Lettre ouverte à Monsieur l'Officier du Ministère public de Lille
- Par Liliane Schraûwen
- Le 18/12/2012
- Commentaires (0)
- Dans Colère
Écrivain, j’ai été invitée à Lille samedi dernier, le 15 décembre, à l’occasion des Escales Hivernales et littéraires.
J’ai, semble-t-il, mal garé mon véhicule en une ville séduisante, brillamment illuminée par les soins du génial (et belge) François Schuiten, et peuplée ce jour-là de toutes sortes de promeneurs, de touristes et de manifestants appartenant à la race des « flamands (ou flamants) roses » si je m’en réfère aux calicots qu’ils brandissaient. Oui, jolie cité que Lille, mais tristement dénuée de toute possibilité de parking, en tout cas pour un visiteur étranger.
J’ai donc trouvé sur mon pare-brise, au moment de reprendre la route, un sympathique billet doux m’invitant à m’acquitter du modeste montant de 35 euros, correspondant à ce qui est défini comme « l’amende forfaitaire » pour « interdit matérialisé ». J’avoue que, même si je suis une professionnelle de l’écriture, il m’a fallu quelque temps pour traduire ce message dans un dialecte accessible au commun des mortels. Ainsi ai-je découvert que les 35 euros réclamés se transformeraient en 75 euros en cas de non-paiement dans les 45 jours. Bigre ! ai-je pensé, ils n’y vont pas de main morte, nos sympathiques voisins.
Je suis arrivée, finalement, à comprendre l’essentiel du sibyllin message, car il ne faut jamais désespérer de l’intelligence humaine ni de l’intuition d’un artiste, fussent-ils belges. Quoi qu’il en soit, au vu du montant des amendes hexagonales, je comprends mieux l’exil du grand (et gros) Gégé et sa fuite vers nos cieux belges et accueillants.
Mais foin de ces considérations économique-artistico-philosophiques. Pour rester pragmatique, je vous dirai que, malgré mon mécontentement, je suis toute disposée à payer. Car on peut aimer l’art et n’avoir aucune tendance à l’anarchie, et tous les écrivains ne sont pas maudits. J’ai donc retourné dans tous les sens la « carte de paiement » délicatement coincée sous mes essuie-glaces, cherchant – en vain – un quelconque numéro de compte sur lequel effectuer le versement réclamé. Rien. Tout au plus ai-je pu lire qu’il me faut « payer par chèque ou coller à cet emplacement la partie à envoyer du timbre-amende ».
Ainsi donc, ai-je songé, les Français en sont toujours à l’ère du chèque, disparu depuis quelque vingt ans des usages de notre petit Royaume. Quant à « la partie à envoyer du timbre-amende », comment diable une voyageuse non hexagonale pourrait-elle l’avoir en sa possession ?
Heureusement pour moi et pour les caisses de l’État français qui ont bien besoin de mes 35 euros d’écrivain sous-alimenté et sous-payé, certains de mes proches vivent en France (les malheureux !). Me voici donc contrainte de leur envoyer par courrier postal la fameuse « carte de paiement » accompagnée de 35 euros en jolis billets tout neufs, à charge pour eux d’utiliser le chèque ou le timbre ou le je-ne-sais-quoi qui ont cours dans cet étrange pays.
Tout cela cependant a suscité chez moi quelques intéressantes réflexions sur l’accueil fait aux étrangers en terre de France. J’ai aussi compris que, si Obélix est en passe de devenir belge, il y a longtemps, selon toute apparence, que Kafka est français.