Actualité

Jl l 2

Les surprises de la Foire du Livre

(Texte publié dans les  « nouvelles du jour » de la revue Marginales en collaboration avec Le Soir)

 

En notre joli et tout petit royaume vit un écrivain de sexe féminin — c'est-à-dire une écrivaine, si l’on accepte de se fondre dans l’air du temps, de se couler dans le wokisme, le féminisme exacerbé et le prétendu « éveil » contemporains. Elle ne se nomme pas Amélie mais Hélène, Hélène Untel pour être précis, et sa notoriété est restreinte. Elle a pourtant publié une vingtaine d'œuvres, tous genres confondus. Pour un éditeur français, elle avait également accouché d’un gros ouvrage de commande consacré aux affaires criminelles qui, depuis le moyen-âge, ont dans nos provinces défrayé la chronique.

Du coup, comme on dit aujourd’hui, la directrice de collection d’une maison d’édition belge l’a un jour contactée.

Hélène connaissait cet éditeur, relativement récent et spécialisé dans les livres « grand public » : mémoires de ministres, de présentateurs de journaux télévisés et autres personnalités médiatiques, histoires de flics ou de légistes, enquêtes, souvenirs de coureurs cyclistes, portraits de couples royaux, biographies de stars du foot…

— J’ai une proposition à te faire, lui dit l’éditrice. Tu connais sans doute « L’Instant T », l’émission quotidienne qui passe sur les antennes de notre radio nationale ?

— En effet. Il m’arrive de l’entendre lorsque je suis au volant.

— Tu sais donc que c’est le fameux Ludovicus-Johannes Lebuisson qui en fait la notoriété.

— Bien sûr, répondit Hélène. Difficile de ne pas le connaître ! Cela fait plus de vingt ans qu’on ne peut guère échapper à son visage, à sa voix et à son phrasé grandiloquent.

L’autre lui expliqua que la prod (entendez : la société de production responsable de la diffusion des innombrables « Instants T » et de tout ce qui les accompagne) envisageait une série de ces Instants centrée sur les meurtres et autres abominations spécifiques à notre sympathique pays.

— Il nous en faudrait une dizaine, qui donneraient lieu à un livre dont monsieur Lebuisson assurera la promotion avant de lire les textes sur antenne. Pourrais-tu être « la plume » de ce projet ? Nous savons que tes « Grandes affaires criminelles de Belgique » publiées naguère en France ont bien marché…

— Je vais y réfléchir…

— Bien sûr, tu auras un contrat en bonne et due forme, tu percevras des droits d’auteur. Et dans la mesure où il s’agit d’une commande, tu toucheras une avance importante à la remise du manuscrit.

— Je te donnerai ma réponse d’ici quelques jours.

Pour la forme, Hélène fit mine d’hésiter. Mais elle savait déjà qu’elle accepterait la proposition, pour bien des raisons, la première étant qu’un joli chèque serait le bienvenu. « Pour une fois que la littérature nourrit son homme — ou sa femme ! » se dit-elle. Et puis, elle éprouvait un certain plaisir à effectuer des recherches dans les bibliothèques, à consulter de vieilles archives, à dépouiller la presse du temps jadis. Nostalgie sans doute de ses années universitaires… En outre, plusieurs sujets qu’elle avait envisagé de traiter dans ses fameuses « Grandes affaires criminelles de Belgique » dormaient dans le ventre de son ordinateur, certains à l’état d’ébauche, d’autres à demi rédigés.

Elle se mit donc au travail. Un travail qui, cela n’étonnera personne, fut long, exigeant, parfois ardu. Enfin, le livre fut édité sous une couverture tape-à-l’œil comme il sied à ce genre de publication. Le titre jaune vif occupait le tiers de l’espace, surmontant l’image d’un poignard sanglant. Sur le troisième tiers, on pouvait admirer une photo de l’illustre Ludovicus-Johannes Lebuisson, accompagnée d’une épaisse accroche jaune flashy : « Histoires vraies racontées par LUDOVICUS-JOHANNES LEBUISSON ». Le nom d’Hélène était mentionné, lui aussi, en caractères beaucoup plus discrets : « Textes de Hélène Untel ».

Il y eut des articles dans la presse, des interviews du « conteur qui captive tous les après-midis les auditeurs de l’émission L’Instant T… », sans que le nom de l’auteur des textes fût cité. Hélène râla un peu, mais elle se dit que bon, c’est ainsi que cela se passe, et de toute façon, si cet ouvrage alimentaire était bien ficelé et assez réussi, ce n’était cependant pas « de la grande littérature »…

Quelque temps plus tard, elle apprit incidemment que « la prod » avait décidé de ne pas diffuser ses créations sur antenne. Sans doute son style n’était-il pas assez oratoire, à moins qu’il fût trop littéraire. Tant pis pour le faux comte russe qui avait trucidé une antiquaire, tant pis pour « le beau Gustave », pour l’affaire Caumartin-Sirey et pour quelques autres. Tout cela n’était pas très grave.

— L’incident est clos, se dit-elle. J’ai fait le job, le livre existe, je percevrai les droits annoncés. C’est très bien ainsi.

Quelques mois passèrent, jusqu’à ce jeudi 4 avril 2024, date d’ouverture de la Foire du Livre de Bruxelles. Hélène était attendue chez deux de ses autres éditeurs, où elle devait signer romans et nouvelles. Les amateurs le savent : cette « plus grande librairie du pays » se tient sur le site de Tour et Taxis. Les stands MEO et Quadrature se trouvaient tous les deux dans le hall numéro 2 ; or, avant d’atteindre le 2, il faut très logiquement passer par le 1. L’auteur-point-médian-rice, ainsi que l’indiquait son badge, laissa à sa droite le Salon des Auteurs de la SCAM (sans féminin ni point médian cette fois), et parcourut d’un pas pressé les espaces Actes Sud, l’École des Loisirs, Québec éditions, Racine et quelques autres. À sa gauche, en face du podium de la RTBF et juste avant l’entrée du « shed 2 » (en français dans le texte), il y avait le très vaste emplacement 139-140 qui regroupait plusieurs éditeurs. Derrière une rangée de tables couvertes de piles de bouquins, des chaises attendaient les auteurs de premier rang qui viendraient dédicacer leurs œuvres, et des affichettes annonçaient leur nom et l’heure du rendez-vous.

Hélène s’arrêta net. Sur l’une des tables, c’étaient une centaine d’exemplaires de son sanglant ouvrage de commande qui s’empilaient.

Interloquée, car on ne lui avait pas annoncé cette séance de signature, mais flattée quand même, elle s’approcha… et découvrit le texte de l’affichette de présentation : LUDOVICUS-JOHANNES LEBUISSON dédicacera son livre à 17 h.

La surprise passée, Hélène sentit monter la colère. Non mais… Depuis quand invite-t-on un quidam, même s’il est (relativement) célèbre, à dédicacer un volume dont il n’a pas écrit une ligne et que, à en juger par certains de ses propos en interview, il n’a sans doute pas lu ? Bien sûr, ce sont son nom, son visage et surtout la référence à l’Instant T qui attireront les amateurs… Mais la moindre des choses n’aurait-elle pas été de convier l’auteur, le vrai, à s’asseoir à ses côtés et à co-signer « son livre » ?

Elle était attendue chez MEO à midi. Accueil sympa, comme toujours, retrouvailles et rencontres d’autres auteurs (authentiques, ceux-là), discussions, échanges, découvertes… Elle raconta l’anecdote lebuissonesque à qui voulait l’entendre, et fut à la fois rassurée et réconfortée par les réactions indignées ou incrédules de ses confrères.

— Tu devrais aller lui parler, lui suggéra un ami, lui dire ce que tu penses de tout cela.

— Je t’accompagnerai, lui dit un autre.

— Moi, je filmerai la rencontre, ajouta l’assistante de monsieur MEO.

Hélène Untel se rendit donc, à 17 h précises, à proximité de la table sur laquelle trônaient ses crimes. Pas de Ludovicus-Johannes Lebuisson à l’horizon car, comme chacun sait, le propre des stars est de se faire désirer. Un chaland, planté devant la chaise vide du médiatique monsieur Instant T, patientait.

Hélène s’approcha.

— Bonjour, monsieur. Puis-je vous demander ce que vous attendez ?

L’homme la regarda en lui montrant le livre qu’il serrait sur son cœur.

— J’attends Ludovicus Lebuisson, bien sûr. Je suis un fan, j’ai acheté son livre, et je vais le prier de me le dédicacer.

— Je comprends, fit Hélène. Cet ouvrage, vous savez qui l’a écrit ?

— Évidemment, c’est indiqué sur la couverture : c’est Ludovicus-Johannes Lebuisson.

— Ah bon ? Vous êtes sûr ? rétorqua Hélène en lui montrant sur ladite couverture la très discrète mention de son nom : « Textes de Hélène Untel », avant de lui mettre sous le nez le badge « auteur·rice » accroché à son écharpe, sur lequel figurait – forcément – le même nom.

L’homme la regarda, incrédule.

— C’est vous qui l’avez écrit ?

— Mais oui, vous le voyez bien.

Il réfléchit un instant, hésita, puis :

— Dans ce cas, vous voulez bien me le dédicacer ?

— Avec plaisir, répondit-elle en retenant le rire qu’elle sentait monter.

À Didier, avec l’amitié du véritable auteur de ce livre, inscrivit-elle, cependant que Ludovicus-Johannes Lebuisson arrivait enfin, lançant un regard courroucé à l’inconnue qui se permettait de gribouiller dans SON livre. Le fan s’avança, lui présenta l’ouvrage ouvert à la page déjà annotée par « le véritable auteur » qui s’était éloigné de quelques pas.

Hélène attendit que l’illustre personnage en eût terminé avec les quelques amateurs de dédicaces qui lui tendaient leurs livres. Puis elle passa derrière lui, lui frappa sur l’épaule. Il se retourna, lut son nom sur le badge épinglé à son revers.

— Ah, c’est vous ! dit-il avec son grand sourire télévisuel.

— Oui, c’est moi qui ai écrit ce livre…

Il y eut un moment de silence, puis elle enchaîna, avec toute la politesse et tout le calme dont elle était capable.

— À ce propos, je voudrais vous poser une question. Comment se fait-il que je n’aie pas été invitée à vous tenir compagnie derrière cette table, et à dédicacer avec vous cet ouvrage dont, somme toute, je suis l’auteur ? Ou au moins avertie, tout simplement ?

Il hésita un instant.

— Ce n’est pas moi qui décide. C’est l’éditeur qui a tout organisé, je n’y suis pour rien…

— Je comprends. Mais si j’avais été à votre place, j’aurais quand même suggéré à cet éditeur d’inviter l’auteur à co-signer avec moi… L’avez-vous fait ?

La star s’énerva.

— Mais je vous le répète : je n’y suis pour rien. Moi, je me contente de rendre service à l’éditeur. Je ne toucherai pas un centime pour cela, ni sur les ventes. Vos textes ne seront même pas diffusés sur antenne.

Hélène avala sa salive. Le « même pas » était de trop…

— Écoutez, monsieur Lebuisson, que cet ouvrage soit bon ou mauvais, là n’est pas l’affaire. C’est moi qui l’ai écrit, voilà tout. L’auteur, c’est moi, Hélène Untel. N'avoir pas pris la peine de m'aviser de cette séance de dédicace de MON livre par quelqu'un qui n’en a pas écrit une ligne, c’est un manque de respect, de politesse, de civilité, de…

Un petit attroupement s’était formé. L’illustre Dubuisson éleva la voix.

— Asseyez-vous donc, et signez avec moi, puisque vous y tenez ! Et je vous le répète : c’est à l’éditeur que vous devez vous en prendre, pas à moi.

Hélène haussa le ton, elle aussi.

— Vous n’avez rien compris, monsieur. Je me fiche bien de signer à vos côtés, je ne cherche pas ici une vaine gloriole. Je suis d’ailleurs censée dédicacer ailleurs mon dernier roman et quelques-uns de ceux qui l’ont précédé, en ce moment. Simplement, je suis choquée du surprenant manque de considération dont fait preuve ici l’éditeur… tout comme ceux qui, de toute évidence, n’ont pas pensé à lui rappeler que cette œuvre est le fruit du travail d’un écrivain véritable, d’un auteur qui y a consacré du temps et de l’énergie.

Elle ne put aller plus loin, interpellée – pour ne pas dire agressée – par une dame tirée à quatre épingles à l’allure imposante et au maquillage… très apparent. Son badge indiquait son nom et la fonction : attachée de presse.

— Que se passe-t-il ? Que voulez-vous ?

Hélène respira un grand coup pour se calmer, puis expliqua.

— Je suis venue aujourd’hui pour signer certaines de mes œuvres sur les stands MEO et Quadrature, et j’ai découvert, en passant devant l’espace 139-140, que monsieur Lebuisson allait dédicacer à 17 h cet ouvrage, dont JE suis l’auteur. Je m’étonne donc que…

— Ce n’est pas vrai, rétorqua le désagréable personnage.

— Comment cela, ce n’est pas vrai ?

— Vous n’avez rien découvert. Vous le saviez très bien. D’ailleurs, vous vous êtes déjà plainte.

— Mais… mais… Je n’étais au courant de rien, je ne suis pas venue à la soirée d’inauguration, je suis arrivée tout à l’heure, vers midi, je suis passée devant les tables, j’ai vu mes livres et l’affichette, je…

— De toute façon, c’est ainsi, voilà tout. Et si vous voulez discuter avec un quelconque membre de l’équipe éditoriale, sachez qu’il n’y aura personne, ni aujourd’hui, ni demain… D'ailleurs, c’est monsieur Lebuisson qui assure le succès de ce livre.

Hélène se fâcha pour de bon.

— Je vais vous répéter ce que j’ai dit déjà à votre monsieur Lebuisson. Quel que soit le personnage responsable de ce prétendu « oubli », c’est un manque de la plus élémentaire considération envers le travail et la personne de l’écrivain. J’ai peine à concevoir une telle absence d’éducation, de civilité, de correction, de…

— Eh bien, fit la mégère, installez-vous et dédicacez, puisque c’est cela que vous voulez !!!

Hélène renonça à lui redire ce qu’elle avait déjà tenté d’expliquer à l’illustre Ludovicus-Johannes. Madame l’attachée de presse, d’ailleurs, avait tourné les talons sans plus attendre, avec la grossièreté qui semblait lui être coutumière, et s’en était allée vers d’autres horizons.

Hélène s’éloigna, elle aussi, en se disant que cette histoire aurait du moins l’avantage de lui donner matière à une nouvelle. Le proverbe a raison, songea-t-elle, qui affirme qu’à quelque chose malheur est bon.

Tout n’était donc pas perdu.


 


 

Kherad

Adieu à "La librairie francophone"

Je fais partie quelque 560 auteurs et autres « membres de la chaîne du livre » signataires de la pétition adressée à France Inter pour protester contre la suppression de l’émission « La librairie francophone ». Comme sans doute les 559 autres signataires, j’ai donc reçu un aimable mail émanant de « mediatrice@radiofrance.com » dont voici le contenu :

Une image contenant texte, capture d’écran, Police, information

Description générée automatiquement

Une manière élégante de nous dire… que nous n’avons rien à dire, que c’est comme ça, voilà tout, que la décision de supprimer La librairie francophone est irréversible et qu’Emmanuel Khérad a été (mais n’est plus) « un excellent ambassadeur » qu’il convient de remercier, dans tous les sens du mot.

Aucune explication, bien entendu, aucune justification. Aucune réponse anticipée à la question que, forcément, l’on se pose : si, comme l’écrit madame médiatrice sans doute inspirée par monsieur Chat GPT, « une nouvelle émission sur la littérature francophone sera à l’antenne dès la rentrée », alors même que celle que l’on enterre aujourd’hui était « de qualité »…  comme toutes celles qu’Emmanuel Khérad « a proposées aux éditeurs durant toutes ces années », pourquoi donc la supprimer ?

Voulez-vous que je vous dise ? Ceci démontre que France Inter et, dans la foulée, que toutes les instances auprès desquelles on pétitionne à tour de bras, n’en ont rien à cirer, rien à foutre, rien à br***. À l’ère des réseaux prétendument sociaux sur lesquels chacun peut dire et écrire n’importe quoi, vitupérer sur tout et sur rien, répandre menaces, fake news et propagande en tout genre, à l’ère où X, Instagram, Tik Tok et le vétuste Facebook des vieux internautes ont remplacé livres et journaux, en ces temps où CULTURE ne rime plus avec écriture ou littérature mais plutôt avec déconfiture, enflure, caricature ou injure quand ce n’est pas avec CENSURE ou DICTATURE, à l’heure des émeutes ici ou là, des occupations d’universités, des manifestations pour toutes sortes de causes parfois discutables…, en ces temps où influenceurs et influenceuses dirigent les goûts et les passions de nos ados…, qui s’intéresserait, je vous le demande, aux « pétitions » de plumitifs tout juste bons à produire des livres que personne ne lit ?

Et, globalement, en quoi une pétition qui ne serait ni accompagnée de jets de pierres ou de cocktails molotov, ni soutenues par des troupeaux d’émeutiers en colère, aurait-elle la moindre chance d’être entendue ?

« Sic tansit gloria muni », ou à tout le moins : « sic transit gloria francophoniae librariae »…

Au revoir monsieur Kherad. Ce fut un plaisir de vous entendre, un plaisir riche de souvenirs, et ce fut un honneur de vous rencontrer et d’échanger quelques mots avec vous à la récente foire du livre de Bruxelles.

Lettre ouverte à madame Bénédicte LINARD

Linard

Madame la Ministre et chère ex-collègue…

Je savais déjà que vous cumuliez une foultitude de casquettes et de très hautes responsabilités aussi multiples que diverses, puisque vous êtes depuis le 17 septembre 2019, si j’en crois l’incontournable Wikipédia et quelques autres sources sans doute plus sérieuses : ministre de la Culture, de l'Enfance, des Droits des femmes, de la Santé et des Médias au sein du gouvernement de la Communauté française.

Bigre ! Tout cela pour une seule personne… Vous voilà donc appelée à gérer des secteurs pour le moins disparates. Car l’on ne peut que s’interroger sur les rapports entre « culture », « enfance », « droits des femmes », « santé » et « médias »… Certes, la culture et les médias ont entre elles quelque lien. Pour le reste, c’est plus nébuleux.

