de toi lorsqu’on t’a annoncé la mort de ton père, tué en terre africaine par un soldat de l’ONU.
Que serais-je devenue si les choses avaient été autres, si j’étais restée là-bas ? Sans doute l’adolescence aurait fait son travail, j’aurais réfléchi, changé, je me serais posé des questions. Sans doute… mais ce n’est pas certain. Car combien de générations, dites-moi, ont vécu avec la certitude d’appartenir à une "race" supérieure aux autres, sans jamais mettre en doute ce qu’enseignaient livres et dictionnaires ? Et combien d’autres, au fil des siècles et jusqu’au cœur du nôtre, pour admettre sans sourciller que des hommes en réduisent d’autres au rang de bétail que l’on achète et que l’on vend ? Rappelez-vous : « c’est à ce prix que vous mangez du sucre en Europe »…
Je sais bien que c’est la mode, aujourd’hui, de jeter l’anathème sur ceux qu’on appelle les colons. Les colons, là-bas, c’étaient les gros fermiers, les planteurs. Pas les gens qui travaillaient pour l’administration ou les chemins de fer, pas les employés, pas les ouvriers. Mais qu’importe, puisque dans tous les cas, ils exploitaient les indigènes, les méprisaient, les insultaient, les frappaient ?
Eh bien, non. Ce n’est pas vrai, tout ça, ce n’est pas comme ça que nous vivions. Ce n’est pas comme ça que les choses se passaient. Même si certains, sans doute, ont pu agir de la sorte, en brousse peut-être, loin de tout contrôle. Les hommes sont ainsi, blancs ou noirs, Allemands en terre polonaise ou Juifs de Palestine, G.I.’s dans la jungle vietnamienne, Serbes ou Croates, Hutus ou Tutsis… Les hommes sont ainsi, pourvu seulement qu’on leur en donne l’occasion. Pourquoi l’un ou l’autre Belge d’Afrique aurait-il fait exception ?
On nous parle aujourd’hui de violences, de sévices. Tel était, paraît-il, le quotidien des colonisés. Injures, coups, tortures, mutilations… Je n’ai pas souvenir d’en avoir connu. Le système était injuste dans son principe, certes, comme étaient injustes le sort des ouvriers, dans les usines de chez vous, celui des mineurs, celui des noirs d’Amérique en ces temps où Martin Luther King ne rêvait pas encore. Mais je ne peux pas, je ne veux pas, assumer les erreurs et les abus d’une société tout entière, dont le fondement était l’inégalité. Je rejette ces clichés du pauvre noir et du méchant blanc, je me refuse à glorifier la violence et l’incitation au meurtre pour la simple raison qu’elles émanent des prétendues victimes du colonialisme triomphant.
Je veux crier au mensonge, oui, et tant pis si ma voix est seule à détoner dans un concert où le "politiquement correct" a plus de prix que la vérité. Tant pis s’il ne vous plaît pas, le propos de l’Africaine que je suis restée, envers et contre tout. Tant pis même si ce texte, finalement, reste ce qu’il est au moment où je le laisse couler de ma plume : quelques lignes sans écho, tristesse et regrets, révolte et colère, larmes bleues sur papier blanc… Un manuscrit, au fond d’un tiroir, rien de plus, qui ne dit pas ce qu’il faut dire.
Tant pis pour vous, tant pis pour moi, et tant pis pour cet univers de soleil et de feu qui m’habite à jamais et cependant meurt un peu plus chaque jour.
