Bande dessinée
Adieu à "La librairie francophone"
- Par Liliane Schraûwen
- Le 14/05/2024
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Je fais partie des quelque 560 auteurs et autres « membres de la chaîne du livre » signataires de la pétition adressée à France Inter pour protester contre la suppression de l’émission « La librairie francophone ». Comme sans doute les 559 autres signataires, j’ai donc reçu un aimable mail émanant de « mediatrice@radiofrance.com » dont voici le contenu :
Une manière élégante de nous dire… que nous n’avons rien à dire, que c’est comme ça, voilà tout, que la décision de supprimer La librairie francophone est irréversible et qu’Emmanuel Khérad a été (mais n’est plus) « un excellent ambassadeur » qu’il convient de remercier, dans tous les sens du mot.
Aucune explication, bien entendu, aucune justification. Aucune réponse anticipée à la question que, forcément, l’on se pose : si, comme l’écrit madame médiatrice sans doute inspirée par monsieur Chat GPT, « une nouvelle émission sur la littérature francophone sera à l’antenne dès la rentrée », alors même que celle que l’on enterre aujourd’hui était « de qualité »… comme toutes celles qu’Emmanuel Khérad « a proposées aux éditeurs durant toutes ces années », pourquoi donc la supprimer ?
Voulez-vous que je vous dise ? Ceci démontre que France Inter et, dans la foulée, que toutes les instances auprès desquelles on pétitionne à tour de bras, n’en ont rien à cirer, rien à foutre, rien à br***. À l’ère des réseaux prétendument sociaux sur lesquels chacun peut dire et écrire n’importe quoi, vitupérer sur tout et sur rien, répandre menaces, fake news et propagande en tout genre, à l’ère où X, Instagram, Tik Tok et le vétuste Facebook des vieux internautes ont remplacé livres et journaux, en ces temps où CULTURE ne rime plus avec écriture ou littérature mais plutôt avec déconfiture, enflure, caricature ou injure quand ce n’est pas avec CENSURE ou DICTATURE, à l’heure des émeutes ici ou là, des occupations d’universités, des manifestations pour toutes sortes de causes parfois discutables…, en ces temps où influenceurs et influenceuses dirigent les goûts et les passions de nos ados…, qui s’intéresserait, je vous le demande, aux « pétitions » de plumitifs tout juste bons à produire des livres que personne ne lit ?
Et, globalement, en quoi une pétition qui ne serait ni accompagnée de jets de pierres ou de cocktails molotov, ni soutenues par des troupeaux d’émeutiers en colère, aurait-elle la moindre chance d’être entendue ?
« Sic tansit gloria muni », ou à tout le moins : « sic transit gloria francophoniae librariae »…
Au revoir monsieur Kherad. Ce fut un plaisir de vous entendre, un plaisir riche de souvenirs, et ce fut un honneur de vous rencontrer et d’échanger quelques mots avec vous à la récente foire du livre de Bruxelles.
Souvenir d'André Geerts
- Par Liliane Schraûwen
- Le 24/12/2012
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La mort, une fois de plus.
Normal. Il est un âge, forcément, où quelquefois on l'a croisée. Celle des aînés, celle des proches qui nous précèdent sur le chemin, et certains laissent un tel vide, la peine est si grande, que le temps n'y fait rien. Celle d'amis. Celle d'êtres plus jeunes, très jeunes parfois. Celle d'artistes dont l'œuvre nous a touchés, et l'on a l'impression de les connaître mieux que nombre de ces gens que l'on côtoie chaque jour. Leur œuvre du moins leur survit et l'on continue de s'y perdre et de l'aimer, l'on continue de s'y reconnaître.
La tienne aujourd'hui, André. Artiste, certes, qui continuera de vivre dans Jojo, Mamy, Marie, Violaine, Gros-Louis… Mais pas seulement. Car j'ai un peu – très peu – connu l'homme aussi. Rencontres au hasard de Salons du Livre, lors d'expositions, chez des amis communs… Il nous est arrivé de dîner à la même table, de partager un verre. Nous discutions littérature, cinéma, bande dessinée évidemment. Je me souviens, tu parlais de ton enfance. Tu m'as raconté ton bref passage au Collège Saint-Pierre d'Uccle où justement j'enseignais à cette époque, dont l'ancien directeur t'a servi de modèle pour le fameux "Monsieur le Directeur" de Jojo. La grille devant l'entrée, le bureau du proviseur et l'attente tremblante, devant sa porte, du contrevenant aux innombrables règles imposées aux potaches dont tu as brièvement fait partie. Le petit escalier descendant vers la cour de récréation que l'on retrouve dans Jojo au pensionnat, celui-là même que si souvent j'ai emprunté pour aller prendre mon rang dans cette cour, et sur les marches duquel je me suis un jour trouvée quasiment assommée par un ballon de foot mal – ou trop bien – dirigé.