Je découvre également que nous avons toutes deux fait nos candidatures à Saint-Louis puis obtenu notre licence en langues et littérature romanes et notre agrégation à Louvain. Et que nous avons toutes deux enseigné le français, mais à quelque vingt années de distance, au sein du même établissement, c'est-à-dire à l’Institut des Sœurs de Notre-Dame d’Anderlecht… où d’ailleurs vous avez peut-être été mon élève…

Mais ce n’est pas pour évoquer Saint-Louis et son mémorable CAU, Louvain ou l’ISND que je prends aujourd’hui la liberté de m’adresser à vous. D’autant que nos voies ont ensuite divergé. Je ne me suis pas lancée en politique, je n’ai quitté l’enseignement (qui fut pour moi plus qu’une passion) que contrainte et forcée par cette horrible limite « au-delà de laquelle votre ticket n’est plus valable ». J’ajoute que ce métier exigeant et magnifique, je l’ai pratiqué tout en écrivant et publiant une vingtaine de ces « livres » que vous refusez aujourd’hui d’aider à survivre, ainsi que leurs auteurs, éditeurs et autres intervenants.

Ce n’est donc pas à une consœur ex-enseignante que je souhaite m’adresser ici, ni à une possible ancienne élève, mais à l’auguste ministre de la Culture. Celle-là même dont j’apprends avec incrédulité et colère — et le mot est faible — qu’elle se serait « positionnée clairement contre l’absence totale de refinancement du secteur Lettres et Livres, dont le budget ne dépasse pas 4 millions d’euros » (source : Partenariat Interprofessionnel du Livre et de l’Édition numérique), et cela alors que, selon la même source : « les montants alloués aux programmes de lettres et livres ne représentent déjà aujourd’hui que 0,4 % de l’ensemble des budgets culturels alloués. Malgré la forte inflation des années précédentes, le secteur n’a reçu aucune augmentation, pendant que (et même si nous nous en réjouissons pour eux) les Arts de la scène engrangent 35 millions d’euros supplémentaires (ils passent de 110 à 145 millions d’euros) ».

Pourtant, sauf erreur de ma part, il yLivres a 5 mois à peine, l’on pouvait lire sur votre site officiel que : « à l’initiative de la ministre de la Culture Bénédicte Linard, le gouvernement de la Fédération Wallonie-Bruxelles a adopté ce jeudi un avant-projet de décret visant à mettre en place un cadre légal pour renforcer et pérenniser les subventions existantes dans le secteur des langues, des lettres et du livre en Belgique francophone ». Il était question aussi, dans cet article d’autopromotion, « d’assurer la pérennité des politiques menées dans le secteur des langues, du livre et des lettres, qui ne bénéficiait jusqu’alors d’aucun cadre légal », de « favoriser la professionnalisation et stimuler l’émergence de nouveaux talents ». Je me délecte, poursuivant mon exploration, de lire sous votre plume que « Soutenir le secteur du livre et l’accès à la lecture pour le plus grand nombre est essentiel. (…) Dorénavant, grâce à ce nouveau décret, les procédures de subventionnement dans ce secteur du livre et de la langue française seront objectivées et donc plus transparentes, au bénéfice de tous les acteurs concernés. Nous allons ainsi soutenir les autrices et les auteurs, et permettre à toujours plus de citoyens d’accéder au livre, à la lecture, à la littérature ».

Réjouissant programme, qui étrangement débouche sur l’actuelle mort assistée de ce même secteur du livre, par le biais d’une absence de refinancement et même d’indexation dudit secteur qui, d’ailleurs, était entré en agonie voici belle lurette.

L’on sait que les mots « politique » et « respect des promesses » ou « honnêteté morale » ne font pas nécessairement bon ménage. L’on peut comprendre aussi que, sous vos cinq lourdes casquettes, votre crâne se trouve quelquefois en surchauffe. Mais quand même, madame la ministre-romaniste-transfuge de l’Enseignement… Dois-je vous rappeler ce qu’est un LIVRE, quelles en sont l’importance et la fragilité ? Dois-je évoquer pour vous le temps que demande la rédaction d’un roman, sans même parler d’essais ou d’ouvrages scientifiques ? Me faut-il peindre l’image romantique du pauvre plumitif tremblant de froid dans sa triste chambre de bonne et noyant dans l’absinthe sa misère et sa faim  ? Est-il utile de redire à la romaniste que vous fûtes ce que représente de travail, de recherches, d’investissement, de souffrance parfois, la moindre plaquette, le plus minime opuscule ? Dois-je vous rappeler que la mort du livre s’accompagne souvent d’une mort de la démocratie et de la liberté, en vous renvoyant à vos cours d’histoire et aux autodafés qui, toujours et partout, ont été les signes avant-coureurs de la dictature et de la tyrannie ?

Livre tete de mort

Oui, je sais : nos charmants bambins aujourd’hui ne lisent plus guère, ou alors (dans le meilleur des cas) des mangas et surtout, sans réserve, des post Tiktok ou Insta, des « réels », des « visuels », sans texte, sans autres idées que celles d’une propagande religieuse, politique ou conspirationniste, selon les cas.

Pour le reste… Nous sommes entrés dans l’ère de l’autoédition. De nos jours, « un simple clic » suffit à publier — au sens étymologique du terme — tout et n’importe quoi. Mais le VRAI livre, choisi, accepté, relu, défendu, par un VRAI éditeur, il reste irremplaçable s’il faut bien constater qu’il se meurt lentement. Mais, je vous le demande, ne serait-il pas opportun de l’assister de l’une ou l’autre perfusion bienvenue, de pratiquer sur lui un énergique massage cardiaque, de lui greffer quelque organe tout neuf afin, peut-être, d’en prolonger l’existence ou même, on peut toujours rêver, de lui rendre jeunesse, force et santé ? Alors, peut-être, il quittera sa couche, se lèvera à nouveau, combattra ayatollahs et faux prophètes, et les gamins pourront fantasmer sur autre chose que les exploits sportifs de leurs idoles, et les jeunes filles s’intéresseront à autre chose qu’aux influenceuses tiktokeuses qui depuis Dubaï ou ailleurs leur expliquent comment ressembler à une poupée gonflable à l’abyssale crétinerie, siliconée et hyaluronisée.

Mais tout cela sans doute n’est guère porteur, ni dans l’air du temps. Et l’on sait qu’en politique, il convient de plaire au plus grand nombre. L’on sait encore que les gens incapables de lire sont aussi incapables de réfléchir, et constituent un vivier d’électeurs manipulables à merci…

J’en suis certaine, telle n’est pas la cause de votre surprenant retournement de veste. Sans avoir la prétention d’avoir pu vous convaincre de quoi que ce soit, j’ose néanmoins espérer, Madame la Ministre et chère ex-collègue, vous avoir offert dans ces quelques lignes certains éléments de réflexion…

AUTEURE, AUTRICE OU AUTEURICE ?

J’ai découvert, au hasard d’une émission littéraire, l’existence d’une maison d’édition que je ne connaissais pas. J’ai eu la curiosité de me renseigner, et j’ai donc consulté le site de ladite maison.

Incl1

 

Cela m’a permis de visionner la liste-trombinoscope des AUTEURICES (sic) qu’elle publie. Si si, je vous assure, vous avez bien lu. Ce qui ne l’empêche pas de se présenter, sur le même site, comme une maison « qui publie chaque année des romans, novellas et recueils de nouvelles D’AUTEURS FRANÇAIS ET ÉTRANGERS ». Cherchez l’erreur…

Même dans le monde de la science-fiction, qui constitue le genre-phare de cette maison, ce mot est un non-sens (et une monstruosité). J’ai souvent rencontré des AUTEURES et des AUTRICES (deux catégories auxquelles je me refuse d’appartenir, bien décidée à demeurer à jamais UN AUTEUR, même si en l’occurrence cet auteur est sans conteste une femme, de même que je suis un PROFESSEUR et même un ÉCRIVAIN, tous de sexe féminin, et — tant qu’à faire — UN être humain.

Incl2

Mais du moins les néologismes d’AUTEURE et d’AUTRICE s’inscrivent-ils dans une certaine logique linguistique, tout comme les mots INSPECTRICE, ACTRICE, CONDUCTRICE, MINEURE, PRIEURE ou SUPÉRIEURE, depuis longtemps entrés dans l’usage et les dictionnaires.

Car, rappelons-le, c’est l’usage qui fait évoluer une langue (et ce n’est pas le bon monsieur Grevisse qui m’aurait contredite), et non les ukases à connotation “politiquement correcte” ou “dans l’air du temps” de démagogues de tout poil ou de militantes féministes. Bien sûr, si ces féminisations et autres inclusivités avaient le moindre impact sur le nombre de “violences faites aux femmes”, sur le mépris dont trop souvent elles restent l’objet, si ces fadaises linguistiques permettaient de diminuer le nombre de meurtres, de viols, de mutilations, d’agressions, de “coups et blessures” dont elles sont victimes, eh bien, mon Dieu, peut-être me convertirais-je à cette religion nouvelle et j’inclusiverais à tout va, moi aussi. Mais de toute évidence, il n’existe aucun rapport entre ces tristes réalités et la prétendue bonne conscience syntaxique qui se répand aujourd’hui. Au contraire, suis-je tentée de dire.

Quoi qu’il en soit, constater qu’un éditeur, un vrai, qui ne semble pas pratiquer le compte d’auteur revendiqué ou déguisé, utilise ce néologisme aussi ridicule que barbare, cela a de quoi faire frémir…

Quant à moi, je ne risque pas, en tout cas, de lui proposer l’un ou l’autre manuscrit. Et je reviens à mon mantra préféré : “la connerie humaine est sans limites”…

ET TANT QU’À FAIRE... VICTOR HUGO EN INCLUSIF, C’EST INTÉRESSANT (LES CHÂTIMENTS)
Celles et ceux qui vivent, ce sont celles et ceux qui luttent ; ce sont
Celles et ceux dont un dessein ferme emplit l’âme et le front,
Celles et ceux qui d’un haut destin gravissent l’âpre cime,
Celles et ceux qui marchent pensif.ve.s, épris.e.e d’un but sublime,
(...) C’est le-la prophète.sse saint.e prosterné.e devant l’arche,

C’est le-la travailleur.euse, pâtre.sse, ouvrier.ère, patriarche ;

(...) Inutiles, épars.e.s, iels traînent ici-bas

(...) Iels sont les passant.e.s froid.e.s, sans but, sans nœud, sans âge ;

(...) Oh non, je ne suis point de celles et ceux-là ! grand.e.s, prospères,

Fier.ère.s, puissant.e.s, ou caché.e.s dans d’immondes repaires, 

ET SI ON RÉÉCRIVAIT LES PENSÉES DE PASCAL ?
« L’homme-la femme
n’est qu’un.e roseau.elle, le.la plus faible de la nature; mais c’est un.e roseau.elle pensant.e. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser : une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le.la tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme-la femme serait encore plus noble que ce qui le.la tue, parce qu’iel sait qu’iel meurt, et l’avantage que l’univers a sur lui.elle, l’univers n’en sait rien. »

 

LA RAISON DU PLUS FORT ou LA FONTAINE EN UKRAINE

Le loup et l agneauQuand l’agneau des plaines ukrainiennes se trouve confronté au féroce loup des steppes de Sibérie

La raison du plus fort est toujours la meilleure. Chacun sait cela depuis… depuis… depuis… Depuis longtemps. Depuis toujours.

Ce n’est pas le loup du bon monsieur de La Fontaine qui me démentira, et moins encore l’agneau qui fit les frais de sa démonstration. Ce ne seront pas non plus monsieur Poutine aujourd’hui, pas plus que le sympathique et dodu dirigeant de Corée du Nord, ni aucun des tyrans, dictateurs, despotes et autres autocrates passés, présents ou à venir qui contrediront cette évidence.    

Cela a toujours été ainsi. Les gros poissons mangent les petits, les lions dévorent les gazelles, les aigles font un sort aux renards qui mangent les écureuils amateurs de glands et de châtaignes… Et tout au bout de ce qu’on nomme la chaîne alimentaire, les hommes omnivores se nou​​​​​​​rrissent de tout le reste.

Quoi de plus normal ? C’est ce que l’on appelle la loi de la n​​​​​​​ature. Dieu lui-mêm​​​​​​​e l’a voulu ainsi, à ce qu’il paraît. « Fa​​​​​​​isons l'homme à notre image, selon notre ressemblance, et qu'il domine sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ci​​​​​​​el, sur le bétail, sur toute la terre, et sur tous les reptiles qui rampent sur la terre » dit-il (Genèse 1, 2​​​​​​​
6). Après quoi « il créa l’homme et la femme et leur dit : Soyez féconds, multipliez, remp​​​​​​​lissez la terre, et l'assujettissez ​​​​​​​; et dominez sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, et sur tout animal qui se meut sur la terre.…
 ».    

L’on connaît par ailleurs la fameuse théorie du « mâle alpha » née de l’analyse du comportement des loups. Chez ces animaux comme chez bien d’autres, la meute, ou le groupe, sont dirigés par un individu plus ​​​​​​​puissant que ses congénères, qui a démontré sa supériorité au terme d’un long processus de compétition. C’est lui ​​​​​​​qui choisit les lieux de chasse, qui s’accouple avec les femelles élues, qui impose à tous sa loi. C’est aussi lui qui protège les plus faibles, femelles gravides, jeunes fragiles ou blessés. C’est lui, enfin, qui a droit de vie et de mort sur ses compagnons, avant ​​​​​​​q​​​​​​​u’un autre plus jeune, plus fort, plus vigoureux ou plus beau arrive à prendre sa place pour devenir vizir à la place du vizir.     ​​​​​​​

Et c’est ainsi que Cro-Magnon remp​​​​​​​laça Néanderthal, qu’Attila le Hun domina les Ostrogoths et quelques autres pour régner sur un​​​​​​​ empire devenu légendaire, qu’Alexandre devint Grand, que Gengis Khan, que Tamerlan…     

La raison du plus fort est toujours la meilleure

pensa Vladimir en son cœur,

tandis que Zelensky rêvait

d’une société future

sans agression ni invasion ni forfaiture.

Mais un voisin en ces lieux arrivait,

séduit par la beauté de ce ciel sans nuages

et la fraîcheur de ses herbages.

Tu seras châtié de ta témérité,

cria Volodymir le courageux fieffé

devant les peuples en colère.

Il faudrait que tu considères

que je vais convoquer l’OTAN

toujours présent

lorsque ses vieux amis l’appellent

et que par conséquent, en aucune façon,

tu ne peux mener ton action.

Je le ferai, reprit cette bête cruelle,

et je vaincrai les Ukrainiens ces enragés

sans me soucier du droit ni de la liberté.

Alors partout se répandit la guerre

le sang et la haine entre frères.

Mais Chez Poutine s’agitèrent les chiens

qui ne voulaient plus la guerre

dont ils espéraient la fin.

Il est temps qu’à ce jour enfin les choses changent

disaient certains en grand secret

afin que de lui l’on se venge

sans autre forme de procès…

                           (versification et rimes d’origine)

 

 

 

26 JANVIER 2022, PRESQUE EN DIRECT… ou QUAND LES LINGUISTES S'EMMÊLENT LES PINCEAUX

 

F14c52dd phpj5uc96 pngConsternant. Sidérant. Affligeant. Navrant. Terrifiant. Désespérant. Atterrant.

Les mots me manquent. Pourtant, c'est mon métier de les utiliser, après les avoir très longtemps enseignés avec passion. Je crois les maîtriser, j'aime en jouer, les marier, les polir et les ciseler, les apparier, les faire sonner en improbables anagrammes et autres ambigrammes. Ils sont le moteur de mon double métier d'enseignante et d'écrivain…

Je me suis installée ce soir sur mon divan devant la (généralement) excellente "Grande Librairie" de Busnel, sur France 5, bien décidée à passer une bonne soirée, littéraire et culturelle. J'avais lu qu'Erik Orsena figurait parmi les invités, ainsi que l'auteur Tonino Benacquista, que j'aime beaucoup. Je vais me régaler, ai-je pensé.

En effet, étaient invités : l'académicien Erik ORSENNA et le linguiste Bernard CERQUIGLINI, pour leur livre "Les Mots immigrés", en compagnie d'une certaine Aurore VINCENTI, auteur (autrice à en croire ses illustres compagnons de plateau et a fortiori elle-même) de deux ouvrages intitulés "Les mots du bitume" et "Comme on dit chez nous". Le premier reprend, si je m'en réfère à la présentation de l'émission, "les meilleures chroniques d'Aurore Vincenti diffusées dans l'émission QU'EST-CE QUE TU M'JACTES ? sur France Inter".

À l'écoute des incroyables âneries qu'elle proférait avec une belle autorité, j'ai eu la curiosité de vérifier les compétences de cette chroniqueuse devenue "écrivaine", histoire de savoir à qui j'avais affaire. J'ai donc découvert, sur Linkedin notamment, qu'elle se présente comme "spécialiste en LINGUISTIQUE, THÉRAPIE CORPORELLE, SEXOLOGIE". Tout cela à la fois… Excusez du peu.

Un vrai Pic de la Mirandole en jupons. Je précise "en jupons", car le dénommé Pic de la Mirandole, Jean de son prénom, était de sexe masculin : nul n'est parfait. Et, pour mon plus grand malheur, mon clavier d'ordinateur n'offre pas la possibilité du point médian inclusif que la dame revendique avec énergie…

Tout cela ne m'a pas empêchée de pousser plus loin mes indiscrètes investigations. Ceux qui pratiquent Linkedin le savent : cette plateforme offre à ses abonnés la possibilité de se présenter, dans l'optique d'attirer l'attention de potentiels employeurs. Voici donc le copié-collé de ce qu'écrit la dame à son propre sujet :

"Corps, danses, langues, imaginaires, sensibilités, genres et sexualités : voilà un aperçu de l'étendue de ce qui me traverse, m'émeut et me questionne.

Si vous aviez accès à mes mains, vous verriez qu’elles sont traversées par une multitude de lignes profondes et entrelacées comme autant de chemins que j’ai choisi de parcourir pour apprendre et me former.

J'ai dessiné une ligne de linguiste, initiée sur les bancs de l’École normale supérieure jusqu’à passer et obtenir une agrégation d’anglais.

Une seconde ligne, « d’éducatrice somatique » en Body-Mind Centering®, locution abstruse qui renvoie à des approches de conscience corporelle par le mouvement, la danse et le toucher.

Une troisième, en sexologie, à l’issue d’une formation à l'Université de Genève.

Mon amour des langues m’a engagée à développer un travail de vulgarisation linguistique dans les médias. Mon dada : tout ce qui est recalé aux portes du dictionnaire et tout ce qui tord le cou à la grammaire : les argots, les jargons, les parlers populaires et même les bruits qu’on fait avec la bouche.