Mai 2000
La bête immonde
- Par Liliane Schraûwen
- Le 02/03/2020
- Commentaires (4959)
- Dans Colère
J’ai vu sur LA DEUX, récemment, deux documentaires français, l’un à la suite de l’autre. Le premier, intitulé « Hitler est-il de retour ? » montrait la survivance du personnage et du nom d’Hitler (jeux vidéo, BD, films…), à la fois mythifié et humanisé, presque sympathique. D’ailleurs, il aimait les chiens, et un homme qui aime les chiens ne peut être fondamentalement mauvais. J’ai ainsi appris que dans certaines régions d’Inde, on peut acheter des T-shirts à son nom ou à son effigie et manger des crèmes glacées « Hitler ». Même si l’on sait que le svastika est d’origine indienne et remonte au sanscrit, la banalisation de la « marque » Hitler (sans référence ni même connaissance du nazisme ou de la Shoah…) laisse pantois.
Le deuxième documentaire, nettement plus terrifiant (« Les fachos vont-ils vraiment conquérir l’Amérique ? ») est une plongée de plus d’une heure au cœur de la haine et de la bestialité décomplexées, en un pays que l’on se plaît à désigner comme « l’un des États les plus puissants du monde », un pays dont la Constitution, en son premier amendement, autorise sans restriction aucune la liberté d’opinion et d’expression. Sans restriction ? Non, car certains propos restent interdits, tels l’obscénité, la diffamation, l'incitation à l'émeute, le harcèlement, les communications secrètes, les secrets commerciaux, les documents classifiés, le droit d'auteur et les brevets. Oui, vous avez bien lu : l’incitation à l’émeute est prohibée, mais l’incitation à la haine, au meurtre, au rejet de l’autre, est parfaitement légale. L’obscénité est interdite, certes, mais le racisme, le suprémacisme, l’apologie du nazisme, le salut hitlérien, le port d’insignes nazis, la tenue de meetings et de réunions publiques prônant ces « valeurs » ne sont pas considérés comme obscènes. De grandes croix de feu continuent donc d'enflammer la nuit en souvenir nostalgique de l’heureux temps de l’esclavage, et personne n’y trouve à redire. Des croix ! Pauvre Jésus, où que tu sois, tu dois frémir à ce spectacle. Et puisque dans ce beau pays de liberté (illuminant le monde, comme on sait, grâce au napalm, à Hiroshima, à Trump – que béni soit son nom à jamais ! – et à ces magnifiques croix kukluxclannesques déjà citées), le deuxième amendement assure la liberté de vendre, acheter et porter des armes, les « débordements » se multiplient.
Terrible documentaire. On y apprend qu’il existe aux States (et ailleurs dans le monde, soit dit en passant) une multitude de groupuscules suprémacistes blancs et d’extrême droite qui, dans la foulée de la consternante démagogie du America First de Trumpie (béni soit son nom à jamais !), se regroupent, fusionnent, s’exposent, militent. Anecdotique et folklorique, car les USA sont loin de nous, à tous points de vue, et que Ubu-Trump a tout d’une mauvaise caricature ? Certes pas. En effet, ces puantes « idées » racistes, antisémites, extrêmes droitistes, facho et ouvertement nazies se répandent partout ailleurs, du Canada à l’Europe. En Allemagne, en Italie, en Autriche, en Bulgarie, en Croatie, en Espagne, en Estonie, en Grèce, en Hongrie, en Pologne, pour ne citer que quelques-uns des pays de notre Vieux Continent, fleurissent des partis qui se revendiquent parfois explicitement de l’héritage nazi, et dont les scores électoraux sont loin d’être anecdotiques. Sans même parler de notre cher Vlaams Belang belge à côté duquel Bartje fait figure d’enfant de chœur, ni de la (re)montée sans fards ni complexes d’un antisémitisme qui ne se cache plus.
