Merveilleuse Tempête
- Par Liliane Schraûwen
- Le 05/05/2014
- Commentaires (6)
- Dans De la littérature
Un nouveau Le Clézio… Enfin. Tempête : « Deux novellas » selon le sous-titre et la quatrième de couverture de l'ouvrage. Voilà donc un mot qui vient enrichir la langue française puisque, comme l'écrit l'auteur, « en anglais, on appelle novella une longue nouvelle qui unit les lieux, l'action et le ton ». Si le genre sans doute est universel, le terme, quant à lui, est bien anglais. Ni le Littré ni le Robert en neuf volumes ne le connaissent. Mais je ne doute pas que, dans la foulée du bilingue et lumineux Prix Nobel, il apparaisse prochainement dans les dictionnaires et les manuels de littérature. Rien de surprenant, d'ailleurs, à ce que l'auteur de tant d'œuvres dans lesquelles figurent, presque toujours, le thème du signe – qu'il soit linguistique ou matériel – et celui du langage, de la communication, des langues dites étrangères, recoure une fois de plus à l'usage d'un mot venu d'ailleurs.
J'aurais plaisir à intégrer ce terme dans la refonte de mon syllabus, si j'enseignais encore, à l'expliquer, à lire et analyser avec mes étudiants, qui continuent à me manquer avec violence, des extraits de ce nouveau chef d'œuvre. Car je ne me console pas d'avoir atteint, comme je l'ai écrit par ailleurs, cette fameuse « limite au-delà de laquelle votre ticket n'est plus valable » selon l'expression d'un autre géant de la littérature. Ce n'est pas tant l'idée (et la sensation, quelquefois) de vieillir qui est en cause, que la relation tissée avec tous ces jeunes et moins jeunes qui, au fil des années, me sont passés entre les mains (si j'ose dire). Je me souviens notamment d'un Cédric qui, ayant découvert avec moi Le Clézio au travers de Mondo, est venu me dire que ce texte avait changé sa vie et sa vision du monde… Très souvent, il m'arrive encore de me rêver, la nuit, face à un groupe d'étudiants auxquels je parle de Camus, de Le Clézio ou d'un autre, ou de m'éveiller brusquement à l'idée qu'il va me falloir intégrer tel ou tel élément dans mon cours du lendemain. J'ai aimé passionnément ce métier, et l'âge ne change rien à l'affaire : je crois avoir été un bon prof, et je sais que je le serais encore si la bureaucratie absurde ne me l'interdisait pas.
Mais trêve de nostalgie et de regrets inutiles. Parlons plutôt de ce Tempête, ou plus exactement de la première novella, qui donne son titre au recueil. Car, comme les enfants devant un mets qu'ils aiment, je le savoure lentement, à petites doses, et je n'ai pas entamé le second texte. C'est comme cela qu'il faut lire les grands auteurs, ceux qui ont un style et une vision, ceux dont l'écriture nous emporte par sa splendeur. J'ai entendu François Busnel, récemment, affirmer que ce livre était le plus beau que Le Clézio eût écrit. Je ne sais pas s'il est le plus beau. Il y en a eu bien d'autres avant lui qui m'ont émerveillée, tels Onitsha, Révolutions, les nouvelles de Mondo, Désert, Le Chercheur d'or, pour n'en citer que quelques-uns. Mais il est vrai que Tempête est une pure merveille, par sa sobriété, par la maîtrise des récits croisés (encore une caractéristique récurrente chez l'auteur), par ses deux personnages (« en marge » comme souvent dans son œuvre, et ici ils le sont tous les deux, Philip Kyo et l'adolescente June), par le décor, par ce thème obsessionnel chez lui du voyage, du départ et de l'errance, par les espaces vierges que sont dans ses textes le désert et la mer, et surtout par la beauté de l'écriture. Comme presque toujours lorsqu'on lit Le Clézio, on se trouve littéralement transporté en cet ailleurs où il nous emmène. Les couleurs, le bruit de la mer, le vent, les odeurs, on les perçoit, on les sent. Quelques exemples ?
« La brume s'épaissit à l'horizon. Il me semble que nous sommes sur un bateau, en partance vers l'autre bout du monde. »
« Je suis venu ici pour voir. Pour voir quand la mer s'entrouvre et montre ses gouffres, ses crevasses, son lit d'algues noires et mouvantes. Pour regarder au fond de la fosse les noyés aux yeux mangés, les abîmes où se dépose la neige des ossements. »
« Cette nuit-là était sans lune, le ciel s'ouvrait et se fermait de nuages. J'ai regardé les étoiles dans une anfractuosité de rochers, près de l'endroit où les femmes de la mer se déshabillent. J'ai même trouvé une grève de sable noir, et j'ai creusé une petite vallée pour me mettre à l'abri du vent. J'ai regardé le ciel, j'ai écouté la mer. (…) Je suivais des yeux les étoiles, elles glissaient en arrière, la terre tombait. »
« La nuit envahit l'île. Chaque soir, flaque après flaque, crevasse après crevasse. La nuit sort de la mer, sombre et froide, elle se mélange à la tiédeur de la vie. »
Rien à dire, après ça. Se taire et admirer.
Et je ne vous parle pas des descriptions qu'il fait ici d'étreintes charnelles, ce qui est assez rare chez lui pour mériter d'être souligné. Mais d'une telle beauté…
Commentaires (6)
- 1. | 27/12/2022
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