En parallèle, j'accompagne des personnes seules ou en groupe dans des recherches sur la langue, le travail de la voix et du corps et la sexualité et si je suis amenée à tout faire en même temps, c’est là que je suis le plus heureuse !

À cela, j'ajouterais que je chante et danse depuis que je suis en âge de me rouler par terre !"

Oui, je sais : le style est… ce qu'il est. Mais lisons plus loin : la même source nous apprend, que ce génie (ou : cette génie ?) a fréquenté :

  • L'université de Genève, de 2019 à 2022, où elle a obtenu (toujours à l'en croire), un certificat en sexologie clinique.
  • The School for Body-Mind Centering® de 2015 à 2017, où elle a suivi une formation en "Somatic Movement Educator, Thérapies corporelles somatiques".
  • L'École normale supérieure, de 2009 à 2013, où elle a obtenu une agrégation externe d'anglais, diplôme ENS, langue anglaise et littérature.
  • L'Institut de Gasquet en 2019, où elle a suivi une "formation massage bébé, lien mère-enfant, Thérapie/thérapeute physique".
  • L'Université Paris-Sorbonne : obtention d'un Master 2 (M2), Langue anglaise et littérature/lettres (dates non précisées).

Époustouflée et un peu perturbée par tant de talents prodigieusement divers, j'ai eu la curiosité d'aller voir, dans la foulée, sa page FB. Cela m'a permis de découvrir avec émerveillement la prose de cette "linguiste" prétendument bardée de diplômes, qui écrit des phrases aussi lourdes qu'incorrectes. Un exemple ? Dans un post, elle évoque "un de mes professeurs érudit de droit constitutionnel" (érudit de droit constitutionnel ???) qui, selon elle, professait que "ceux qui sont là pour sauver la veuve et l'orphelin, vous vous êtes trompés de voie, la loi est faite par ceux qui ont le pouvoir, la classe dominante, et ils veillent à préserver leur privilège…". J'ose espérer, quant à moi, que cet "érudit de droit constitutionnel" (sic) s'exprimait mieux et, surtout, plus clairement. J'ai aussi découvert à la lecture de ses messages qu'elle préconise l'union "pour que les lois liberticides ne deviennent pas la normalité", nous enjoignant de "faire appel à notre humanisme, notre solidarité, notre fraternité, que personne, aucun pouvoir ne puisse démanteler cette force de notre société". Ne me demandez pas de quelle "force de notre société" il s'agit, car j'avoue humblement que je ne l'ai pas compris — sans doute parce que je n'ai pas, quant à moi, suivi 5 formations (pseudo) universitaires. Quant aux lois liberticides, j'imagine que ce sont celles qui imposent le passe sanitaire, les mesures de confinement et autres faits de tyrannie dont le seul but est de protéger la société dans son entier en évitant autant que faire se peut la propagation d'un virus qui tue — le vilain — sans distinction, avec une nette préférence pour ceux qui refusent lesdites lois et le vaccin, tels feu les frères Bogdanoff.

Poursuivant mon enquête, j'ai parcouru les quelques pages de ses "Mots du bitume" proposées, en avant-goût, sur google books. Cela m'a permis de constater que l'on peut être linguiste, publier aux éditions Le Robert, sans pour autant respecter les règles des traits d'union, de la ponctuation, des accords au pluriel ou de l'imparfait du subjonctif, ce que m'ont notamment démontré les "bouc-émissaires" (sic) qu'elle mentionne et le jeu de mots selon lequel "il s'en fallut de peu que le boloss fut [sic] un beau gosse". Mais nobody's perfect, et ces petites erreurs n'empêchent personne de youtuber à tout va (car elle trouve encore le temps de se livrer à cette intéressante activité) ou de discuter le bout de gras chez Busnel avec un académicien de 74 printemps goncourisé qui, pour la circonstance, m'a paru étrangement… heu… comment dire… étrangement et tristement wokiste, pour employer un terme (trop) à la mode, ou "à côté de ses pompes" pour parler "bitume". En tout cas, très en dessous de ce qu'on pouvait espérer de l'auteur de quelque 46 ouvrages (ce qui le place bien au-dessus de notre Amélie nationale), parmi lesquels les fameux "La grammaire est une chanson douce" et "Les chevaliers du subjonctif".

Gde libr

Les ravages de l'âge peut-être, que Racine appelait plus joliment "des ans l'irréparable outrage", à moins que ce fût (à l'imparfait du subjonctif et avec l'accent circonflexe, forcément) le désir de jouer à faire semblant d'être dans le vent, ou plus simplement le plaisir de ce brin de provocation qui l'a toujours caractérisé… Et vas-y que je féminise à tous crins, que je parle de "celles et ceux" et des "Françaises et Français", que je réfléchisse gravement sur le point médian et autres inclusivités aussi invraisemblables qu'incompréhensibles.

La LINGUISTE-SEXOLOGUE-DANSEUSE-CHANTEUSE-THÉRAPEUTE CORPORELLE ET SOMATIQUE-YOUTUBEUSE-MASSEUSE-AGRÉGÉE en rajoutait avec délice, sans paraître s'apercevoir que ses deux éminents confrères s'égaraient dans les définitions et étymologies qu'eux-mêmes cependant avaient renseignées dans leur ouvrage, au point que Busnel s'est permis de leur demander si ce livre, c'est bien eux qui l'ont écrit. Elle aussi, d'ailleurs, se perdait dans les questions générées par son propre bouquin. Bref : une catastrophe, dont je ne savais si je devais rire ou pleurer. Jusqu'au moment où cette "enseignante" (car oui, elle a aussi enseigné à ce qu'elle raconte dans moult interviews) a expliqué sans rire que les jeunes, ces pauvres gamin-e-s que les profs et l'élite méprisent paraît-il, ont en fait une très grande richesse linguistique et sont parfaitement bilingues. En effet, non seulement ils maîtrisent ce langage "du bitume" que nous, les vieux cons qui n'avons pas écouté du rap pendant 5 ans comme elle se vante de l'avoir fait, ne comprenons pas, mais en outre ils maîtrisent tout aussi bien notre langue à nous, les "vieux", les "profs", les "élites". Là, j'ai fait un triple saut périlleux et j'ai frôlé la crise cardiaque. Car, de toute évidence, elle n'a jamais mis un pied dans une classe d'ados. Moi qui continue d'enseigner en cours particuliers malgré mon âge canonique, après une longue carrière de prof de français dans le secondaire et le supérieur, moi qui continue d'aider toutes sortes d'élèves, de tous les niveaux, je suis chaque jour confrontée à des gamins (pardon : des gamin-e-s) qui ne comprennent pas le sens de textes pourtant simples, qui me demandent très sérieusement pourquoi les auteurs emploient des mots compliqués comme "joli", "charmant", "gracieux", mignon", séduisant", "plaisant", "délicieux", etc. alors qu'ils auraient pu se contenter d'écrire "beau", ce qui est quand même plus simple… Et croyez-moi, des enseignants bien plus jeunes que moi (ou moins vieux, c'est selon), sont tout aussi sidérés par l'actuelle méconnaissance par leurs élèves, tous niveaux sociaux confondus, du vocabulaire le plus élémentaire. Il va sans dire que, lorsque quand j'écris ici le mot "enseignants", je vous laisse ajouter mentalement l'inévitable point médian, car il y a aussi des femmes dans cette merveilleuse profession.

Il ne s'agit pas, comme elle l'a proclamé, de prendre prétexte de l'existence d'enfants dyslexiques pour refuser le point médian et autres fariboles inclusives. Mais dites-moi, comment apprendre à lire, et à écrire, à des petits bouts de 6 ou 7 ans qui n'ont rien de dyslexique, sur base de textes truffés de "enfant-e-s petit-e-s" qui, "tout-e-s ont des professeur-e-s sévères et exigeant-e-s" ??? Et comment lire tout haut une phrase de ce genre ? Comment utiliser et accorder l'abominable IEL dont Orsenna et madame Vincenti vantaient les mérites ? Et lorsque quelques rares bambin-e-s auront malgré tout réussi à atteindre le collège, comment leur expliquer que si "tout homme est mortel" selon les philosophes, cela n'implique pas que les femmes, elles, soient peut-être dispensées de ce destin funeste ? Comment, en biologie, parler de "la girafe" en expliquant que pourtant cette race, comme celle des humains-e-s, comporte des mâles, tout comme celle des panthères ou des tortues, alors que de son côté l'espèce des lézards ne manque pas de femelles, pas plus que celles des oiseaux ou des poissons, parmi lesquels d'ailleurs certains ont un genre féminin pour un sexe quelquefois masculin, comme la truite, la raie, l'anguille ??? Et comment nommer l'escargot qui change de sexe en prenant de l'âge ?

Bref : on connaît le mantra que je répète volontiers : "la connerie humaine est sans limites"… et ce n'est pas près de s'arranger, semble-t-il.

Il me reste à espérer avec madame Vincenti "que les lois liberticides ne deviennent pas la normalité", et que par conséquent, personne n'obligera jamais les gens — et surtout ne m'obligera jamais, moi — à écrire, penser ou enseigner dans le droit fil de ce sinistre et imbécile wokisme qui n'est qu'une fausse bien-pensance inepte et abêtissante.

 

La bête immonde

Sans titre 1

J’ai vu sur LA DEUX, récemment, deux documentaires français, l’un à la suite de l’autre. Le premier, intitulé « Hitler est-il de retour ? » montrait la survivance du personnage et du nom d’Hitler (jeux vidéo, BD, films…), à la fois mythifié et humanisé, presque sympathique. D’ailleurs, il aimait les chiens, et un homme qui aime les chiens ne peut être fondamentalement mauvais. J’ai ainsi appris que dans certaines régions d’Inde, on peut acheter des T-shirts à son nom ou à son effigie et manger des crèmes glacées « Hitler ». Même si l’on sait que le svastika est d’origine indienne et remonte au sanscrit, la banalisation de la « marque » Hitler (sans référence ni même connaissance du nazisme ou de la Shoah…) laisse pantois.  

Ganshoren ok

Le deuxième documentaire, nettement plus terrifiant (« Les fachos vont-ils vraiment conquérir l’Amérique ? ») est une plongée de plus d’une heure au cœur de la haine et de la bestialité décomplexées, en un pays que l’on se plaît à désigner comme « l’un des États les plus puissants du monde », un pays dont la Constitution, en son premier amendement, autorise sans restriction aucune la liberté d’opinion et d’expression. Sans restriction ? Non, car certains propos restent interdits, tels l’obscénité, la diffamation, l'incitation à l'émeute, le harcèlement, les communications secrètes, les secrets commerciaux, les documents classifiés, le droit d'auteur et les brevets. Oui, vous avez bien lu : l’incitation à l’émeute est prohibée, mais l’incitation à la haine, au meurtre, au rejet de l’autre, est parfaitement légale. L’obscénité est interdite, certes, mais le racisme, le suprémacisme, l’apologie du nazisme, le salut hitlérien, le port d’insignes nazis, la tenue de meetings et de réunions publiques prônant ces « valeurs » ne sont pas considérés comme obscènes. De grandes croix de feu continuent donc d'enflammer la nuit en souvenir nostalgique de l’heureux temps de l’esclavage, et personne n’y trouve à redire. Des croix ! Pauvre Jésus, où que tu sois, tu dois frémir à ce spectacle. Et puisque dans ce beau pays de liberté (illuminant le monde, comme on sait, grâce au napalm, à Hiroshima, à Trump – que béni soit son nom à jamais ! – et à ces magnifiques croix kukluxclannesques déjà citées), le deuxième amendement assure la liberté de vendre, acheter et porter des armes, les « débordements » se multiplient.

Terrible documentaire. On y apprend qu’il existe aux States (et ailleurs dans le monde, soit dit en passant) une multitude de groupuscules suprémacistes blancs et d’extrême droite qui, dans la foulée de la consternante démagogie du America First de Trumpie (béni soit son nom à jamais !), se regroupent, fusionnent, s’exposent, militent. Anecdotique et folklorique, car les USA sont loin de nous, à tous points de vue, et que Ubu-Trump a tout d’une mauvaise caricature ? Certes pas. En effet, ces puantes « idées » racistes, antisémites, extrêmes droitistes, facho et ouvertement nazies se répandent partout ailleurs, du Canada à l’Europe. En Allemagne, en Italie, en Autriche, en Bulgarie, en Croatie, en Espagne, en Estonie, en Grèce, en Hongrie, en Pologne, pour ne citer que quelques-uns des pays de notre Vieux Continent, fleurissent des partis qui se revendiquent parfois explicitement de l’héritage nazi, et dont les scores électoraux sont loin d’être anecdotiques. Sans même parler de notre cher Vlaams Belang belge à côté duquel Bartje fait figure d’enfant de chœur, ni de la (re)montée sans fards ni complexes d’un antisémitisme qui ne se cache plus.Kosovo ok

C’est ici, chez nous. En France, à nos portes, au cœur de l’autoproclamée « patrie des droits de    l’Homme ». Cimetières profanés, insultes publiques, agressions, attaques de synagogues, au prétexte    du conflit israélo-palestinien ou d’autre chose. Les images du passé renaissent, les mêmes, et les    mêmes mots. La même haine. Car la Shoah, c’est si vieux, n’est-ce pas ? La guerre des Gaules, les    conquêtes napoléoniennes, 14-18, 40-45… Tout cela est passé, fini, enterré, oublié. C’est de l’histoire    ancienne, celle que d’ailleurs l’on n’enseigne plus. Vos grands-parents, pourtant, et leurs parents, l’ont    vécue, cette histoire. C’était ici, chez nous. « Interdit aux Juifs et aux chiens », c’était écrit sur les vitres    de certains commerces. La maison voisine de la vôtre était peut-être celle d’une famille juive qui fut    razziée, déportée, torturée, massacrée. Grands-parents, parents, enfants, bébés à naître. Non pas    parce  que ces gens étaient méchants, ni parce qu’ils avaient commis quelque forfait. Non, simplement    pou r ce qu’ils étaient. Des Juifs. Des êtres humains cependant, mais que l’on pouvait haïr impunément    et  sans honte, puisque tout le monde le faisait. Puisque c’était permis, encouragé. Il y avait d’ailleurs    sûrement une bonne raison à cela car, en somme, il n’y a pas de fumée sans feu…

On s’en fiche, me direz-vous, c’est si loin, ces histoires. Certes. Mais elles recommencent. Et je n’ose imaginer le succès encore plus fulgurant qu’aurait connu le Führer si, en son temps, Facebook et ses consorts avaient existé. Aujourd’hui, ils sont là, ces réseaux prétendûment « sociaux », et la haine, la bêtise, l’inculture et l’ignorance (qui souvent vont de pair avec la violence et le rejet de l’autre), le racisme, la xénophobie, y prolifèrent.

La bête immonde continue de ramper sur le sol de notre planète dévastée par sécheresse, pollution et autres catastrophes qui n’ont rien de naturel. Elle relève la tête. Elle s’appelle toujours antisémitisme, mais aussi racisme, suprémacisme, peur et dégoût de l’étranger, de l’immigré ; après tout, qu’ils restent crever chez eux, tous ces basanés, qu’on les rejette à la mer, ça fera de l’engrais pour les poissons, chacun chez soi, que diable, et les vaches seront bien gardées. Inde ok

  Voulez-vous que je vous dise ? L’humanité n’évolue pas. Elle ne progresse pas, sinon dans la violence et la veulerie, dans la barbarie. Nous sommes pires que nos anciens car nous, nous savons. Nous les     voyons mourir et se noyer à nos portes, ces enfants à la peau brune ou noire. Nous les voyons chaque   jour sur les écrans de nos smartphones périr sous les bombes, crever de faim, errer dans les ruines, hurler de peur et de douleur. Nous voyons ces dessins de croix gammées sur les trottoirs de      nos villes,   comme avant, et ces cortèges carnavalesques alostois qui donnent la nausée. Nous savons que c’est  ainsi que tout a commencé il n’y a pas si longtemps, que tout recommence, toujours et pour toujours.   Contrairement à nos parents, à nos grands-parents, NOUS SAVONS. Et tout le  monde s’en fout. Tant   que moi, je suis au chaud, tranquille, dans ma confortable demeure au frigo bien garni, pourquoi voudriez-vous que m’importe le sort de ceux qui meurent aujourd’hui, là-bas, ailleurs, ou devant ma porte ? Pourquoi me soucierais-je du racisme, moi qui ai la peau claire ? Qu’ai-je à faire du sort des Juifs, moi qui suis goy ? Ou de celui des migrants qui n’avaient qu’à rester chez eux, ou de celui des   SDF qui, certainement, ont mérité leur déchéance ?

Un jour, pourtant, je serai peut-être de leur nombre. Car mes parents, mes grands-parents, ont été des fuyards eux aussi, des exilés. Les vôtres ont été persécutés peut-être. Ils ont eu faim, ils ont connu la misère. Et la guerre. Elle a tenté de les dévorer, la bête immonde, et c’est grâce à un peu de solidarité humaine qu’ils ont pu lui échapper. Un peu de cette solidarité qui, aujourd’hui, est entrée en agonie. La fin est proche.

Char ok

 

L’AFFAIRE

Polanski

QUAND L’AFFAIRE DREYFUS DEVIENT L’AFFAIRE POLANSKI

Roman Polanski est un vieux monsieur de 86 ans. C’est aussi l’un des meilleurs réalisateurs des 20ème et 21ème siècles. Il avait 43 ans lorsqu’il a commis en 1977 le viol (ou « relation consentie » selon sa version) d’une une ado de 13 ans. On peut supposer qu’il s’est amendé depuis le temps lointain du LSD, de toutes les licences et du meurtre atroce de son épouse Sharon Tate, alors enceinte de 8 mois, par la secte Manson. Entendons-nous bien : il ne s’agit pas ici d’excuser le viol de la jeune Samantha Geimer, ni de minimiser un tel acte. Mais quel rapport entre l’individu de 43 ans qui l’a commis et le cinéaste de 86 ans qui aujourd’hui réalise « J’accuse » ? Quel rapport entre l’éventuelle noirceur de l’homme et le génie ou le talent de l’artiste ? Quel rapport entre la volonté de vouloir interdire la diffusion d’un tel film, et le dérèglement sexuel (ancien) de son auteur ?

Les autres accusations de violences sexuelles dont il est l’objet n’ont jamais été jugées, ni avérées. Pour ce que j’en sais, la Justice privilégie par essence la présomption d’innocence. Mais la vindicte populaire, dont on sait ce qu’elle vaut, en juge autrement. Tant qu’à chasser les sorcières et à les vouer au bûcher, comment se fait-il d’ailleurs que Woody Allen (un autre génie du cinéma) se trouve relativement préservé ? L’inceste (présumé) serait-il moins grave que le viol ? Et à quand l’interdiction des chansons de Michael Jackson ou, mieux, la destruction de ses disques et CD en un magnifique autodafé ?