C’est ici, chez nous. En France, à nos portes, au cœur de l’autoproclamée « patrie des droits de l’Homme ». Cimetières profanés, insultes publiques, agressions, attaques de synagogues, au prétexte du conflit israélo-palestinien ou d’autre chose. Les images du passé renaissent, les mêmes, et les mêmes mots. La même haine. Car la Shoah, c’est si vieux, n’est-ce pas ? La guerre des Gaules, les conquêtes napoléoniennes, 14-18, 40-45… Tout cela est passé, fini, enterré, oublié. C’est de l’histoire ancienne, celle que d’ailleurs l’on n’enseigne plus. Vos grands-parents, pourtant, et leurs parents, l’ont vécue, cette histoire. C’était ici, chez nous. « Interdit aux Juifs et aux chiens », c’était écrit sur les vitres de certains commerces. La maison voisine de la vôtre était peut-être celle d’une famille juive qui fut razziée, déportée, torturée, massacrée. Grands-parents, parents, enfants, bébés à naître. Non pas parce que ces gens étaient méchants, ni parce qu’ils avaient commis quelque forfait. Non, simplement pou r ce qu’ils étaient. Des Juifs. Des êtres humains cependant, mais que l’on pouvait haïr impunément et sans honte, puisque tout le monde le faisait. Puisque c’était permis, encouragé. Il y avait d’ailleurs sûrement une bonne raison à cela car, en somme, il n’y a pas de fumée sans feu…
On s’en fiche, me direz-vous, c’est si loin, ces histoires. Certes. Mais elles recommencent. Et je n’ose imaginer le succès encore plus fulgurant qu’aurait connu le Führer si, en son temps, Facebook et ses consorts avaient existé. Aujourd’hui, ils sont là, ces réseaux prétendûment « sociaux », et la haine, la bêtise, l’inculture et l’ignorance (qui souvent vont de pair avec la violence et le rejet de l’autre), le racisme, la xénophobie, y prolifèrent.
La bête immonde continue de ramper sur le sol de notre planète dévastée par sécheresse, pollution et autres catastrophes qui n’ont rien de naturel. Elle relève la tête. Elle s’appelle toujours antisémitisme, mais aussi racisme, suprémacisme, peur et dégoût de l’étranger, de l’immigré ; après tout, qu’ils restent crever chez eux, tous ces basanés, qu’on les rejette à la mer, ça fera de l’engrais pour les poissons, chacun chez soi, que diable, et les vaches seront bien gardées.
Voulez-vous que je vous dise ? L’humanité n’évolue pas. Elle ne progresse pas, sinon dans la violence et la veulerie, dans la barbarie. Nous sommes pires que nos anciens car nous, nous savons. Nous les voyons mourir et se noyer à nos portes, ces enfants à la peau brune ou noire. Nous les voyons chaque jour sur les écrans de nos smartphones périr sous les bombes, crever de faim, errer dans les ruines, hurler de peur et de douleur. Nous voyons ces dessins de croix gammées sur les trottoirs de nos villes, comme avant, et ces cortèges carnavalesques alostois qui donnent la nausée. Nous savons que c’est ainsi que tout a commencé il n’y a pas si longtemps, que tout recommence, toujours et pour toujours. Contrairement à nos parents, à nos grands-parents, NOUS SAVONS. Et tout le monde s’en fout. Tant que moi, je suis au chaud, tranquille, dans ma confortable demeure au frigo bien garni, pourquoi voudriez-vous que m’importe le sort de ceux qui meurent aujourd’hui, là-bas, ailleurs, ou devant ma porte ? Pourquoi me soucierais-je du racisme, moi qui ai la peau claire ? Qu’ai-je à faire du sort des Juifs, moi qui suis goy ? Ou de celui des migrants qui n’avaient qu’à rester chez eux, ou de celui des SDF qui, certainement, ont mérité leur déchéance ?
Un jour, pourtant, je serai peut-être de leur nombre. Car mes parents, mes grands-parents, ont été des fuyards eux aussi, des exilés. Les vôtres ont été persécutés peut-être. Ils ont eu faim, ils ont connu la misère. Et la guerre. Elle a tenté de les dévorer, la bête immonde, et c’est grâce à un peu de solidarité humaine qu’ils ont pu lui échapper. Un peu de cette solidarité qui, aujourd’hui, est entrée en agonie. La fin est proche.