Parfois nous nous croisions par hasard, en rue, en ville. Tu m'embrassais, nous bavardions quelques instants. Salut, que deviens-tu? Qu'est-ce que tu fais de beau pour le moment? À un de ces jours… Prochain hasard, prochaine rencontre.
Plus jamais.
Un jour, tu m'as avoué avoir seulement feuilleté mes livres, les avoir parcourus, mais sans les lire vraiment. "Trop noir, disais-tu, trop triste… J'aurais du mal à le supporter, je crois…"
Car sous ton sourire tendre et derrière ton rire, il t'arrivait d'être triste. Quelques-uns le savaient. Et fragile. Avec ce côté rêveur qui, sans doute, t'a permis de si bien recréer le monde de l'enfance. Boule, Cédric, sont mignons et drôles, certes. Mais Jojo est… vrai. Ce n'est pas un stéréotype, ce n'est pas une figure de papier. Il fait sourire, mais jamais il ne fait rire. Il n'est pas ce gagman en culotte courte vivant dans une famille comme il n'en existe plus guère, entre des parents presque caricaturaux à force d'être idéaux, avec un chien, une tortue, un grand-père à la Cauvin.
Jojo est vivant. C'est un vrai petit garçon, tendre, malicieux, vulnérable, coléreux parfois, injuste à l'occasion, impulsif, mais rempli d'amour et, surtout, dans une énorme demande d'affection, de protection, d'amitié. Attachant et généreux. Comme toi sans doute. Fondamentalement "gentil", totalement craquant. Comme toi encore.
Je t'ai connu… mon Dieu, ça fait longtemps. Tu avais le cheveu noir et bouclé. Je t'ai connu le crâne rasé. Puis bouclé toujours, mais avec plus de blanc que de noir dans tes mèches folles. Je me souviens de ta maison où je suis venue un jour, qui te ressemblait. Je me souviens de ton sourire. De ton regard un peu flou dont le strabisme léger a dû t'inspirer On opère Gros-Louis.
Et puis, hier soir, ces quelques mots pendant le journal télévisé : "André Geerts nous a quittés. Il avait 54 ans. Jojo est orphelin". Tristesse. Incrédulité. Ce n'est pas possible. Pas lui. Ce doit être une erreur. Il est trop jeune…
Tu aimais le tennis, le vélo, la moto. Tu te refusais à posséder et même à conduire une voiture. Tu aimais l'amitié, les rencontres, le vin. Tu étais vivant. Avec des projets, avec des tas de choses à faire encore, à découvrir, à créer. Avec des Jojo à inventer, des Mademoiselle Louise à incarner…
Que s'est-il passé, dis-moi? C'est quoi, cette "mort brutale" et cette "longue maladie" dont parlent les journaux ce matin? C'est quoi ce crabe qui a eu raison de toi? La tristesse a donc gagné, pour de bon…
Tu nous as quittés, tu es parti. C'est comme ça qu'on dit quand on ne veut pas utiliser le terme de "mort". J'aimerais croire que, en effet, tu es "parti". Seulement parti. Pour où? J'aimerais t'imaginer entrant dans les pages de tes albums, intégrant pour de vrai l'univers tendre et naïf de tes personnages. J'aimerais me dire qu'il existe un ailleurs, un quelque part où tu as retrouvé tes copains d'enfance et l'affection protectrice d'une mamy au grand cœur. J'aimerais croire que tu t'en es allé dans les nuages, sur ton vélo ou à moto, et que tu poursuis ton chemin, là-bas, de l'autre côté du ciel, de l'autre côté du soleil. De l'autre côté de la vie.
J'aimerais…
Mais je peux te dire qu'ici, le bleu du ciel et le vert des prairies sont devenus bien ternes. Il n'y a pas que Jojo qui soit orphelin. Son chagrin aujourd'hui doit être tel qu'aucun câlin de Mamy ne pourra le consoler, jamais. Nous sommes tous orphelins avec lui.
Et malheureux, tellement malheureux.
Mercredi 28 juillet 2010