Céline était un abominable antisémite, auteur de textes immondes. Il est pourtant l’un des plus grands écrivains français, et personne ne lui conteste ce titre, d’ailleurs reconnu par sa publication dans La Pléiade. Gabriel Matzneff s’est toujours affirmé, dans son oeuvre comme dans les médias, comme « pédéraste », revendiquant son goût pour « l'extrême jeunesse, celle qui s'étend de la dixième à la seizième année » (sic), ce qui ne lui a jamais valu de procès, que je sache, et ne l’a pas empêché d’être publié chez Gallimard, et souvent invité sur les plateaux de télé où il expliquait sans pudeur que les très jeunes filles qu’il séduisait ( ?) aimaient cela. Idem pour Roger Peyrefitte qui, dans son roman autobiographique « Notre Amour », raconte avec moult détails sa relation avec un jeune garçon de 12 ans qu’il initie à « l’amour grec ». Quant à Sade, ses écrits prétendument géniaux exaltent le viol, la violence, la contrainte, le mépris de la femme (tout en étant très mal écrits, à mon humble avis). Les exemples d’artistes sulfureux et immoraux mais reconnus et admirés (à tort ou à raison) pour leur talent réel ou prétendu sont légion, de Gide à Montherlant en passant par Frédéric Mitterrand et bien d’autres. Et ne citons que pour mémoire le prix Nobel André Gide, « immoraliste » et « pédéraste » selon ses propres termes.

Front medium 29980727

Rappelons aussi qu’en 1973, l’écrivain Tony Duvert recevait le prix Médicis pour son roman « Paysage de fantaisie » qui met en scène des jeux sexuels entre adultes et enfants. Dans « L'Enfant au masculin » paru aux éditions de Minuit en 1980, il se vantait d’avoir eu des relations sexuelles avec plus de 1000 garçons, dont les plus jeunes étaient âgés de 6 ans. Son œuvre riche de quelque 25 ouvrages prônait ouvertement la pédophilie, sans avoir pour autant suscité la moindre réaction hostile.

Rappelons encore que, dans les années 70-80, de nombreux auteurs se déclaraient eux-mêmes pédophiles sans honte ni vergogne, et surtout sans crainte de se voir sanctionnés. Le journal Libération a publié, en ces années-là, plusieurs articles ou tribunes valorisant la liberté d’aimer des enfants, de toutes les manières. Le Monde et Libération ont publié en 1977 (précisément l’année du viol commis par Polanski) une pétition contre la notion de majorité sexuelle, et une autre en soutien à trois individus condamnés en assises pour avoir commis des attentats à la pudeur sur mineurs, pétition signée par de très grands noms de la littérature et autres peoples, parmi lesquels (notamment) Aragon, Gille Deleuze, Bernard Kouchner, Jack Lang, Sartre… On peut y lire que « Si une fi​​lle de 13 ans a droit à la pilule, c’est pour quoi faire ? » (re-sic). Treize ans : précisément l’âge qu’avait, cette année-là, la victime du viol perpétré par Polanski.

Bien sûr, loin de moi l’idée d’absoudre ou de banaliser le viol ou toute autre forme de violence sexuelle (ou non sexuelle), surtout quand ces violences touchent des enfants. Mais ce qu’a commis le réalisateur cette année-là, de très nombreux autres hommes l’ont commis également, à la même époque, et la société de ce temps, qui pourtant n’est pas si éloigné du nPolanski1ôtre, considérait ce genre d’actes avec plus que de l’indulgence. On connaît l’adage : autre temps autre mœurs. Et je me souviens de Gainsbourg et de son Lemon Incest, des posters de David Hamilton qui ornaient toutes les chambres d’adolescentes au temps de sa gloire ; je me souviens du merveilleux « Lolita » de Nabokov et de celui de Kubrick, de « La mort à Venise » de Thomas Mann et du film éponyme de Visconti…

Empêcher Polanski de travailler, tenter d’interdire son film, le boycotter, le lyncher médiatiquement, rien de tout cela ne fera le moindre bien à Samantha Geimer ni à aucune autre victime d’abus. Que la Justice juge, et elle seule, qu’elle condamne ou acquitte ; ce n’est pas à nous, ni à vous, ni à la Société civile des auteurs, réalisateurs et producteurs (ARP), ni à la presse, ni à la rue, ni aux réseaux dits sociaux qu’il revient de trancher, et moins encore de punir.

​​​Quant à moi qui admire les artistes que sont Zola et Polanski, en ces temps d’antisémitisme re​​naissant, je compte bien aller voir « J’accuse ». Et j’espère qu’aucun attentat ne déclenchera d’incendie dans la salle de cinéma comme ce fut le cas en 1988 lors de la projection du film de Scorsese, « La dernière Tentation du Christ », dans lequel cependant il n’était pas question de pédophilie. Pas plus d’ailleurs que dans « J’accuse ».

TRISTES ELECTIONS

Auschwitz2Il y a des jours, je vous l’assure, où la désespérance prend le pas sur le reste. Des jours où l’on n’a plus envie de rire, de croire en demain, de s’extasier devant la légèreté des choses. Des jours où le chant des oiseaux, la douceur du soleil, le murmure de l’eau et le parfum des fleurs perdent toute saveur. Des jours où l’on se dit que, peut-être, avoir atteint un âge où forcément, l’avenir devient court et aléatoire, n’est pas une mauvaise chose. Du moins échappera-t-on à la suite, aux raz-de-marée, aux nouvelles guerres qui s’annoncent, à la faim, aux maladies inconnues et à toutes ces choses qui ravageront la Terre et extermineront les enfants de nos enfants.

Oui, il est des jours où la morosité prend le pas sur tout le reste, quand on en arrive à penser que l’homme n’apprend jamais rien, que la bêtise et l’égoïsme sont gagnants à tous les coups, toujours et (presque) partout, que toute lutte est inutile, et vain tout espoir. L’on a envie, alors, de se coucher sur le sol et de pleurer, ou de fermer les yeux pour ne plus voir, ne plus entendre, ne plus savoir. Ne plus faire partie de ces hordes imbéciles de prétendus « frères humains » qui s’insultent, se menacent, s’entretuent.

Vous me direz que ce n’est pas nouveau et que ces jours-là sont notre quotidien depuis longtemps. Eh quoi, ajouterez - vous, c’est aujourd’hui seulement que vous réagissez ? Rien vu, rien constaté, rien compris tout au long de ces mois, de ces années qui ont mené à ce matin de mai ? Allons ! Rien pourtant de vraiment neuf sous le soleil. Pourquoi ces jérémiades, quand depuis des décennies errent dans les rues de nos villes des cohortes d’ombres sans forme ni visage, jeunes et vieux, hommes et femmes, à peine vivants ou quelquefois mourants, blottis contre un chien galeux sous une couverture râpée ? Quand des gamins devenus fous sèment la mort dans nos aéroports, nos stations de métro, nos lieux de plaisir et que d’autres, ailleurs, répandent le sang et la terreur dans églises, mosquées ou synagogues ? Quand le racisme et l’antisémitisme s’affichent sans honte sur nos murs réels ou virtuels ? Quand des troupeaux de « migrants » que l’on se refuse à appeler « réfugiés » se noient au large des plages de nos vacances ou viennent crever de misère près de nos gares ou dans nos jungles nordiques ? Quand « la plus grande démocratie du monde » est dirigée par un ubuesque psychopathe dont les commensaux ne valent guère mieux, plus fous et criminels les uns que les autres ? Quand murs, barbelés, « centres fermés » et ghettos s’érigent un peu partout ? Quand fondent les banquises et débordent les océans, quand brûlent les rares forêts qui ont survécu à la cupidité humaine et que disparaissent dans la foulée des millions d’espèces vivantes ? Quand notre petite planète agonise sous les coups de boutoir de ses irresponsables habitants ? Quand les pires scénarios inventés naguère par les auteurs de science-fiction se voient dépassés par une impitoyable réalité ? Et l’on se souvient du « Ravages » de Barjavel, du « Soleil vert » de Harrisson. Nous y sommes.

Et puis l’on se réveille, un triste matin de mai en l’an de grâce 2019, et l’on découvre ce qui s’annonçait depuis belle lurette mais que l’on n’avait pas voulu voir. L’extrême droite s’installe, tels le sida, la peste ou le choléra. Elle est là, comme en ces temps pas si lointains où le nazisme, le fascisme et le franquisme étendaient sur le monde leurs tentacules meurtriers. Cela faisait un moment, pourtant, qu’elle se montrait au grand jour, avait pignon sur rue ici, chez nous. Chacun était atteint, de la France à l’Italie, de la Hongrie à la Turquie, de la Flandre aux Pays-Bas. Ailleurs, c’est un autre extrême qui creuse son trou, celui d’une gauche agressive et populiste. Chez nous, ici. Mais l’on fermait les yeux. Ça va passer, se disait-on. C’est la conjoncture, c’est le problème des migrants, c’est l’islamisme, le terrorisme. C’est la misère, l’insécurité, l’incurie de ceux qui prétendent nous gouverner. Ce n’est qu’un épisode, une réaction épidermique, ça va passer, ce n’est rien.

Mais on y est.

Tout cependant aurait dû nous alerter : les meutes de casseurs déferlant sur la France, les éructations trumpesques et nord-coréennes, la peur partout présente et surtout, surtout, l’incroyable bêtise humaine décomplexée, rendue visible et évidente par ces réseaux que l’on prétend sociaux. Injures, fake news, délations, menaces en tout genre y fleurissent impunément, noyées dans des images de meurtres, de guerres, de viols. Le mépris de l’autre s’y étale, et pourquoi se gêner, je vous le demande, puisque l’on peut tout dire, tout écrire, tout montrer, dans la lâcheté de l’anonymat. La bêtise appelant la bêtise, l’excès générant l’excès, chacun en rajoute, rivalisant d’imbécile barbarie avec le post ou le tweet d’un autre cinglé. Les chefs d’État, les leaders politiques et les ministres eux-mêmes communiquent désormais de la sorte, imitant en cela le fou qui réside à la Maison Blanche.

C’est cela, la culture actuelle, celle des masses, celle de la grande majorité des citoyens, c'est-à-dire celle de ceux qui ont voté ce dimanche, et donné leurs voix aux populistes et extrémistes de tout bord. Ce n’est rien d’autre qu’une profusion de petits messages et d’images-chocs. Une indigence de vocabulaire. Un incroyable manque de connaissance, un bagage intellectuel quasi inexistant… Pourquoi d’ailleurs les nostalgiques d’un temps révolu se fatigueraient-ils à écrire des livres en ces jours où plus personne ne lit ? Pourquoi expliquer ses idées, argumenter, polémiquer, débattre, détailler un programme, quand tout peut se dire en 140 ou 280 caractères, voire en émoticônes et autres smileys ?

Terrifiant, je vous le dis. L’on en arrive à penser que Socrate, Descartes et Camus, pour ne citer que trois noms, se pendraient aujourd’hui devant le déferlement de crétinisme, d’abêtissement et d’inhumanité qui définit notre triste humanité. « Nul n’est méchant volontairement », disait le premier. 3tu parles ! » a-t-on envie de lui crier. Il faut « diminuer arithmétiquement la douleur du monde, écrivait l'autre, ajoutant que « l'art et la révolte ne mourront qu'avec le dernier homme ». L’art, vraiment ? La révolte ? Celle de casser pour casser, de piller, de frapper, de voter pour Marine Le Pen, pour le Vlaams belang ou le PTB ? Camus, au secours !!!

L’on en arrive alors à penser que, quand nous aurons enfin réussi à éradiquer de la surface de la Terre notre race irresponsable et malfaisante (ce qui ne saurait tarder), lorsque d’étranges insectes ou de jolis dauphins auront pris notre place, rien ne sera pire. Au contraire, sans doute.

 

Burkini ou pas burkini ?

Debat le burkini en deux points de vueY en a qui ont vraiment du temps et de l'énergie à perdre… 

Notre jolie petite planète bleue avec tout ce qui l'habite, hommes et bêtes, se trouve menacée. Les océans débordent, les tremblements de terre et les incendies se succèdent, les inondations se multiplient. Paraît que ce n'est que le début. Nos descendants ne vont pas rire tous les jours. Je parle de ceux qui survivront, bien sûr. Pour les autres, le problème sera réglé.
Comme si tout cela ne suffisait pas, la guerre partout se répand. La faim et la misère, la tyrannie et l'intolérance, le fanatisme et la barbarie chassent de chez eux des hordes de pseudo-migrants qu'on rechigne à appeler « réfugiés ». Ils s'entassent sur des rafiots innommables et s'en viennent mourir au large de nos rivages de soleil. Nous avons tous vu ces images d'enfants, de bébés même, que la mer vient déposer sur nos plages. Ceux qui arrivent quand même en terre d'Europe se trouvent aussitôt parqués dans d'invraisemblables camps qui feraient hurler Brigitte Bardot et tous les défenseurs des animaux si c'étaient des vaches, des chevaux ou des cochons que l'on y hébergeait. Mais il ne s'agit que d'êtres humains, quelque peu exotiques de surcroît : aucune raison donc de se scandaliser. Des murs s'élèvent aux frontières des pays dits civilisés, tout hérissés de barbelés et de tessons de verre. Dans ces pays, d'ailleurs, tout n'est pas rose non plus. La précarité (qui est le nom politiquement correct que désormais l'on donne à la pauvreté) se généralise. Des miséreux de plus en plus nombreux zonent dans les rues des villes. Des maladies anciennes ressurgissent, liées au dénuement, à la sous-alimentation, au manque d'hygiène, tandis que des pathologies nouvelles apparaissent, nées de nos modernes modes de vie. Des gamins fanatisés par d'imbéciles et criminels prêcheurs se font exploser dans les aéroports et les gares pendant que d'autres font de même en ces lieux de perdition que sont les salles de spectacles ou les terrasses de cafés, au nom d'un dieu absurde qui, s'il existait, devrait foudroyer sur place ces malheureux et ceux qui les instrumentalisent.
En Afrique, les régimes tyranniques et ubuesques se succèdent. Des armées d'enfants (souvent drogués au chanvre) massacrent, violent, éventrent femmes et fillettes. Le racisme prend là-bas le nom de tribalisme, et la terreur colonise de vastes territoires peuplés de fantômes. La famine décime des régions entières.
Ailleurs, les populations syriennes meurent littéralement de faim, ou sous les bombes turques ou américaines, quand elles ne sont pas massacrées par l'état islamique ou par les sbires de Bachar El Assad. Ailleurs encore… la liste est trop longue pour que je la poursuive ici.
Pendant ce temps, les politiciens de chez nous se délectent de ces malheurs qui leur offrent mille occasions de s'exprimer et de prendre, dans les médias et sur les réseaux sociaux, les positions populistes qui attirent les électeurs. Je les écoute – bien obligée, car ils sont partout – et je me dis que lorsque Trump sera président des États-Unis, et que Marine Le Pen ou Nicolas Sarkozy gouvernera la France, il ne me restera plus qu'à émigrer vers la planète Mars. Un moment j'ai envisagé le Congo, qui est un peu mon pays, mais la situation n'y est certainement pas meilleure qu'ici.
Heureusement, de vrais sujets de débats surgissent de temps à autre, qui nous permettent de réfléchir à l'essentiel tout en offrant à nos dirigeants de nouvelles raisons de s'agiter, de légiférer, de faire campagne. Le dernier en date est le problème du burkini.
Car voilà une question fondamentale, vraiment, et il était temps qu'on la prenne à bras le corps (si j'ose dire) : peut-on, sur NOS plages bientôt vidées par l'automne qui arrive, autoriser que des femmes s'étendent sur NOTRE sable doré et même – comble d'horreur – fassent trempette dans les vagues de NOTRE mer, devant NOS enfants, sans dévêtir comme il se doit leur anatomie ? Ne savent-elles donc pas que le culte du dieu-soleil est aussi ancien que l'humanité, bien antérieur en tout cas à celui d'Allah ? Quel scandale, n'est-ce pas, que d'apercevoir au milieu de milliers d'estivants plus ou moins dénudés, l'une ou l'autre jeune fille arborant quelque chose qui ressemble à une tenue de surf ou de plongée ? Si encore elles faisaient du surf, justement, ou de la plongée, on comprendrait. Mais non, elles sont là, assises sur une serviette de bain, à regarder le large. Par moment, l'une d'entre elles se lève, s'avance vers les flots, y trempe un pied avant d'y plonger tout entière et de se livrer aux joies du crawl ou de la brasse. Il était urgent de réagir, et nos amis français qui ne sont jamais en retard d'un combat ridicule ont vu certains de leurs élus prononcer des arrêtés contre ces fauteuses de troubles. On a même vu des flics armés (car on n'est jamais trop prudent) s'en prendre à une innocente vacancière qui avait dissimulé sa chevelure sous une étoffe sans aucun doute islamique. À moins, bien sûr, que ce fût pour se protéger des rayons d'un soleil particulièrement agressif par ces temps de canicule. Comment savoir ?
Et Manuel Valls de s'agiter au nom de la nouvelle religion d'État qui domine la France, la sacro-sainte laïcité, suivi chez nous par la NVA, moins laïque mais plus extrémiste.
Moi, je voudrais bien que l'on m'explique. Depuis quand une tenue de surf ou une robe longue constituent-elles des signes religieux ostentatoires ? Quand bien même tel ou tel attribut vestimentaire serait-il "ostentatoire", où serait le mal ?
St vincent

Elle n'est pas si loin, l'époque où les cornettes des petites sœurs de pauvres se croisaient dans nos rues, ni le temps de nos curés en soutane et de nos missionnaires (barbus) en longues robes blanches.

Pere blanc

Et même si ces nouvelles manières de se vêtir (ou de rester habillé) en des lieux où par tradition l'on se dévêt sont motivées par des croyances religieuses, en quoi est-ce choquant ? En ce qui me concerne, vous pouvez vous habiller comme vous l'entendez (sauf à cacher votre visage, bien sûr), et afficher tous les signes religieux que vous voulez, à l'instar de Madonna qui naguère arborait des crucifix en pendentifs et en boucles d'oreille : je m'en moque complètement. Comme je me moque des tatouages (parfois religieux) qui ornent les torses et les bras de tant de mâles, sur nos plages et ailleurs. 