L’AFFAIRE
- Par Liliane Schraûwen
- Le 21/11/2019
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QUAND L’AFFAIRE DREYFUS DEVIENT L’AFFAIRE POLANSKI
Roman Polanski est un vieux monsieur de 86 ans. C’est aussi l’un des meilleurs réalisateurs des 20ème et 21ème siècles. Il avait 43 ans lorsqu’il a commis en 1977 le viol (ou « relation consentie » selon sa version) d’une une ado de 13 ans. On peut supposer qu’il s’est amendé depuis le temps lointain du LSD, de toutes les licences et du meurtre atroce de son épouse Sharon Tate, alors enceinte de 8 mois, par la secte Manson. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas ici d’excuser le viol de la jeune Samantha Geimer, ni de minimiser un tel acte. Mais quel rapport entre l’individu de 43 ans qui l’a commis et le cinéaste de 86 ans qui aujourd’hui réalise « J’accuse » ? Quel rapport entre l’éventuelle noirceur de l’homme et le génie ou le talent de l’artiste ? Quel rapport entre la volonté de vouloir interdire la diffusion d’un tel film, et le dérèglement sexuel (ancien) de son auteur ?
Les autres accusations de violences sexuelles dont il est l’objet n’ont jamais été jugées, ni avérées. Pour ce que j’en sais, la Justice privilégie par essence la présomption d’innocence. Mais la vindicte populaire, dont on sait ce qu’elle vaut, en juge autrement. Tant qu’à chasser les sorcières et à les vouer au bûcher, comment se fait-il d’ailleurs que Woody Allen (un autre génie du cinéma) se trouve relativement préservé ? L’inceste (présumé) serait-il moins grave que le viol ? Et à quand l’interdiction des chansons de Michael Jackson ou, mieux, la destruction de ses disques et CD en un magnifique autodafé ?
Céline était un abominable antisémite, auteur de textes immondes. Il est pourtant l’un des plus grands écrivains français, et personne ne lui conteste ce titre, d’ailleurs reconnu par sa publication dans La Pléiade. Gabriel Matzneff s’est toujours affirmé, dans son oeuvre comme dans les médias, comme « pédéraste », revendiquant son goût pour « l'extrême jeunesse, celle qui s'étend de la dixième à la seizième année » (sic), ce qui ne lui a jamais valu de procès, que je sache, et ne l’a pas empêché d’être publié chez Gallimard, et souvent invité sur les plateaux de télé où il expliquait sans pudeur que les très jeunes filles qu’il séduisait ( ?) aimaient cela. Idem pour Roger Peyrefitte qui, dans son roman autobiographique « Notre Amour », raconte avec moult détails sa relation avec un jeune garçon de 12 ans qu’il initie à « l’amour grec ». Quant à Sade, ses écrits prétendument géniaux exaltent le viol, la violence, la contrainte, le mépris de la femme (tout en étant très mal écrits, à mon humble avis). Les exemples d’artistes sulfureux et immoraux mais reconnus et admirés (à tort ou à raison) pour leur talent réel ou prétendu sont légion, de Gide à Montherlant en passant par Frédéric Mitterrand et bien d’autres. Et ne citons que pour mémoire le prix Nobel André Gide, « immoraliste » et « pédéraste » selon ses propres termes.
Rappelons aussi qu’en 1973, l’écrivain Tony Duvert recevait le prix Médicis pour son roman « Paysage de fantaisie » qui met en scène des jeux sexuels entre adultes et enfants. Dans « L'Enfant au masculin » paru aux éditions de Minuit en 1980, il se vantait d’avoir eu des relations sexuelles avec plus de 1000 garçons, dont les plus jeunes étaient âgés de 6 ans. Son œuvre riche de quelque 25 ouvrages prônait ouvertement la pédophilie, sans avoir pour autant suscité la moindre réaction hostile.