Jh

​Croyez ce que vous voulez, priez qui vous voulez, habillez-vous ou déshabillez-vous comme bon vous semble, portez au bout d'une chaîne une petite croix d'or, une main de Fatima, un croissant, une étoile de David ou autre chose, cela m'indiffère. Cachez vos chevelures sous toutes sortes de voiles, de foulards, de kippas ou de n'importe quoi. Je n'en ai rien à cirer. Tant que vous ne m'obligez pas à faire de même. Tant que vous m'autorisez à croire autre chose ou à ne rien croire du tout. Tant que vous acceptez ma religion (ou mon absence de religion) comme aussi digne et respectable que la vôtre. Car il me semble, que c'est cela, la « laïcité » dont nos voisins français se gargarisent au moins autant qu'ils le font de leur revendication à se présenter comme « le pays des droits de l'homme ». Même s'il est vrai que cette laïcité et ces droits de l'homme sont nés dans une Terreur qui n'avait rien d'islamiste, à l'époque, et dans le sang de milliers de prêtres, de religieuses et de nobles, après qu'on eut joyeusement décapité le roi et la reine. Si, si, je vous assure : c'est cela, les droits de l'homme. Bon, d'accord, c'était il y a deux siècles et demi. Mais, quand même… il est nécessaire, quelquefois, de se souvenir de l'histoire, cette fameuse Histoire de France que François Fillon voudrait réinventer dans les écoles : "Si je suis élu président de la République, je demanderai à trois académiciens de s'entourer des meilleurs avis pour réécrire les programmes d'Histoire avec l'idée de les concevoir comme un récit national", car "le récit national c'est une Histoire faite d'hommes et de femmes, de symboles, de lieux, de monuments, d'événements qui trouve un sens et une signification dans l'édification progressive de la civilisation singulière de la France".

Tout cela nous éloigne un peu du Burkini. Sans doute parce que ce sujet ne vaut guère que l'on s'exprime longuement, son seul mérite résidant dans le fait que toute cette vaine agitation masque le manque total de vraie réflexion sur les vrais problèmes qui se posent aujourd'hui, innombrables et cruciaux.​

 

Le temps de l'Apocalypse

 JérômeBosch enfer Bosch (L'en​fer, détail)

Voici qu'une terreur inconnue se répand sur la Terre, incontrôlable autant qu'incom-préhensible. Si j'étais moins agnostique, ou plus croyante, comme vous voulez, je serais tenté​e de penser que le temps de l'Apocalypse est en route.

Cette nouvelle forme de violence, d'obscurantisme, de sauvagerie et d'intolérance me paraît totalement inédite dans l'histoire des hommes. Car il ne s'agit pas ici de faire triompher un peuple, une nation, voire « une race », une communauté, une religion ; aujourd'hui, les terroristes frappent à l'aveugle, et leurs victimes appartiennent à toutes les communautés humaines. Quelques-uns se font même exploser dans des mosquées, s'attaquant ainsi à leurs propres coreligionnaires et aux symboles de leur foi. Ils s'en prennent à des enfants, forcément innocents de tout crime contre un quelconque dieu. Ils se revendiquent de soi-disant califats, armées, États ou groupes en tout genre : Daech, Al Qaïda, Boko-Haram… Cela se passe chez nous, à Bruxelles ou à Paris, mais aussi au Caire, à Lahore, New York, Ankara, Tunis, Bagdad, Istanbul, Mogadiscio ; cela se passe au Nigéria, en Libye, en Indonésie, au Gabon, au Cameroun, en Arabie Saoudite, au Tchad, au Mali, en Afghanistan, en Irak, au Yémen, en Côte d'Ivoire, en Inde, en Australie…
Il n'y a aucune raison, aucune logique à leur action, et l'on ne peut donc espérer éradiquer leur pensée – si tant est que l'on puisse ici utiliser ce terme – ou leur aberrante croyance en la nécessité de propager la mort et le désespoir. Qu'on les arrête, ou qu'ils disparaissent dans le néant où les accueilleront, paraît-il, je ne sais combien de vierges (désincarnées, j'imagine ?), il en surgit toujours davantage. La mort même ne leur fait pas peur. Au contraire, ils la recherchent et la souhaitent, dans l'espérance absurde de s'immoler pour un dieu qui les attend et les récompensera… Tous pourtant ne sont pas des gamins incultes, des anciens délinquants, des drogués, des imbéciles décervelés. On sait que certains sont intelligents, ont grandi dans une famille aimante et protectrice, ont fait de bonnes études, étaient appréciés de leurs profs… Comment et pourquoi basculent-ils dans l'horreur et le non-sens ? Qu'est-ce donc que ce dieu monstrueux qui demanderait à ses fidèles une telle barbarie ? Car il n'est même plus question ici de servir une cause, de libérer une population ou de lutter contre un régime, ni de châtier de prétendus mécréants, de punir de pseudo-blasphémateurs, de s'en prendre à ceux qui auraient le tort de boire de l'alcool ou d'écouter une musique « incorrecte », ce qui bien sûr resterait inadmissible mais du moins aurait un semblant de sens aux yeux de ces assassins. Non, il s'agit maintenant de massacrer un maximum de victimes, le plus sauvagement possible. Sans logique, sans discrimination, comme des fauves rendus fous qui tuent pour le plaisir de donner la mort, de sentir sur leurs lèvres le goût du sang. À quoi pensent-ils au moment d'actionner leur ceinture d'explosifs ou de tirer dans la foule, tout en sachant qu'ils seront eux-mêmes les premières victimes de leur acte imbécile ? Ont-ils une pensée pour leur mère ? Pour tel ou tel de leurs amis d'enfance ? Pour la première fille qu'ils ont embrassée ? Pour leur petite sœur, pour leur grand-père resté là-bas, sur la terre d'où sont venus leurs parents dans l'espoir de leur éviter la misère ? Pour la jeune fille, voilée ou non, qui peut-être a peuplé leurs rêves d'adolescence ? Se rappellent-ils la voix du vent dans les arbres, au printemps, la caresse du soleil, le chant des oiseaux ? Quels souvenirs d'enfance, quelle odeur de pain chaud, de crêpes ou de couscous fumant, quel parfum musqué de l'eau de toilette paternelle, leur reviennent en mémoire à l'ultime instant ? Quelle chanson, quelle mélodie ? Ont-ils un regret, à l'instant final, comprennent-ils en une brutale fulgurance que la vie peut être douce et que rien ne justifie qu'on la détruise ? Quelle terreur ou quel plaisir les remplit, quelle jouissance ou quelle angoisse ? Ont-ils peur, à la dernière seconde, ont-ils honte ? Mais c'est trop tard, et l'enfer déjà s'étend, les gens tombent, crient, saignent, meurent. Comment peut-on choisir la mort et la violence, la barbarie et l'horreur, quand on a vingt ans, trente ans, l'âge des rêves et des projets, l'âge où l'on prend femme, où l'on tient dans les bras son enfant premier-né ? Qu'ont-ils donc à vouloir tout détruire autour d'eux, famille, parents, amours, voisins, frères en humanité, inconnus insouciants et heureux de vivre, passants anonymes, alors même qu'ils se trouvent au moment où l'on construit sa vie, où pierre à pierre l'on se bâtit un avenir ?
Le sang et la douleur se répandent autour d'eux, avec la peur et parfois la haine. Et je m'interroge : les autres, les commanditaires, les chefs, que cherchent-ils ? Qu'espèrent-ils, ceux qui manipulent ces autoproclamés « martyrs » et les lancent à l'assaut non pas de « l'Occident » (ce serait trop simple) mais du monde en son entier, occidental ou moyen-oriental, du Nord ou du Sud, peuplé de fidèles de l'une ou l'autre des religions du livre ou de mécréants ? J'ai beau chercher, réfléchir, interroger l'Histoire, la philosophie, la psychologie et toutesLe visage de la guerre salvador dali sortes d'autres sciences humaines, j'ai beau sonder mon propre inconscient, mon âme peut-être, je ne comprends pas. Et j'ai peur. Non pour moi, mais pour ceux que j'aime et, dans la foulée, pour ceux que je ne connais pas, pour ceux que je ne peux donc aimer mais qui sont de ma race, celle des hommes. Je ne voudrais pas avoir vingt ans aujourd'hui, et devoir envisager ma survie dans un univers où la haine se propage telle la peste au Moyen-âge, sur une planète que tout menace et d'abord ses habitants eux-mêmes. Je n'aimerais pas avoir à prendre, aujourd'hui, la décision de donner ou non naissance à des enfants, les jetant dans un monde où à chaque pas, où que l'on soit et quoi que l'on fasse, on risque de rencontrer des formes de souffrance que je​ peine à imaginer. Je ne voudrais pas devoir envisager pour eux une existence de peur et d'angoisse, dans l'intolérance généralisée, dans le mépris de l'autre, avec la terreur de la mort qui rôde autour de nous, se cache partout, dissimulée parfois dans le sourire d'un collègue, d'un voisin, d'un homme qui marche à nos côtés dans la rue.​                                                                                                              
Dali (Visage de la guerre)

Le monde a connu tant de guerres déjà. Tant de massacres, tant de génocides. L'horreur est humaine, et c'est peut-être même ce qui la définit. On aurait pu espérer qu'après Verdun, qu'après la Shoah, qu'après Hiroshima, qu'après le Rwanda, nous aurions compris. On aurait pu espérer que notre espèce aurait évolué dans la conscience au même rythme qu'elle a évolué dans la technologie. On aurait pu croire que les mots « humanisme », « civilisation », « tolérance », « respect de l'autre » et, pourquoi pas, « amour », auraient enfin acquis droit de cité dans le monde des hommes. Mais non. Pour de mauvaises raisons ou, comme aujourd'hui, sans raison, la sauvagerie et la barbarie n'en finissent pas de gagner.
Voulez-vous que je vous dise ? Quand tout cela sera terminé et que notre espèce, comme jadis celle des dinosaures ou celle des dodos, aura disparu de la surface de la Terre, remplacée par celle des fourmis, celle des rats ou celle des dauphins, eh bien… la perte ne sera pas grande.
Et de plus en plus souvent, je pense que cela ne devrait plus tarder.

 

Les limites à ne pas franchir

Ch
 C'était en janvier 2015. La planète entière l'affichait, le partageait, le proclamait : « je su​is Charlie ». En ces jours d'horreur qui furent les premiers mais pas les derniers, hélas, je me suis fendue d'un long article publié dans mon blog. J'y disais, entre autres, que je n'ai jamais aimé Charlie, mais que j'aimais moins encore l'idée de s'en aller massacrer des gens pour ce qu'ils pensent, ce qu'ils écrivent, ce qu'ils dessinent. « Revenons à Charlie Hebdo que je n'aime pas plus aujourd'hui qu'hier », écrivais-je. « Ce qui ne m'empêche pas de proclamer, moi aussi, que « je suis Charlie ». Car je suis un être humain doué de raison, je suis une citoyenne libre de penser et de s'exprimer, même si ma façon de penser et de m'exprimer peut en choquer certains. Je veux pouvoir continuer de vivre dans un pays et une civilisation où ces droits existent. Je veux rester libre. Voilà pourquoi, aujourd'hui, « je suis Charlie ». Parce que je suis ce qui refuse toute entrave à sa liberté et à son intégrité. Je suis ce qui persiste à respecter l'autre, l'étranger, celui qui ne pense pas comme moi, celui qui ne prie pas comme moi, celui qui ne s'habille pas comme moi, ne parle pas la même langue que moi, ne partage pas mes coutumes. Je suis ce qui se relève quand on l'a jeté à terre, je suis la voix qui s'élève après avoir été muselée. Je suis ce qui survit et se révolte. Je suis tout cela, que l'on a voulu tuer le 7 janvier 2015, en plus d'avoir exécuté sauvagement des êtres de chair et de sang qui jamais n'avaient porté les armes, ni incité quiconque à partir en guerre ».
Je suis toujours cet être humain qui veut continuer de vivre – de survivre – dans un monde où l'on doit pouvoir sans risque penser mal, écrire mal, dessiner mal. Je suis toujours, et pour toujours je l'espère, une personne libre de croire en un dieu quelconque ou en autre chose, ou de ne pas y croire, une personne libre d'aimer ceci et de détester cela, de m'exprimer ou de me taire. Mais JE NE SUIS PLUS CHARLIE. Car, vraiment, trop c'est trop. Te veel is te veel, comme on dit chez nous. Certes, pas plus qu'hier, je n'en arrive à penser que ces tristes individus qui se revendiquent « bêtes et méchants » mériteraient la mort ou la censure. Par contre, cette fois, ils méritent clairement le mépris. Le rejet, le dégoût. Envie de vomir, ou de pleurer, ou de mêler larmes et nausée, à la vue de leur lamentable une consacrée aux attentats de Bruxelles.
Rappelons-leur, au passage, que Stromae, dont la caricature figure en couverture, a perdu son père dans un génocide. Rappelons-leur que les jambes coupées, les membres arrachés qui illustrent cette page, sont bien réels, hélas. Rappelons-leur que, sur les lits de nos hôpitaux, il est des blessés qui continuent de lutter contre la mort, et d'autres, mutilés, qui souffrent. Il est des parents qui pleurent leurs enfants, des enfants qui ont perdu leurs parents. Rappelons-leur que le nombre des victimes est aujourd'hui de trente-deux, sans préjuger du sort de ceux qui, en soins intensifs, naviguent entre les rives de la mort et celles d'une survie aussi problématique qu'infiniment douloureuse. Rappelons-leur la signification des mots « décence », « respect », « dignité », « retenue », « empathie ». Et celle des mots « douleur », « souffrance », « chagrin », « détresse », « angoisse »… Rappelons-leur, surtout, le sens du mot « humanisme » et même celui, tout bête, du mot « humanité », si tant est que ces termes aient pour eux la moindre valeur.

Non, on ne peut pas rire de tout.
On ne peut pas rire de la souffrance de nos « frères humains ». Oui, je sais, c'est un peu ringard de parler ainsi, et je suis mieux placée que quiconque pour savoir qu'un « frère » (du moins un frère selon le sang et l'hérédité) peut être un parfait salaud doublé d'un méprisable connard. Mais c'est de mes frères en race humaine que je parle ici, ceux dont je veux partager aujourd'hui la douleur. Ceux, en tout cas, dont il ne me paraît pas opportun de rire.
Je n'ai jamais aimé Charlie, quand bien même j'ai frémi d'horreur en apprenant le massacre de ses dessinateurs.
Je continue plus que jamais à proclamer que la violence est toujours monstrueuse, et que la liberté de pensée, c'est-à-dire la liberté de s'exprimer, la liberté d'écrire ou dessiner, doit être respectée partout, sans condition. Mais je le dis haut et fort, au nom même de cette liberté : JE N'AIME PAS CHARLIE, surtout aujourd'hui. Je le méprise, il me révulse. Avec Walter Benjamin et d'autres sans doute, je lui souhaite le sort qu'il mérite : « la faillite de ce papier toilette ». ​

 

C'est la faute à...

Enseignons donc Camus à ces futurs kamikazes. Sait-on jamais… Si l'un d'eux était capable d'entendre ?​

 

Quand les intérêts financiers étouffent toute conscience

Pendaison
Un jeune homme est mort le 26 janvier 2014.

Un poète est mort. Il avait 32 ans. Il est mort sur ordre du président de son pays, pendu. Un parmi d'autres. Jugé et reconnu coupable de « guerre contre Dieu », condamné pour ce crime et quelques autres, parmi lesquels celui d'avoir milité pour les droits de l'homme, ce qui sans doute est une autre manière de combattre Dieu… Car Dieu est bien loin des hommes, selon toute apparence. La sentence a été exécutée selon les charmantes coutumes de son pays, c'est-à-dire par pendaison.
Selon certaines sources de 2014 : « le président iranien Rouhani, en visite à Ahvaz, capitale du Khouzistan, le mois dernier a ordonné son exécution. »

Pendaison2Cela s'est passé le 26 janvier 2014. Deux ans plus tard, jour pour jour, c'est-à-dire le 26 janvier 2016, ce même président Hassan Rouhani a été accueilli au Vatican par le pape François. Histoire de fêter ce joyeux anniversaire, j'imagine. Et de parler peut-être de ce Dieu dont il n'est pas bon de douter. À Rome encore, monsieur Rouhani a été reçu en grande pompe par le Premier ministre italien Matteo Renzi, qui avait pris soin pour la circonstance de pudiquement dissimuler la nudité des statues antiques qui risquaient de se trouver sur la route du prestigieux visiteur. Résultat : « De nombreux accords ont déjà été signés en Italie ». Tout va donc pour le mieux dans le meilleur des mondes, et monsieur Rouhani poursuit sa tournée des grands-ducs : France, Belgique…
Car les États prétendument démocratiques, ces fameux « États de droits » dont on nous rebat les oreilles, ont rendu à l'Iran (et donc à son sympathique président) leur bienveillante affection, retrouvant du même coup la possibilité de traiter de juteuses affaires avec une nation qui pend professeurs, journalistes, mécréants et poètes… Mais l'argent n'a pas d'odeur, c'est bien connu. Pourquoi ce revirement, me demanderez-vous ? Parce que l'Union européenne vient d'adopter en janvier dernier la levée des sanctions économiques et financières contre l'Iran, après que l'Agence Internationale de l'Énergie Atomique eut approuvé la mise en œuvre de l'accord nucléaire signé en juillet dernier entre l'Iran et « les grandes puissances ». Cet accord garantit le caractère civil du nucléaire iranien et rend, à ce qu'il paraît, « quasi impossible » (selon le site fr.sputniknews.com) la construction d'une bombe atomique. Personne apparemment ne s'inquiète ici de l'utilisation de l'adverbe « quasi ». Comment imaginer d'ailleurs que les autorités iraniennes tenteraient de détourner les règles ou envisageraient de poursuivre dans la discrétion des recherches moins pacifiques ? Bien sûr, elles trucident les opposants et autres criminels coupables de penser par eux-mêmes mais, que diable (c'est le cas de le dire), il ne faut pas tout mélanger ! Quant aux dangers du nucléaire, même civil, nous sommes habitués en Belgique à ne pas trop nous en soucier.
Et moi je pense à ce poète mort depuis deux ans sans que personne ne s'en émeuve. Qu'est-ce donc que ce monde qui est le nôtre, où l'on pend les poètes, où « les grandes puissances » acceptent au nom de MViol meammon que l'on tue avec une terrifiante barbarie ceux qui n'entrent pas dans le rang ? Qu'est-ce donc que ce monde où l'on voile les œuvres d'art, où l'on invite avec tous les honneurs un Hassan Rouhani aujourd'hui, un Kadhafi hier, et tant d'autres du même tonneau ? Où est la différence, dites-moi, entre un régime qui pend ceux qui « font la guerre à Dieu » et les hordes de barbares de Daech ou de Boko Haram qui, au nom de Dieu encore, massacrent d'innombrables innocents ? Qu'est-ce donc que ce monde où des centaines de milliers de réfugiés, ailleurs, cherchent leur salut dans la fuite ? Qu'est-ce que ce monde où les nantis que nous sommes protègent leur « art de vivre », leurs « valeurs » et leur « bien-pensance » derrière murs et barbelés​ ? Qu'est-ce donc que ce monde où des petits cadavres d'enfants viennent s'échouer sur nos rivages ? Qu'est-ce que ce monde où l'on détruit à la dynamite les vestiges d'un passé millénaire, où des populations entières meurent sous les bombes quand elles ne crèvent pas de faim, sans que personne ne lève le petit doigt ? Ce monde où ailleurs, sous un autre soleil, on viole, on éventre, on massacre femmes et  fillettes ?

Qu'est-ce que ce monde où, toujours et partout, au-delà des tribalismes, des couleurs de peau, des religions, des idéologies, c'est le profit qui prime, et l'on est prêt à tout accepter pour du pétrole, pour du coltan, pour de l'or ? Un monde auquel j'ai honte d'appartenir…​

 

Vol légal et barbelés : les valeurs de l'Europe

Sirene

Beau pays que le Danemark. Copenhague et sa petite sirène, Legoland, l'île de Bornholm où j'ai jadis passé de jolies vacances, Roskilde, Elseneur où continue d'errer sans fin l'ombre d'Hamlet… Le Danemark occupé par l'Allemagne en ces jours où le nazisme triomphant étendait ses ailes sur l'Europe tout entière. Le Danemark et son roi, Christian X qui, en ce temps-là, osa braver Hitler : « Si les Allemands imposent l'étoile jaune chez nous, je l'épinglerai à mon uniforme et j'ordonnerai à mon entourage d'en faire autant. » Mais les rois passent comme le reste, et les Danois l'ont bien oublié, ce souverain humaniste et courageux.
Car le Danemark d'aujourd'hui, malgré l'inaltérable beauté de ses îles, de ses côtes déchiquetées et de ses villes lumineuses, est devenu un pays dont les effluves écœurants donneraient la nausée au bon roi Christian X lui-même. Non seulement, comme c'est le cas dans d'autres pays européens hélas, le gouvernement danois refuse d'adhérer aux « quotas » préconisés par l'Allemagne et la Commission européenne en matière de « migrants » (puisque c'est ainsi que l'on nomme les malheureux qui fuient l'insoutenable), non seulement ce gouvernement « s'est engagé dans un durcissement de la législation sur l'immigration afin d'obtenir le soutien du Parti populaire danois, formation anti-immigration arrivée deuxième aux législatives », mais voici que le Parlement de ce pays vient d'adopter une loi imposant aux forces de l'ordre de confisquer aux réfugiés les biens dont la valeur globale dépasserait 10 000 couronnes (c'est-à-dire 1 300 euros). Il n'a fallu que trois heures de débat pour que, finalement, ce 26 janvier 2016, sur les 109 parlementaires présents, 81 députés votent « oui » contre 27 « non » et une seule abstention.
Et moi, je pense à ces gens qui ont pris la terrible décision de tout quitter pour échapper aux bombes, à la famine, à la barbarie. À ces naïfs remplis d'espoir et d'illusions qui se disent que là-bas, de l'autre côté de la Méditerranée, ils vont trouver le minimum de sécurité nécessaire à la vie, à la survie. Car l'Europe, n'est-ce pas, c'est le monde civilisé, celui de la démocratie, de la tolérance, de l'humanisme, tout comme la France est, à ce qu'il paraît, la sempiternelle, autoproclamée et auto-satisfaite « patrie des droits de l'homme ». Je pense à ces pères de famille qui ont accepté pour eux-mêmes et leurs enfants les pires risques, et même celui de la mort par noyade, plutôt que de la côtoyer chaque jour, cette mort, sous ses formes les plus abjectes. J'imagine à quel point il faut être désespéré pour ainsi abandonner son pays, son métier, ses proches. Combien doit être terrible, l'horreur d'imposer aux siens une existence sans cesse menacée, dans la terreur de voir ses petits mourir de faim – au sens littéral du terme – ou de les voir périr écrasés sous les gravats, fauchés par une balle perdue, éventrés d'une rafale de kalachnikov, éparpillés par une explosion, celle d'une mine ou celle de la ceinture d'explosifs d'un fou furieux. À quel degré de désespérance faut-il être rendu pour préférer à tout cela la terrifiante aventure du départ vers un inconnu lourd de dangers, lui aussi ? Je les vois marcher en longues files sur les routes d'Europe, ceux d'entre eux qui ont échappé aux flots de cette Méditerranée où nous aimons passer des vacances de soleil et de farniente. Ils avancent en troupeaux sur des chemins noyés de pluie, puis se heurtent à d'étranges murs qui poussent en quelques jours à peine au long de frontières hérissées de grillages et de barbelés. L'Union européenne pendant ce temps discute des « quotas de migrants » à imposer à ses membres, entre deux débats sur d'autres quotas, laitiers ceux-là, ou sur l'indice des prix à la consommation. Car les hommes n'ont guère plus d'importance que les vaches ou le fric.

MigrantsEn deux années de guerre en Syrie, entre un ubuesque tyran et des barbares fanatiques, 260.000 morts ont été comptabilisés. Un détail, comme dirait l'autre. Mais le flux incessant de réfugiés continue à se presser aux frontières de l'Europe. Ils sont entre cinq cent mille et un million, selon les sources. Des milliers d'entre eux n'arrivent jamais nulle part, perdus corps et biens au fond de la mer ou cadavres échoués sur les plages grecques et turques. Chez nous où l'on s'intéresse davantage au coût des réparations à faire dans les tunnels de nos capitales, on parque les rescapés dans d'immenses camps, on les encage dans des centres fermés, on les retrouve groupés en invraisemblables bidonvilles de toile et de planches, dans la boue et les excréments. Ils viennent de Syrie, d'Afghanistan, d'Érythrée… Ils fuient la guerre, la folie religieuse, les talibans, la dictature… Ils sont syriens, afghans, érythréens… Individus bien étranges en vérité, aux langues et aux mœurs trop exotiques pour être honnêtes. Si différents de nous, n'est-ce pas ? Alors la Hongrie ferme ses frontières, la Slovaquie fait de même, la Macédoine suit, la Pologne se fâche, la Suède prend des mesures d'expulsion, le Danemark leur vole argent et bijoux, un ministre belge veut leur apprendre « la bonne conduite », un autre envisage pour eux le port d'un badge… Excellente idée, qui pourrait d'ailleurs être améliorée : pourquoi pas une étoile, jaune par exemple, afin qu'elle soit bien visible ?
Car ici, en Europe et dans notre merveilleux monde « libre » et « démocratique », on a le sens des vraies valeurs, heureusement. C'est ainsi que la presse s'inquiète du sort de Claire Chazal, évincée de son poste de présentatrice des JT du week-end sur France 1, dont nous apprenons qu'elle percevra une prime de départ de quelque deux millions d'euros, ce qui ne l'empêchera pas de percevoir aussi un salaire mensuel de 12.000 euros par mois pour ses nouvelles prestations dans le magazine-télé « Entrée libre ». C'est ainsi encore que Le Soir du 19 janvier 2016 titre sur « ces 62 super-riches [qui] possèdent autant que les 3,6 milliards les plus pauvres ». J'ai fait le calcul. Sachant que la population mondiale atteint les sept milliards d'individus, cela revient à dire que 0,0000001 % de cette population détient autant de richesse que 60 % de cette même population. Intéressant, non ?
Et pendant ce temps-là, le Danemark dépouille ses candidats réfugiés, la Méditerranée se transforme en un cimetière marin qui ne doit rien à Valéry, hélas, et des enfants par dizaines meurent de froid dans les Balkans…
Des « enfants migrants » écrivent certains médias. Cessons donc de violer jusqu'au langage lui-même pour justifier notre égoïsme ! Ce ne sont pas des « migrants », pas plus que ne l'étaient nos parents et nos grands-parents qui sur les routes de France fuyaient le nazisme en 1940. Pas plus que ne l'étaient les Juifs qui tentaient de quitter l'Europe de Hitler. Ce sont des réfugiés. Ou plus exactement des candidats réfugiés, car pour être « réfugié », il faut tout d'abord avoir trouvé quelque part un refuge, précisément, un asile, un lieu où la mort et la misère ne guettent pas à chaque coin de rue. Et ceux-là, ces étranges étrangers, personne ou presque n'en veut « chez nous », même si madame Merkel se démarque en la circonstance. Nul refuge pour ces prétendus migrants. Que ne sont-ils restés mourir chez eux ?
Il y a des moments où l'on a honte d'appartenir à l'espèce humaine, je vous le dis. « Race de salauds », race abjecte qui depuis toujours invente d'invraisemblables machines à tuer : camps de la mort (en Pologne, justement…), bombes de toutes sortes, murs hérissés de miradors, armes bactériologiques, gaz, tortures, État Islamique, hordes de fanatiques sans cerveau…
Et je me souviens de Camus qui sans doute avait encore quelques illusions sur l'âme humaine lorsqu'il écrivait ces lignes dans La Peste : « Puisque l'ordre du monde est réglé par la mort, peut-être vaut-il mieux pour Dieu qu'on ne croie pas en lui et qu'on lutte de toutes ses forces contre la mort, sans lever les yeux vers le ciel où il se tait. »

Envie de vomir, messieurs les Danois. Car je me demande si l'on peut descendre plus bas dans l'ignominie qu'en délestant en toute légalité ces miséreux du peu qui leur reste…

 

Des hommes et des chiens

Pourtant, il a raison, Boualem Sansal, dans sa lucidité et sa désespérance. Ne nous mentons pas. Ceux que nous chassons, ceux que nous laissons croupir dans la fange et la merde, tout près de chez nous, ce ne sont pas des migrants, pas plus que ne l'étaient nos grands-parents. Ce n'est pas pour voir du pays qu'ils quittent leur terre, leur maison, leur métier, ce n'est pas par esprit d'aventure qu'ils s'en vont errer sur les routes d'Europe.
Ils y sont forcés. C'est la peur qui les pousse en avant, c'est la terreur qui les talonne. Ce ne sont pas des migrants, mais des réfugiés, des proscrits, des « frères humains » pour autant que ce mot ait encore un sens.
Il y a les Syriens, bien sûr. Et les Afghans, les Irakiens. Ceux qui fuient la guerre, la mort, le feu, le totalitarisme, le mépris de toute vie humaine, la barbarie dominante et rayonnante. Ceux qui ne veulent pas voir mourir leurs enfants sous les gravats d'une maison qui s'écroule ou en victime collatérale d'une bataille de rue, ni les voir grandir dans la haine de l'autre, dans l'intolérance et l'abrutissement. Ceux qui ont peur pour leurs femmes, pour leurs filles.
Mais ils ne sont pas les seuls. Car on ne parle guère des dix-neuf millions (annuels) de « réfugiés climatiques », ni des quelque 200.000 réfugiés congolais en Ouganda, ni de tous les autres, en Éthiopie, au Kenya, ailleurs… tant il est vrai que le malheur a plusieurs visages, et que le désespoir colonise la Terre et se répand sans se soucier des frontières.

Des êtres humains meurent au bord des chemins ou se noient au large des côtes grecques ou turques. Des enfants. Des familles entières. D'autres s'entassent dans d'invraisemblables cloaques à deux pas de chez nous. Pendant ce temps-là, le « pays des droits de l'homme », selon la périphrase flatteuse que la France utilise trop souvent pour se définir elle-même, vote massivement pour le front national sans apporter aucune aide étatique à ce bétail humain. Le Danemark envisage très sérieusement de les dépouiller des bijoux et autres biens qu'ils auraient réussi à emporter. La Hongrie édifie un mur hérissé de barbelés pour se préserver des indésirables. D'autres États envisagent de faire pareil. Des quotas sont fixés, pays par pays. Les politiques discutent. Des villages entiers manifestent : pas de ça chez nous ! Le Commissaire européen à l'immigration voyage, parle, multiplie les lieux communs et les belles paroles : L'Europe a du mal à gérer les importants afflux de personnes cherchant refuge dans nos frontières, ce sont des êtres humains (ah bon ?), des gens dans le besoin, il convient d'organiser notre système afin d'affronter ce problème d'une façon décente, civilisée et européenne
Heureusement, Médecins du Monde, la Croix-Rouge et d'autres ONG font ce qu'elles peuvent. De simples citoyens se mobilisent. Des associations se constituent. Des scouts proposent des tentes, des abris. Des bénévoles se dévouent. Belle invention, le bénévolat, qui dispense les responsables, les politiques, tous ceux qui entrent dans la catégorie des « pouvoirs publics » d'agir. Pendant ce temps, des « mineurs non accompagnés » (encore une jolie périphrase qui permet de ne pas les désigner par leur nom, ces enfants, car c'est bien de cela qu'il s'agit) se trouvent livrés à eux-mêmes, dans les rues de chez nous. Parce qu'on ne peut pas enregistrer plus de deux cents ou deux cent cinquante demandes d'asile par jour, et tant pis pour les autres qui doivent attendre leur tour, revenir le lendemain, le lendemain encore, et dormir où ils peuvent en attendant, manger ce qu'ils trouvent. Tenter de survivre, tout seuls.

Une digression qui n'en est pas une. J'aime les animaux. J'ai toujours possédé des chiens, des chats. Il m'est quelquefois arrivé de ramasser un matou famélique, un oiseau blessé… Récemment encore, j'ai alerté Veeweyde au sujet d'un chien errant. Heureusement, n'est-ce pas, qu'il existe de tels organismes pour s'occuper des animaux blessés et perdus ? Il suffit de former un numéro2084 la fin du monde de téléphone, d'alerter un vétérinaire ou même la police, et quelqu'un intervient. À moins que la malheureuse bête ait déjà trouvé un nouveau foyer, recueillie par une gentille dame – comme moi – ou adoptée par une famille. Mais dites-moi, à qui puis-je téléphoner, qui puis-je appeler, lorsque je croise une ombre vaguement humaine qui tend la main ou, pire, qui détale à ma vue ?

Étrange civilisation que la nôtre, vraiment, où l'o​n prend en charge les animaux (et c'est très bien ainsi), mais où on laisse à l'abandon des centaines de milliers de migrants, condamnés à s'enfoncer dans ces jungles modernes d'où s'enfuiraient les chiens que nous aimons, si par aventure ils s'y perdaient.

Ah oui, j'oubliais : pour ceux qui y croient… l'enfant Jésus est né, et aussi le prophète Mahomet. Les deux anniversaires concordaient, cette année. Paraît que ça n'arrive que tous les trois cents ans. C'est pas un signe, ça ? Bon anniversaire donc à tous les deux.

Et bonne année à tous. Ne vous découragez pas : je suis certaine que 2016 peut faire pire que 2015, et que ce sera toujours pire, d'année en année. Jusqu'en 2084, l'année de la fin du monde, du moins selon Boualem Sansal. Si elle n'arrive pas avant. Car nous sommes sur la bonne voie, et tous les espoirs sont permis.

 

Quand un éditorialiste français se prend pour le centre du Monde

Je suis belge. Je vis à Bruxelles, non loin de la commune de Molenbeek. J'ai derrière moi une longue carrière d'enseignante. Je suis aussi écrivain et lauréate de deux prix littéraires, et j'ai quelquefois publié dans des maisons d'édition françaises qui ont pignon sur rue et ne font pas de compte d'auteur, je le précise au passage ; je tiens à votre disposition toutes les infos supplémentaires que vous pourriez souhaiter.

Je suis belge. L'une de mes grand-mères était française, l'autre anversoise et à demi juive. L'un de mes grands-pères était d'origine hollandaise, l'autre était un Flamand francophone de Courtrai, professeur de grec et de latin de surcroît (vous savez ? ces langues que l'on ne juge plus utile d'enseigner chez vous). Et je ne vous parle même pas des racines de mes enfants du côté paternel. Mon père a suivi une partie de sa scolarité à Molenbeek, ce lieu de perdition dont les Français ne sont pas capables de prononcer le nom. Bref, je suis une vraie belge, une « zinneke » comme on dit chez nous, dans le langage des bas-fonds de Molenbeek (encore).

Blason molenbeek

Je suis belge et bruxelloise. L'un de mes fils habite Molenbeek. Je lui ai suggéré d'édifier un bunker dans son jardin afin de se protéger des éventuels bombardements que pourrait initier votre grand humoriste Eric Zemmour.

Je suis belge et bruxelloise. Et j'en ai assez d'entendre la France ​donner des leçons au reste du monde, et aujourd'hui à « ses amis, ses frères » belges. Oui, je sais : la France est « la patrie des droits de l'homme », et elle ne se prive pas de le répéter partout et sur tous les tons, à temps et surtout à contretemps. Les droits de l'homme… Il me semble me souvenir que ces droits-là sont nés chez vous sous un régime très justement baptisé « La Terreur », ce qui prouve que l'humour français si justement réputé (celui de Dieudonné et de Zemmour notamment) ne date pas d'aujourd'hui… Encore heureux qu'il n'existât pas, à cette joyeuse époque, de kalachnikov ni de ceinture d'explosifs ! Car cette France qui aime tant à se définir par « les valeurs de la République » et à se présenter comme « la patrie des droits de l'homme » devrait se souvenir qu'elle s'est construite, cette république, sur un bain de sang que l'Iran des Ayatollah (ou le pire des djihadistes) n'eût pas renié. Combien de gens coupés en deux au terme de pseudo-procès, pour la seule raison qu'ils étaient prêtres ou portaient un nom à particule ? C'était il y a plus de deux siècles, me direz-vous. Certes. Vichy, par contre, et le Vel d'Hiv, c'est plus récent me semble-t-il. Tout comme le métro Charonne. Et je ne cite que pour mémoire votre sanguinaire, conquérant et impérial Napoléon.

« En bon jacobin, on s'étonne de la vacance régulière du pouvoir et de leurs sept Chambres parlementaires » écrivez-vous. Mais oui, étonnez-vous, tout comme nous nous étonnons ici de vous voir insulter et mépriser ceux que vous avez élus à la fonction suprême, traitant l'un de « Bling bling » avant de le poursuivre en justice pour toutes sortes de magouilles et de malversations, traitant l'autre de « Flamby » ou d'incapable.