Rappelons encore que, dans les années 70-80, de nombreux auteurs se déclaraient eux-mêmes pédophiles sans honte ni vergogne, et surtout sans crainte de se voir sanctionnés. Le journal Libération a publié, en ces années-là, plusieurs articles ou tribunes valorisant la liberté d’aimer des enfants, de toutes les manières. Le Monde et Libération ont publié en 1977 (précisément l’année du viol commis par Polanski) une pétition contre la notion de majorité sexuelle, et une autre en soutien à trois individus condamnés en assises pour avoir commis des attentats à la pudeur sur mineurs, pétition signée par de très grands noms de la littérature et autres peoples, parmi lesquels (notamment) Aragon, Gille Deleuze, Bernard Kouchner, Jack Lang, Sartre… On peut y lire que « Si une fille de 13 ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire ? » (re-sic). Treize ans : précisément l’âge qu’avait, cette année-là, la victime du viol perpétré par Polanski.
Bien sûr, loin de moi l’idée d’absoudre ou de banaliser le viol ou toute autre forme de violence sexuelle (ou non sexuelle), surtout quand ces violences touchent des enfants. Mais ce qu’a commis le réalisateur cette année-là, de très nombreux autres hommes l’ont commis également, à la même époque, et la société de ce temps, qui pourtant n’est pas si éloigné du nôtre, considérait ce genre d’actes avec plus que de l’indulgence. On connaît l’adage : autre temps autre mœurs. Et je me souviens de Gainsbourg et de son Lemon Incest, des posters de David Hamilton qui ornaient toutes les chambres d’adolescentes au temps de sa gloire ; je me souviens du merveilleux « Lolita » de Nabokov et de celui de Kubrick, de « La mort à Venise » de Thomas Mann et du film éponyme de Visconti…
Empêcher Polanski de travailler, tenter d’interdire son film, le boycotter, le lyncher médiatiquement, rien de tout cela ne fera le moindre bien à Samantha Geimer ni à aucune autre victime d’abus. Que la Justice juge, et elle seule, qu’elle condamne ou acquitte ; ce n’est pas à nous, ni à vous, ni à la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP), ni à la presse, ni à la rue, ni aux réseaux dits sociaux qu’il revient de trancher, et moins encore de punir.
Quant à moi qui admire les artistes que sont Zola et Polanski, en ces temps d’antisémitisme renaissant, je compte bien aller voir « J’accuse ». Et j’espère qu’aucun attentat ne déclenchera d’incendie dans la salle de cinéma comme ce fut le cas en 1988 lors de la projection du film de Scorsese, « La dernière Tentation du Christ », dans lequel cependant il n’était pas question de pédophilie. Pas plus d’ailleurs que dans « J’accuse ».
Sémira il y a longtemps
- Par Liliane Schraûwen
- Le 06/11/2019
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- Dans Emotion
Billet publié par Liliane Schraûwen dans La Libre Belgique (septembre1998)
Antigone encore une fois
Lundi 21 septembre 1998, ou peut-être déjà mardi 22, je ne sais pas trop.
Une soirée comme beaucoup d’autres. Télé d’abord, avec le troisième épisode du Comte de Monte-Cristo, puis travail, lecture, écriture… Je bâille, fatiguée et vaguement honteuse. Depuis quelque temps, je n’ai plus vraiment d’horaire. Il m’arrive de lire ou d’écrire jusque très tard dans la nuit. Il m’arrive aussi de zapper d’une chaîne à l’autre, même quand il n’y a rien de fameux. On ne sait jamais. Le Cercle de Minuit, parfois, réserve des surprises. Ou bien je tombe sur un vieux film qui m’enchante. La RTBF 2 depuis quelque temps diffuse un programme en boucle. La Nuit : c’est ce qui est écrit dans les magazines. On ne sait pas trop ce qui se cache derrière ce nom fourre-tout. Parfois, c’est intéressant.