Aucun sang impur n'a jamais abreuvé nos sillons, et cela fait bien longtemps que chez nous le mariage pour tous et l'euthanasie sous de strictes conditions sont entrés dans les mœurs et dans les lois. Sans manifestations, sans émeutes, faut-il le préciser ? Car figurez-vous que notre nation (qui à vous en croire serait sans État, à moins que ce soit l'inverse) fait souvent preuve de moins d'intolérance brutale que la vôtre…

« La sympathique Belgique est devenue une plaque tournante du djihadisme » écrivez-vous encore. Comme vous avez raison ! Autant vous l'avouer tout de suite : Charlie-Hebdo, c'était nous. L'avion russe descendu en Egypte, l'attentat de Bamako, le Thalys, la destruction de Palmyre, les attentats du World Trade Center, les 200 morts de Madrid, les attentats anciens et récents en Tunisie, la guerre du Liban peut-être… Tout cela, c'était nous, la « plaque tournante du djihadisme ». Les jeunes filles kidnappées au Nigéria et Boko-Haram lui-même, c'était encore nous. Même si l'ennemi public numéro un, le désormais trop fameux Salah Abeslam, est présenté dans tous les médias (y inclus ceux de l'Hexagone) comme un ressortissant français. Mais qu'importe, pourvu que vous puissiez, tels des gamins dans une cour de récréation, répéter à l'envi, pointant le doigt sur l'un ou l'autre camarade qui n'en peut mais : « c'est pas nous, M'sieur, c'est les autres, ».

Je voudrais quand même vous rappeler (ou vous apprendre, car de toute évidence vous ne savez pas grand-chose de notre petit royaume qui pourtant se trouve à votre porte) certains faits. Des « cités », des « banlieues dans lesquelles la police ose à peine intervenir », « l'enfer du 93 » (selon Le Figaro du 12/12/2011), des émeutes urbaines sanglantes, des exécutions presque quotidiennes dans certaines grandes villes (comme Marseille), tout cela n'existe pas chez nous. Nous n'avons pas de « quartiers » comme les vôtres, sortes de cités dans la cité pour ne pas dire d'États dans L'État. Bien sûr, il y a plus de Belges de telle ou telle origine dans certaines communes de Bruxelles (Molenbeek, Saint-Gilles, Anderlecht, Schaerbeek, l'antique quartier des Marolles…), tout comme il y a plus de Français immigrés fiscaux dans nos communes les plus riches, les plus « chic », comme Uccle. Mais globalement, les choses se passent plutôt bien. Les gens s'entendent. Nombre de mes étudiants plus ou moins exotiques et de mes étudiantes, même voilées, m'ont souvent déclaré leur fierté d'être belges. Nos partis d'extrême-droite, à côté des vôtres, font figure de petits plaisantins. Pas de saga Le Pen père, fille et petite-fille chez nous. Pas de « détail de l'histoire ». Nombre de nos ministres, de nos députés, de nos politiciens, de nos journalistes, portent des noms qui de toute évidence ne sont pas « de souche ». Nous en avons dont les parents ou grands-parents étaient turcs, italiens, marocains, espagnols ou congolais, pour ne citer que ceux-là. Et c'est très bien ainsi.

Je suis belge et bruxelloise, et j'aime vivre dans cette ville métissée, multiculturelle, vivante et joyeuse.

« La Belgique est devenue un centre d'endoctrinement et de recrutement » écrivez-vous. Peut-on savoir sur quoi vous vous appuyez pour proférer de telles âneries ? Hélas, des « recruteurs », des endoctrineurs et des fous dangereux, il y en a partout, chez nous comme chez vous. Comme en Allemagne et même comme en Suède ai-je lu récemment.

Un peu d'histoire encore, une science que vous semblez méconnaitre autant que la géographie. Pas de Vel d'hiv chez nous. Pas non plus de tribunaux d'exception pour voter la décapitation d'un roi et celle de milliers de nobles ou de « calotins ». Pas de « métro Charonne » ni de guerre d'Algérie. Pas de « jungle de Calais » de notre côté de la frontière. Pas non plus de responsabilité directe dans le génocide rwandais, si je puis me permettre de vous rappeler l'action de la France dans ce drame, dénoncée et avérée depuis.

Oh, bien sûr, vos « frères et amis belges » ne sont pas parfaits. Il est exact, comme vous l'écrivez encore, que « rapporté à sa population, le pays fournit le plus gros contingent des combattants européens en Syrie », et ce n'est pas moi qui pourrai vous expliquer la cause de cette triste réalité. Ni l'inventer, comme vous le faites si bien.

« Il faut aider (la Belgique) à se protéger et c'est ce que font les services français. Mais le pays doit se ressaisir » écrivez-vous. Mais bien sûr ! La France, tel Zorro, va résoudre une fois de plus tous les problèmes qui ne la concernent pas en « aidant » ses voisins à « se ressaisir ». Comme au Rwanda. Comme en Algérie. Bigre, tout cela m'effraie un peu.

Si je n'avais pas peur de me faire taxer d'intégrisme au nom de votre sacro-sainte laïcité (dont on a vu les résultats), je vous rappellerais la parabole de la paille et de la poutre. Je vais plutôt me contenter d'un conseil assez banal : balayez donc devant votre porte, avant de vous soucier de celle de vos voisins. Je vais aussi vous citer, dans la foulée, un proverbe bruxellois, histoire de ne pas décevoir votre goût du folklore : « Celui qui crache en l'air, ça lui retombe sur le blair. » Et cessez donc de vous croire irréprochables et supérieurs au reste de l'humanité. Les Belges ont beau avoir de l'humour, à la longue, votre arrogance dont je veux croire qu'elle n'est pas celle de la France entière, Monsieur l'anonyme éditorialiste du journal « Le Monde », mais la vôtre propre (si l'on peut dire), devient lassante. Cessez aussi d'utiliser des termes dont vous semblez ignorer le sens, tel le mot « régalien » qui n'a que faire dans ce contexte, puisqu'il concerne « les prérogatives du roi ». Rappelez-vous : les plus grands grammairiens, tels Maurice Grevisse ou Joseph Hanse, étaient… belges.​

 

Triste vendredi 13 ou La honte d'appartenir à la race humaine

352820 photos des attentats du 13 novembre 990x0 2La négation de l'humanité. Des bêtes sauvages. Pire, en réalité, car les animaux, même les plus féroces, ne tuent que pour se nourrir ou se protéger. Ceci n'a pas de nom.

Qu'est-ce donc que ces crapules malfaisantes, ces rebuts de la race humaine, ces abrutis dénués de la moindre étincelle de raison, qui s'attachent à ainsi massacrer leurs semblables, gratuitement, stupidement, connement ? Il faudrait créer pour eux des adjectifs et des adverbes qui n'existent dans aucune des langues parlées par les hommes, des mots nouveaux pour définir le degré d'abjection imbécile où ils descendent. Il me semble que c'est la première fois dans l'Histoire (du moins à ma connaissance) que l'on tue sans même feindre de s'appuyer sur une quelconque raison ni justification, même ignoble et absurde. Par le passé, on n'a pas cessé de tuer, massacrer, exterminer, éventrer, génocider, sous toutes sortes de prétextes, tant la barbarie est universelle et inventive. On a assassiné de prétendus adversaires, des soldats enrôlés dans une armée ennemie, des combattants d'une cause injuste, des envahisseurs, des bourreaux ; on l'a fait pour punir un crime réel ou imaginaire, on l'a fait parce que les cibles étaient censées appartenir à une « race », à un peuple honni, à une religion qui n'était pas la bonne, à une communauté, une caste, une classe sociale ; on a décimé les rois et les princes, les riches, les nobles, les curés et les bonnes sœurs en ces mêmes lieux où aujourd'hui… On a massacré des noirs parce qu'ils étaient noirs, des blancs parce qu'ils étaient blancs, des rouges parce qu'ils étaient rouges… On a trucidé des gens parce qu'ils étaient des dirigeants, des responsables politiques, des leaders... Bref, l'homme a toujours tenté de rationaliser sa bestialité, de lui donner une vague apparence de cohérence.

Aucun de ces meurtres, qu'ils fussent collectifs ou individuels, n'était bien sûr admissible. Mais du moins ceux qui les commettaient répondaient-ils à une certaine logique. Logique absurde et inepte, mais logique quand même. Les milliers de disparus du 11 septembre 2001, les centaines de milliers de morts du Rwanda, les millions de victimes du nazisme et tous les autres qui, tout au long de l'aventure humaine, ont été exterminés en masse, étaient visés pour d'inacceptables raisons, certes, mais d'une certaine manière ils étaient « ciblés », chosis, désignés. On mourait parce qu'on était juif, parce qu'on était arménien ou tutsi, parce qu'on appartenait à la race du « Grand Satan » américain, parce qu'on descendait de quelque ancienne et noble famille… Bref, on mourait sans raison, mais du moins les assassins faisaient-ils mine de justifier leurs atrocités et le choix de leurs victimes. Déjà, à ce stade, la barbarie a atteint des paroxysmes que l'on a peine à imaginer, et l'on en vient à avoir honte de faire partie de cette engeance, la plus nuisible de toutes, la plus malfaisante et la plus dangereuse, celle des hommes. L'on se dit que rien de pire ne pourrait arriver, jamais. Que certaines horreurs ne pourront pas être dépassées, ni même reproduites. De nouveaux génocides pourtant ont eu lieu, de nouveaux camps de torture et d'extermination se sont ouverts, des murs se sont édifiés, des enfants continuent d'être enrôlés dans d'improbables armées d'assassins, des femmes sont journellement kidnappées, violées, réduites au rang d'esclaves sexuelles. Tout continue, au nom de la race, de l'argent, d'une prétendue société idéale. Au nom de Dieu aussi, souvent.

Mais ceci… Un nouveau degré dans l'abjection a été franchi. Ce n'est pas le nombre des victimes qui me bouleverse (même si...), c'est le hasard absurde qui a présidé à leur massacre. Aucun prétexte cette fois. Des gens qui mangent, assis à une terrasse, un vendredi soir, ou qui prennent un verre. D'autres qui dansent et s'amusent dans une salle de concert. Fauchés comme ça, sans raison, juste parce qu'ils étaient là. Des jeunes, des moins jeunes, des Français « de souche », des Français plus exotiques, des touristes, des gens comme vous et moi. Indistinctement. Des amateurs de musique ou de foot, des croyants adeptes de je ne sais quel Dieu qui décidément prouve chaque jour son inexistence, d'autres qui se fichent bien des questions métaphysiques. Des gamins tirent dans le tas comme on joue à la guerre sur une console de jeux. Le sang coule, du vrai sang. Les meurtriers crient le nom d'Allah puis se font exploser en un atroce bouquet final. Des enfants, eux aussi. À chaque nom, à chaque photo de ces cinglés que diffusent les médias, je tremble à l'idée de découvrir le patronyme ou le visage de l'un de mes anciens étudiants… Mais qu'est-ce qu'on leur a fait, à ces gosses qui ont grandi ici, qui ont fréquenté nos écoles, qui ont joué dans les rues de chez nous ? Comment fait-on pour ainsi détruire un cerveau humain, pour transformer des jeunes gens à peine sortis de l'adolescence en bêtes malfaisantes et folles ?

Et leur Allah, qu'attend-il donc pour les foudroyer ? Ce Dieu que des milliards d'individus invoquent chaque jour : Seigneur, aide-moi, protège mes enfants, rends-moi meilleur, sauve-moi, éloigne de moi la maladie et la tentation, toi qui es « notre père » à ce qu'on dit. Où se cache-t-il ? Celui qui paraît-il ne permet pas que tombe le moindre cheveu de notre tête, ce Yavhé, cet Allah, ce Dieu qui toujours est du côté des plus forts, ce Gott mit uns, et qu'importe le nom qu'on lui donne, que fait-il d'autre que démontrer, jour après jour, sa définitive absence ? Et, même s'il n'existe pas, comment peut-on se revendiquer de lui pour violer, pour décapiter, pour massacrer, pour s'abaisser plus bas que le plus laid, le plus monstrueux, le plus nuisible des animaux ?

Ce qu'ils font, ces dégénérés répugnants, c'est détruire l'humanité dans les plus faibles et les plus innocents de ses représentants, tout comme ils s'acharnent à détruire la mémoire des siècles, à anéantir toute trace de la pensée, de la beauté et de l'intelligence humaine en dynamitant temples et statues.

Voulez-vous que je vous dise ? J'ai honte. Honte d'appartenir à cette race, la seule qui sur la surface de la Terre soit capable de telles atrocités. Et je me prends à songer que, lorsque les dauphins, les rats ou les fourmis auront pris notre place sur cette planète que nous nous acharnons à saccager comme tout ce que nous touchons, ce ne sera pas une grande perte. Car l'univers sera meilleur et plus beau quand nous n'y serons plus.​

 

Les ruines de l'Histoire humaine

280px temple of bel palmyra 15

« Syrie - Palmyre : défaite d'une civilisation » titrait ce lundi 25 mai 2015 Ravanello dans son blog. Mais non, ai-je envie de lui répondre. Ce n'est pas la défaite d'une civilisation. C'est la défaite de LA civilisation. L'échec, l'agonie, la mort peut-être, de ce qui fonde notre humanité. La destruction de ce que nous sommes, la négation de notre origine commune, le saccage de ce lieu hors du temps et de l'espace d'où nous venons tous.
J'ai vu Rome et Athènes, Mycènes, Corinthe, j'ai vu la Crète… Je n'ai pas vu Palmyre, et sans doute je ne la verrai jamais. Palmyre la Sémite, la Grecque, la Romaine. Palmyre l'universelle, oasis de beauté et de culture dans un désert. Trace miraculeuse de ce qu'ont construit et rêvé les hommes quand les dieux parfois se promenaient parmi eux, tellement humains, tellement proches de nous, avec leurs amours et leurs querelles, avec leurs visages semblables aux nôtres. Là-bas, au cœur d'un désert inconnu, non loin du mythique jardin d'Eden, une ville somptueuse s'est édifiée que ses dieux jusqu'ici avaient voulu protéger. Afin sans doute que nous puissions quelquefois nous retourner vers un passé de rêve et de beauté. Vers un monde où c'est au glaive que les hommes se battaient, avec courage et force. Marc-Antoine a voulu la détruire, puis les Perses, puis Tamerlan... Mais les dieux veillaient, les anciens et les nouveaux, qui en ce temps-là vivaient en bon voisinage. Quelques temples furent convertis en églises, où l'on continua d'invoquer la divinité. Les musulmans s'y installèrent au VIIe siècle, sans rien saccager, plus sages que les barbares qui prétendent aujourd'hui servir le même dieu, et qui en son nom massacrent et asservissent leurs semblables, et détruisent tout ce qui sans doute les rappelle à leur incurable stupidité, à cette bestiale sauvagerie que Cro-Magnon et Néandertal eux-mêmes auraient désavouée.
Qu'est-ce donc que ce monde où l'on tue sans vergogne ceux qui pensent autrement, ceux qui prient (ou ne prient pas) dans une langue qui n'est pas celle de l'un ou l'autre texte prétendument sacré ? Qu'est-ce que cette société où l'on massacre ceux qui donnent à leur Dieu un nom qui n'est pas le bon, ceux surtout qui, au spectacle de la vie comme elle va, se disent que Dieu, justement, n'existe pas. Car s'il existait, ne devrait-il pas les foudroyer, tous ces déments qui en son nom répandent la mort et la bêtise ? Ceux qui détruisent la vie mais aussi la pensée, la beauté et l'art qui pourtant ne sont rien d'autre qu'un éternel mouvement vers Lui qui continue de se taire et se cacher.
Qu'est-ce donc que cet univers où l'on enlève des femmes, des jeunes filles, des collégiennes, pour en faire des esclaves sexuelles ? Qu'est-ce que ce monde dans lequel on enrôle des petits garçons pour en faire des machines à tuer, pour leur apprendre à jouer avec de vrais fusils, a mourir dans de vraies guerres, à devenir à leur tour de vraies bêtes à peine humaines ?
Des fous et des imbéciles, des psychopathes et des assassins, des crétins incultes et des égorgeurs fanatiques, des bourreaux sadiques et des abrutis sans conscience, il y en a toujours eu, hélas. Sous toutes les latitudes, à toutes les époques, au cœur de toutes les croyances. Rien de vraiment neuf donc, sinon l'ampleur incroyable que prend aujourd'hui la catastrophe. Car la technique moderne, celle des armes et celle des médias, fait que la cruelle imbécillité de ces barbares couverts de sang se répand plus vite que l'éclair et plus loin que le vent. Et qu'ils font des émules.
Nos enfants s'en vont mourir au soleil en rêvant d'un paradis où les attendent je ne sais combien de vierges qu'ils pourront impunément violer tout comme ils auront violé, ici-bas, les femmes et les filles trouvées sur leur route. Nos enfants s'en vont tuer, là-bas ou chez nous, pour étendre sur la Terre le règne d'un Dieu plus terrible et monstrueux que Baal, Moloch et Satan lui-même. On leur offre un idéal de violence et de force, à eux qui vivent dans un univers où l'idéal n'existe plus depuis longtemps. On leur parle de force et non d'amour, de puissance et non de fraternité, de domination, de pouvoir, de la supériorité d'une croyance sur les autres tout comme, jadis, on avait prêché la supériorité d'une race. Alors ils se font exploser dans les marchés, les temples ou les mosquées, emmenant avec eux au paradis qui n'existe pas les âmes innocentes de centaines d'infidèles qui se contentaient de vivre, d'aimer leurs enfants, de regarder le ciel et les nuages en se disant que la vie sur notre Terre peut être jolie, malgré la faim et la misère quelquefois. Ils sèment le feu et la terreur en tout lieu où ils passent, eux qui ont été des petits garçons aux cheveux bouclés que pourtant nous avons bercés de rêves et nourris du lait de notre amour. Ils s'en vont détruire les traces merveilleuses de l'intelligence humaine partout où ils les trouvent, ils s'en vont effacer les souvenirs mêmes de l'art, de la pensée, de la beauté.
Des animaux, voilà ce qu'ont fait d'eux leurs croyances imbéciles et leurs prêcheurs fous. Des bêtes plus sauvages et plus cruelles que les grands fauves d'Afrique ou d'Asie qui, eux, ne tuent que pour se nourrir. Des animaux, oui, plus primitifs et plus nuisibles qu'aucune autre de ces espèces créées par Dieu et sauvées par Noé, du moins si l'on en croit les textes. Et je me dis, en me souvenant de cette histoire, qu'un nouveau déluge serait le bienvenu, sélectif cette fois, qui noierait comme des rats cette engeance de faux prophètes dont la seule philosophie se lit non pas dans les pages de quelque bible ou de quelque coran, et moins encore dans celles d'Averroès ou d'Avicenne, mais dans le feu de leurs kalachnikovs. Que fais-tu donc, Dieu silencieux ? Pourquoi ne les punis-tu pas, ces malades qui te blasphèment – si tu existes – bien plus que les dessins des uns, les églises ou les synagogues des autres ?
En attendant ce peu probable châtiment, Le Monde m'apprend que « dans Palmyre contrôlée par l'EI, l'épuration a commencé » et que « l'armée d'Assad bombarde Palmyre, tenue par l'État islamique ». Et c'est la culture et l'histoire qui, sans fin et sans espoir, se débattent dans les douleurs d'une interminable agonie.
Voulez-vous que je vous dise ? Quand reviendra le Déluge, je ne crois pas que j'aurai envie de monter dans l'arche. Car je n'ai pas vraiment le goût de vivre dans ce monde détruit, parmi les ruines de l'Histoire humaine.