Je ferais mieux de me coucher. Mais l’enseignement me boude, en cette rentrée scolaire. Pas d’horaire fixe, pas d’obligations… Je me laisse aller. Je me couche quand je veux, je me lève de même. Tant pis ou tant mieux.
Me voici donc sur La Nuit ertébéennne, celle qui sépare le 21 septembre du 22. On diffuse une ancienne émission que je n’ai pas vue. Il y est question des « centres d’hébergement » qui accueillent tous ces naïfs qui ont cru trouver chez nous une terre d’asile. Bien sûr, je suis au courant, comme tout le monde. Bien sûr, je suis révoltée à l’idée que des enfants se trouvent privés d’école, de jeux, d’avenir et de soins. Enfermés derrière des barreaux. Et aussi des adultes. Des femmes, des hommes, des jeunes, des vieux. Tous prisonniers, tous coupables. D’avoir eu peur, d’avoir eu envie de protéger leur vie ou celle de leurs proches. D’avoir souhaité une autre existence peut-être, d’avoir cru que c’était mieux ailleurs.
Je laisse le téléviseur allumé pendant que je range sommairement le salon, que je prépare la table du petit déjeuner. Brusquement, une voix retient mon attention. Une voix de petite fille sage qui, en anglais, explique des choses incroyables. Elle parle d’un mariage auquel elle a voulu échapper. Ses parents ont voulu la livrer à un homme de 65 ans. Il a déjà d’autres femmes, explique-t-elle. Elle ajoute qu’il en a tué une. Elle a eu peur, elle a fui. Depuis des mois, elle est enfermée dans le trop fameux Centre 127 bis. Plusieurs fois déjà, on a tenté de la rapatrier. Elle sait ce qu’il faut faire pour éviter cela. Crier, se débattre, ameuter les passagers, dans l’avion. Jusqu’à ce qu’on renonce, et qu’on la ramène derrière ses barbelés. Elle dit non, de toutes ses forces. Non au mariage imposé, non aux forces de l’ordre – et de quel ordre s’agit-il donc ? –, non à l’injustice, à la violence, au silence. Non à l’inacceptable et aux lois des hommes. Non, tout simplement. Comme Antigone.
Puis il y a son visage, sur des images d’archives. Un visage rond et presque enfantin, un visage noir. Fugitivement, je me souviens de ce beau livre de Gérard Adam qui raconte l’histoire de Marco et de la petite réfugiée Ngalula. Je revois la frimousse sur la couverture, avec toutes ses petites tresses dans tous les sens..
Cette Ngalula-ci s’appelle Sémira. Une petite fille elle aussi, vingt ans à peine, faite pour rire, pour chanter, pour danser au soleil, pour aimer. Avec toute la vie devant elle. Une petite fille volontaire et têtue, courageuse et forte, qui sait que bientôt, ils essaieront encore. Et elle se révoltera de nouveau.
Mardi 22 septembre 1998
Le journal télévisé s’ouvre sur ta voix, sur ton visage. Tu avais raison, Sémira. Ils ont recommencé. Tu t’es débattue, tu as crié. De ta voix enfantine, tu as voulu couvrir celle de la raison d’État, celle de la force, celle de la brutalité. Ils se sont mis à plusieurs pour te faire taire. Ils y sont arrivés, finalement. Ce n’était pas difficile.
Pourtant tu ne partiras pas. Tu n’épouseras pas le vieux fiancé auquel on t’avait vendue. Ni aucun autre. Antigone est morte encore une fois.
Personne ici ne te pleurera vraiment, car personne sans doute ne te connaissait ni ne t’aimait, toi que tes parents mêmes n’ont pas voulu préserver. Tu vas devenir un symbole. Sûrement, tu aurais préféré vivre encore un peu, connaître l’amour, porter des enfants, vieillir. Mais comme c’est émouvant, une petite morte de vingt ans ! Toi que nul n’a voulu entendre, tu vas en faire du bruit, maintenant…