 

Mais que font les éditeurs ? Où sont les correcteurs ? À quoi songent les critiques ? Et pourtant il jouit d’un phénoménal succès…

Sans titreMa longue carrière de prof et mes activités dans l'édition au sens large m'ont permis de collecter une impressionnante collection de perles et de barbarismes, que d'ailleurs je publierai peut-être un jour. En voici quelques exemples… dus non à un quelconque étudiant qui ne lirait que des SMS ou à un apprenti écrivain dont la langue maternelle ne serait pas le français, mais à un illustre et très vendeur auteur contemporain, encensé par la critique et invité sur de nombreux plateaux de télé. Je précise que je les ai récoltés non pas dans son dernier livre (que je ne compte pas acheter), mais dans les premières pages de cet ouvrage, publiées par le très sérieux magazine « Lire » (n° 433, mars 2015). Estelle Lenartowicz qui présente l'ouvrage n'hésite pas y comparer son auteur à Rabelais et à saluer son « érudition » et son « inventivité stylistique ». C'est le moins qu'on puisse dire !

  • Sa longue chevelure blonde vole derrière son crâne tout en cheveux.
  • La demoiselle à la bourre, au corps allégé, libre, et presque glorieux, aperçoit une maison forte avec des tourelles vers laquelle s'approchent (…)
  • On dirait, dans l'édifice face à la blondinette, le pétillement d'un vin nouveau qui bout à l'intérieur d'un tonneau et que ça se libère.
  • Il semble avoir presque quarante ans et être particulièrement grand.
  • Ma sœur fut rappelée à Dieu durant la naissance de sa petite. 
  • Enfant sortie brillante élève du couvent des bénédictines d'Argenteuil…
  • À l'intérieur du salon sombre de son oncle au plafond bas soutenu par des poutres de chêne foncé…
  • Je ne vais pas pouvoir.
  • Oui, se dilate d'orgueil le chanoine. Il admire le front élevé de la filleule où plane l'intelligence.
  • Je fais avec.
  • Fulbert, être entier sans nuances au visage comme un groin de pourceau de saint Antoine et autour de la tonsure des cheveux crépus, fait clignoter ses yeux de poule aux paupières bombées.
  • Pff, Anselme ! lève les yeux aux poutres Abélard.

Vous avez fini de rire ? Vous avez deviné qui est l'auteur du chef-d'œuvre (aux dires de la critique) dont les seules premières pages recèlent autant de perles ?
Avant de vous donner la réponse, je vais proposer ici mon commentaire à toutes ces hénaurmités et à quelques autres, toujours recensées dans les pages publiées par « Lire ».

  • Une très jolie jeune fille sort précipitamment d'une maison à colombages tout en regrettant (…) : très…jolie…jeune…précipitamment : ça fait beaucoup d'adjectifs et d'adverbes, aussi redondants qu'inutiles.
  •  (…) qui détournent leur regard afin de reluquer cette créature si avenante qui court par un dédale de ruelles pleines de mendiants« Reluquer » est un anachronisme flagrant (sans même parler de l'inélégance du terme) ; quant aux « ruelles pleines de mendiants », elles constituent une impropriété : un verre peut être plein (de vin), une pièce peut être pleine d'objets. Une rue est plutôt peuplée de mendiants, hantée de mendiants… Il aurait été plus joli et plus correct d'écrire, par exemple : « un dédale de ruelles où se pressent des mendiants nombreux »…
  • Ses chaussures sont comme des ballerines entre lesquelles cavalent des poules affolées et sa longue chevelure blonde vole derrière son crâne tout en cheveux. Le ballet (et donc les danseuses nommées ballerines) n'est apparu qu'au XVème siècle ; la chaussure du même nom date du XXème siècle. Le verbe « cavaler » est un autre anachronisme, car il n'apparaît qu'au XVIème siècle. En outre, ce terme est inapproprié lorsqu'on parle de poules. De même, si les oiseaux – et les avions – peuvent voler, ce n'est pas le cas d'une chevelure (sauf bien sûr si elle s'est détachée du crâne auquel elle appartenait) ; quant à l'expression « un crâne tout en cheveux », elle est totalement incorrecte et incompréhensible. Sans compter la lourdeur de la répétition chevelure – cheveux dans la même phrase.
  • La demoiselle à la bourre, au corps allégé, libre, et presque glorieux, aperçoit une maison forte avec des tourelles vers laquelle s'approchent (…). « à la bourre » : argotique et anachronique ; une maison forte = ??? ; on ne s'approche pas « vers » quelque chose, mais on s'approche « de » quelque chose.
  • La petite porte du bâtiment sévère s'ouvre en une fente verticale qui baille. C'est alors semblable à un bourdonnement d'abeilles. Bailler = donner ; bâiller = « être entrouvert, mal fermé ou ajusté ; dans le cas présent, il fallait donc ne pas omettre l'accent circonflexe. De plus, une porte peut bâiller, mais une fente ne bâille pas, puisque ce mot désigne une ouverture et non un objet ouvert. Quant à la 2ème phrase, elle est incorrecte et incompréhensible ; à quoi renvoie le « c' » ? À l'extrême rigueur, on aurait pu écrire : « c'est alors comme un bourdonnement… », le « c' » étant dans alors impersonnel, mais pas « c'est semblable à… », car dans ce cas « semblable » est attribut du sujet « c' » qui ne peut donc être impersonnel.
  • On dirait, dans l'édifice face à la blondinette, le pétillement d'un vin nouveau qui bout à l'intérieur d'un tonneau et que ça se libère. Les diminutifs en –et, ette datent du XVIème siècle. Que l'on  se souvienne de la Pléiade (qui n'était pas encore une collection Gallimard) et de son manifeste, le fameux « Défense et Illustration de la langue française ». De plus, pour ce que j'en sais, un vin ne bout pas, ni dans un tonneau ni ailleurs. Quant à la fin de la phrase, elle est incompréhensible et incorrecte. Qu'est-ce qui se libère ???
  •  (…) trois écoliers acnéiques aux voix grêles pleines de crénoms, déclarant, dont un en latin : « … ». Des voix pleines… ??? Quant au mot « crénom » (qu'il aurait au moins fallu écrire entre guillemets ou en italiques, s'il veut représenter les paroles que prononcent les écoliers en question), il n'apparait pour la première fois dans la langue française qu'en 1832.
  • (…) il nous faut s'ébattre. Erreur flagrante de construction : « il nous faut nous ébattre », ou bien « il faut s'ébattre » ; en aucun cas on ne peut associer le « on » et le « nous » dans la même phrase pour désigner la même réalité.
  • Des bottes de paille palallélépipédiques, alignées en rang d'oignons, font office de bancs. « en rang d'oignons » : cette expression date de l'extrême fin du XVIème siècle et signifie « rangés en ligne, l'un derrière l'autre, comme des oignons dans un potager » ; elle ne peut s'appliquer à des bancs…
  • Elle remarque un homme de dos et debout mais plié en deux sur sa chaire. Tout ça ??? « courbé » aurait été plus correct, et plus joli : « courbé sur sa chaire (ou "au-dessus de son pupitre".
  • Il semble avoir presque quarante ans et être particulièrement grand. Illogique : on est grand ou on ne l'est pas, mais on ne peut sembler grand.
  • Une cagoule sur la tête lui couvre aussi les épaules. Cette phrase est incorrecte. On aurait pu écrire : « la cagoule qu'il porte sur la tête lui couvre aussi les épaules ».
  • Ma sœur fut rappelée à Dieu durant la naissance de sa petite. ??? « durant » est une impropriété dans ce contexte. La mort, par définition, ne se situe pas dans la durée, pas plus que la naissance qui désigne l'instant où l'enfant sort du ventre maternel : « elle a été rappelée à Dieu au moment de son accouchement ; elle est morte en donnant le jour à l'enfant… »
  • Enfant sortie brillante élève du couvent des bénédictines d'Argenteuil où elle a appris la lecture et la grammaire, je désire que maintenant qu'elle habite avec moi en ce presbytère, à dix-huit ans, elle se perfectionne… Le début de la phrase est évidemment incorrect. Je suppose que l'auteur veut dire qu'elle a été une enfant brillante, et une élève brillante, et qu'elle a fait ses études au couvent des bénédictines : « elle fut une élève brillante au couvent (…) où elle a appris la lecture et la grammaire ». En outre, la répétition du mot QUE en fin de phrase est à déconseiller : « et je désire, aujourd'hui qu'elle réside chez moi, la voir se perfectionner… »
  • À l'intérieur du salon sombre de son oncle au plafond bas soutenu par des poutres de chêne foncé et allant (qui « va » ? le salon ? l'oncle ? le plafond ? les poutres ? le chêne ?) dans un bruissement de tissu sur des tomettes couvertes d'hysope, le mélisse et de menthe fraîche, Héloïse, dorénavant vêtue d'une cottardie à large décolleté et fentes latérales, cherche quelque chose. J'aimerais bien le rencontrer, cet « oncle au plafond bas » ; quant au mot « dorénavant », il signifie « à partir du moment présent, à l'avenir » : la pauvre Héloïse est-elle donc condamnée à ne plus porter « dorénavant » que la cottardie en question, à l'exclusion de toute autre toilette ?
  • Abélard, assis sur un banc, parcourt du regard le logis de l'ecclésiastique qui, chapelet entre les doigts, lui a formulé sa requête du fond de son grand fauteuil à dos sculpté. Un escalier à vis aux pierres disjointes doit mener aux chambres de l'étage. Ciel ! Quelle accumulation d'adjectifs et de notations aussi lourdes qu'inutiles : « sur un banc - de l'ecclésiastique - chapelet entre les doigts  - du fond de son fauteuil – grand -  à dos sculpté - à vis - aux pierres disjointes »…
  • Le gros prélat âgé, bras sur le côté, tisonne un feu. Les bûches de résineux projettent dans la cheminée des petites explosions d'essence. Même remarque : en quoi tous ces détails sont-ils utiles au récit : « gros – de résineux – petites »… ? Quant aux « explosions d'essence », elles se passent de commentaires, de même que la notation « bras sur le côté »…
  • Puisque j'enseigne déjà à l'école Notre-Dame, je ne vais pas pouvoir. Il s'exprime drôlement mal, l'illustre et médiéval philosophe. Le moindre potache qui me dirait qu'il « ne va pas pouvoir » encourrait ma colère et prendrait certains risques…
  • Je fais avec. Même remarque !
  • Je ne suis pas friand du gingembre. On dit (et on écrit) « friand de » et non « friand du », à moins que le produit cité soit accompagné d'un complément : « friand du gingembre que contient ce vin », par exemple, mais « friand de gingembre » (en général). Tout comme moi, qui ne suis guère friande de barbarismes en général, ni des barbarismes innombrables que recèle ce texte, en particulier.
  • Fulbert, être entier sans nuances au visage comme un groin de pourceau de saint Antoine et autour de la tonsure des cheveux crépus, fait clignoter ses yeux de poule aux paupières bombées. Accompagner l'adjectif « entier » de la précision « sans nuances » est évidemment un pléonasme. Quant à la description du « visage comme un groin (…) et autour de la tonsure des cheveux crépus », elle me semble formulée dans une langue assez éloignée du français, qu'il soit actuel ou médiéval…
  • C'est important d'être intraitable dans la vie… Vous, quand vous étiez scolare, vos professeurs sont dû l'être avec vous aussi. « vous, vos professeurs ont dû l'être » : construction tout à fait incorrecte.
  •  — Pff, Anselme ! lève les yeux aux poutres Abélard. ??? J'aurais pu à la rigueur comprendre et accepter une formulation comme « Pff, Anselme ! soupire Abélard en levant les yeux ». Mais « Pff, lève les yeux Abélard » ressemble à une mauvaise traduction qu'aurait proposée Google de je ne sais quelle langue exotique. D'autant qu'on peut lever les yeux « vers les poutres », mais certes pas « aux poutres », même s'il arrive qu'on lève les yeux au ciel (et c'est bien ce que j'ai fait à la lecture toutes ces horreurs).
  •  … tousse le gros prélat dont la croix pectorale rebondit sur sa bedaine. « dont – sa » : pléonasme grammatical. Il eût fallu écrire « … dont la croix rebondit sur la bedaine »).
  • Oh, ben en tout cas, j'ai récupéré ma clepsydre ! « Ben en tout cas » ??? étrange et anachronique langage pour une jeune personne vivant au début du XIIème siècle.
  • Elle s'en amuse d'un grand rire qui la secoue de la tête aux pieds. Son parrain, tel Zeus, d'un pli des sourcils la réprimande : — Héloïse, cesse de t'esclaffer ainsi. « S'esclaffer de rire » : 1ère occurrence en 1534, devient courant à la fin du XIXème siècle. Or, sauf erreur, Héloïse et Abélard ont vécu au début du XIIème siècle. Quant à « réprimander quelqu'un d'un pli des sourcils »… mieux vaut en rire, j'imagine.
  • Il en ouvre des grands yeux stupéfaits (cliché) du genre : « Elle est gonflée, celle-là ! » Anachronisme : cette expression – vulgaire, faut-il le préciser –  est très récente. Quant à l'expression djeuns « du genre », elle est plus anachronique encore.
  • Oui, se dilate d'orgueil le chanoine. Correction : « oui, dit le chanoine en se dilatant d'orgueil ». Que je sache, « oui » correspond à un mot que l'on prononce et non à un phénomène de dilatation, fût-il même métaphorique.
  • Il admire le front élevé de la filleule où plane l'intelligence. Mmm… comme j'aimerais, moi aussi, être dotée d'un front élevé où planerait l'intelligence, tel sans doute un aigle dans les cieux… Allons, monsieur l'écrivain renommé, achetez donc un dictionnaire, et vérifiez-y le sens du mot « planer » (et de quelques autres).
  • Il se retourne vers le vitrail de la fenêtre. Ces deux mots constituent évidemment un pléonasme.
  • Une fille qui poursuivrait ses études ne serait pas chose courante en ce temps où le savoir ne trouve jamais de prise dans le sexe féminin. « Une fille » (même au moyen-âge) ne peut être définie comme « une chose » (courante ou non). Quant au « savoir qui ne trouve pas de prise dans le sexe féminin », j'ai mis un moment à comprendre (après m'être remise de la crise de fou rire qui m'avait secouée) qu'il s'agit sans doute d'un « temps où le savoir n'est guère répandu parmi les femmes » (tout comme la maîtrise de la langue française ne trouve pas toujours de prise, de nos jours, dans le sexe masculin !!!). Oui, je sais, cela doit être douloureux…
  • la filleule aux formes d'une rare perfection. Jolie phrase pour un livre qui serait publié chez Harlequin.
  • La nuit venant, l'air est encore frisquet. Frisquet ??? Ce mot, dérivé d'un terme flamand, a été créé au XIXème siècle. Mais nous n'en sommes pas à un anachronisme près !
  • La soie de la cottardie roule en courts frissons sur la peau de la nièce semblant innocente encore même d'une caresse. Ouille ! comme le dit si bien le titre de cet impérissable amas de barbarismes et d'incohérences : cette phrase est totalement incompréhensible. Ajoutons pour compléter notre collection d'anachronismes que l'on ne trouvera de la soie en France que quelque 40 ans plus tard.
  • Menton légèrement creusé au milieu tel que par le doigt de la réflexion qui se pose sous ses belles lèvres, elle répond, mimant un air fataliste. Tout aussi étrange… Outre la construction incohérente de cette phrase, je précise qu'on ne peut « mimer » « un air », puisque « mimer » signifie précisément « exprimer sans le secours de la parole » c'est-à-dire…" prendre l'air de"… : mimer la colère, mimer la peur…
  • Il pose sa main droite d'homme sur l'épaule gauche et arrondie de l'orpheline. « Il » étant un pronom masculin, on peut en déduire que « sa main » est de toute évidence celle d'un homme. Du moins, il me semble…

 Vous avez trouvé, bien sûr. Pour ceux qui auraient un doute, je précise : Jean TEULÉ, Héloïse, ouille, éd. Fayard. Consternant, isn't it ?
Ce qui me sidère, ce n'est pas que tel ou tel auteur commette des fautes ou fasse des erreurs. Errare humanum, comme disait l'autre, et sans aucun doute, il m'arrive d'errer, moi aussi. Mais autant de crimes contre la langue en si peu de pages, quand même… Et surtout, comment expliquer qu'un ouvrage truffé de fautes, un ouvrage qui semble n'avoir été relu ni par son auteur, ni par ce « premier lecteur » que tout écrivain se devrait de consulter, ni par l'éditeur (sauf à supposer que celui-ci soit quasiment analphabète), ni a fortiori par le moindre correcteur, ait pu franchir les obstacles que rencontre tout écrivain sur la route de la publication ? Comment comprendre qu'aucun critique, pas plus dans la presse écrite qu'à la télévision ou à la radio, n'ait formulé la plus petite remarque quant à l'écriture de cette montagne d'anachronismes et d'attentats contre la grammaire et la sémantique ? Où était donc le sniper de Laurent Ruquier, l'inénarrable et chevelu Aymeric Caron qui cependant se targue de traquer les plus petites erreurs grammaticales des ouvrages qu'il commente ? Jean Teulé serait-il intouchable ?
Ce silence universel et cet unanime flot de louanges nous en apprend beaucoup, ce me semble, sur les médias en général. Et sur l'édition, inutile de le préciser.
Pendant ce temps, de pauvres plumitifs qui n'ont rien pour plaire aux médias (ni grands chapeaux, ni conjoint, amant ou "ex" célèbre, ni passé sulfureux, ni parrain people…) continuent de noircir du papier dans l'ombre, de publier chez de courageux éditeurs qui s'intéressent plus à la valeur d'un texte qu'au look ou au carnet d'adresses de son auteur. Sans qu'aucun critique les remarque, sans que nulle part on ne parle d'eux, et donc sans que le public ait la moindre chance de découvrir qu'ils existent.